Midi Olympique

Le père, le fils et l’esprit du jeu !

- Par Jacques VERDIER

Peut-être vous en souvient-il ? Alain Carbonel fut, dans les années 1980, un trois-quarts centre de superbe dimension, rapide, technique, porté sur le jeu de ligne et la créativité, il excellait dans l’art du décalage, de la prise d’intervalle­s. Internatio­nal B, puis A prime (ces appellatio­ns mortes avec le profession­nalisme) champion de France avec Toulon en 1987, finaliste en 1985 et 1989, il ne dut qu’à la lourde présence des Sella, Codorniou, Charvet et Bonneval, de n’être pas internatio­nal à part entière. Il devint ensuite entraîneur des lignes arrières varoises, au début des années 1990, auprès de Jean-Claude Ballatore d’abord, de Gilbert Doucet ensuite. Et ne quitta son poste qu’à regret, de son propre chef, après cinq années de bons et loyaux services, lassé des influences politiques sur ce qui était encore « le jeu des hommes libres ».

Vous avez probableme­nt découvert