Midi Olympique

Les justiciers : Guicherd, le sherif d’Albi

LE RUGBY EST UN SPORT COLLECTIF DE COMBAT RÉGLEMENTÉ. OÙ SE SITUE LA LIMITE ? AU GRÉ DES ÉPOQUES ET DES MOEURS, ELLE A FLUCTUÉ. ET CERTAINS ONT SU EN JOUER. MIDI OLYMPIQUE VOUS PROPOSE UNE SÉRIE DE PORTRAITS DE CEUX QUI ONT JOUÉ, PAR LE PASSÉ, LE RÔLE DE

- Par David BOURNIQUEL

On ne va pas se mentir. D’un point de vue purement technique, Philippe Guicherd n’était pas exactement le meilleur joueur de rugby que le Sporting club albigeois ait connu. Il laisse volontiers ce titre à une gazelle de derrière, un chantre de la double-croisée ou un esthète des courses échevelées. Lui, son dada, c’était le combat. Et il demeure aujourd’hui encore l’un des plus redoutable­s guerriers de l’histoire du club albigeois, un combattant de tous les instants, dont la seule présence sur le pré marquait le moral des adversaire­s. Parfois leurs joues, aussi. Pourtant, hormis un physique typique de deuxième ligne de devoir (1,97 m, 120 kg), rien ne prédisposa­it vraiment ce géant à devenir rugbyman. Né à Décines-Charpieu, dans le Rhône, c’est dans les raquettes des terrains de basket que Philippe Guicherd a fait ses premiers pas de sportif : « J’étais numéro 4, ailier fort ! Mais pas fort ailier, alors j’ai arrêté ! » Il viendra au rugby sur le tard, à 19 ans bien sonnés, en intégrant les Reichel de Bourgoin-Jallieu sur les conseils d’un professeur féru de ce jeu. Il sera rapidement remarqué par Narbonne qui l’enrôle dans son effectif espoir. La machine lancée, plus rien n’allait pouvoir l’arrêter. Même pas Pierre Berbizier qui, alors entraîneur de la première du Racing club narbonnais, lui assénait un conseil glacial : « Comme tu ne feras rien au rugby, engage-toi dans la police. » Ce que le joueur fit, sans pour autant délaisser ses crampons.

Le plus drôle dans tout ça ? C’est que « La Guiche » allait réussir à mener ses deux carrières de front. Policier la semaine, rugbyman le week-end. Et comme au rugby où il a tutoyé le Top 14 à Albi après être passé par Mazamet ou Sérignan en Fédérale, Philippe Guicherd a gravi les échelons de la police pour intégrer la brigade anticrimin­alité (BAC). Un métier qui le passionne et dont les enseigneme­nts lui ont servi sur les terrains. « Avec le recul, j’arrive à faire la connexion entre mes deux activités. Que ce soit dans la police ou au rugby, il y a des notions communes telles que le partage, l’idée de protection de l’autre, l’esprit d’équipe… » Redoutable gendarme sur le terrain, Philippe Guicherd est donc devenu un policier à la ville. Sans pour autant faire naître la guerre des polices. Tout un art.

ARNAUD MELA :

« PARFOIS, IL NE LUI MANQUAIT QUE LE TASER »

Arnaud Mela a partagé cinq saisons avec Guicherd, à Albi. Il s’amuse encore de la dualité des fonctions de son ex-coéquipier : « Il était sur le terrain comme dans son job, très direct. Il aimait bien « faire la police » et parfois il ne lui manquait que le taser… Je me souviens de matchs dans des bastions où ça « tapait dur », à Narbonne, à Perpignan, à Montauban… Il se régalait à nettoyer les zones de rucks. En face, ça ne bronchait pas, ou alors pas longtemps. » Une de ses plus célèbres victimes reste Grégory Lamboley. Le joueur du Stade toulousain, un soir de décembre 2007, avait eu l’outrecuida­nce de bousculer « La Guiche » sur un repli défensif.Yogane Correa, derrière la caméra d’analyste vidéo ce jour-là, se souvient avec délice : « Je revois la grande carcasse de Philippe se retourner et ses yeux balayer plusieurs fois le terrain de gauche à droite. Quand le pauvre Lamboley est apparu sur les écrans radars, Philippe a piqué le sprint de sa vie pour lui servir une soupe de phalanges bien corsée. On était en Top 14, c’était un peu voyant mais c’était drôle. »

« Son boulot, c’était la guerre », résume JeanChrist­ophe Bacca, ancien troisième ligne et entraîneur du SCA. Bacca, qui a poussé derrière Guicherd au soir de sa carrière de joueur, regrette de ne jamais avoir eu l’occasion de l’entraîner. Un autre l’a fait pour lui : « En arrivant à Albi, il est tombé sur l’entraîneur ad hoc, pour faire exploser ses qualités intrinsèqu­es de combattant, en la personne d’Eric Béchu. Éric était un stakhanovi­ste du jeu d’avants et Philippe n’avait pas son pareil pour mettre le nez dans les rucks. Ils étaient faits pour s’entendre. Béchu a su ti- rer la quintessen­ce de son potentiel dans ces taches que le grand public voit peu. C’est ce qui a fait de Philippe le joueur qu’il est devenu, un deuxième ligne connu et reconnu dans la France entière. C’était son fonds de commerce. » Dans le contexte du début des années 2000, « La Guiche » était un ovni, une espèce de joueur en voie de disparitio­n. Car il émergeait alors une génération de joueurs de deuxième ligne « modernes », des décathloni­ens du rugby, très bons manieurs de ballons, capables de supporter les cadences toujours plus infernales de ce jeu qui évoluait saison après saison. Des athlètes toujours plus forts mais lisses et aseptisés, à l’image du jeu qui devenait plus propre, lavé des coups bas qui faisaient son sel d’alors. Guicherd, lui, se posait comme l’un des derniers représenta­nts de ce rugby « à l’ancienne » qui était au crépuscule de son existence. Le guerrier Guicherd était aussi un pédagogue, un des relais d’Eric Béchu sur le terrain. Il terminera d’ailleurs sa carrière albigeoise vice-capitaine de l’équipe, derrière Vincent Clément. Arnaud Mela se remémore ses premiers pas aux côtés de « La Guiche » : « Philippe était un peu mon idole, à l’époque. Il m’impression­nait beaucoup, c’était un exemple pour moi. J’avais 23 balais, il en avait 30 et se traînait une belle réputation de joueur dur au mal. Tout ce que j’aimais. Et pour avoir joué quelques matchs avec lui, je peux confirmer que cette réputation n’était pas usurpée. Pour le combat et l’accompliss­ement des tâches obscures, c’était un roi. Avec le recul, je peux dire qu’il m’a un peu dévergondé. Il m’a appris à jouer avec la règle. Je retiens aussi que sur le terrain, c’était un mec très droit, très franc. Il disait toujours les choses, sans tricher. Il prévenait. Et en général, lorsqu’il prévenait, une baffe ne tardait pas à partir. C’était à l’adversaire de ne pas dépasser la ligne que Philippe avait fixée… Sinon… »

UN HOMME EN OR

Heureuseme­nt, « le rugby est un sport de voyou pratiqué par des gentlemen » et l’adage se vérifie mille fois lorsque l’on côtoie Philippe Guicherd. Quand la bagarre était terminée et que le coup de sifflet final avait retenti, il quittait son costume de justicier cogneur et chambreur pour redevenir l’homme affable qui a épousé Cathy et qui a eu trois enfants. Derrière le colosse qui faisait régner l’ordre se cache un garçon diplômé en mathématiq­ues appliquées, féru de musique et de littératur­e, qui dévore les romans d’Harlan Coben ou de Stéphen King. « Un

garçon en or », assurent en choeur tous ses anciens coéquipier­s qui saluent la « douceur extrême » de Guicherd à la ville. Vincent Clément, troisième ligne et capitaine de cette génération albigeoise, se souvient : « Il avait besoin d’un bon terreau pour s’épanouir. C’est un type qui puisait son énergie dans l’esprit de groupe. Sous l’ère Béchu, le groupe était d’une solidité extrême. « Ensemble, on ne risque rien », comme répétait Eric. Une anecdote me revient, elle restera comme un de mes plus beaux souvenirs hors rugby aux côtés de Philippe : un soir, nous avions parié sur le résultat d’un match. En cas de défaite, il devait m’accompagne­r à l’église. Il s’était engagé à le faire. Il a perdu le pari et il a tenu parole. Cela m’avait beaucoup touché de sa part. » Car le grand gaillard est un homme de confiance, un socle sur lequel on peut s’appuyer.Yogane Correa en a fait son témoin de mariage et n’hésite pas à affirmer : « Avec lui, on peut aller à la guerre. D’ailleurs, avec tout le groupe de Béchu, nous l’avons fait. On a mené la bataille du Top 14 et nous sommes liés à vie pour tout ça. » Aujourd’hui âgé de 44 ans, « La Guiche » goûte un repos bien mérité, retiré au milieu de la campagne carcassonn­aise. S’il est toujours policier, il a délaissé sa casquette de gendarme des terrains pour inculquer sa vision du rugby aux joueurs de Castelnaud­ary, en Fédérale 2, qu’il entraîne depuis 2016. ■

 ?? Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany ?? De 2006 à 2008, Philippe Guicherd, au milieu d’un pack albigeois cornaqué par Eric Béchu, savait se faire respecter. Aujourd’hui encore, la seule évocation de son nom rappelle une époque où les règles du terrain prévalaien­t sur les règlements.
Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany De 2006 à 2008, Philippe Guicherd, au milieu d’un pack albigeois cornaqué par Eric Béchu, savait se faire respecter. Aujourd’hui encore, la seule évocation de son nom rappelle une époque où les règles du terrain prévalaien­t sur les règlements.

Newspapers in French

Newspapers from France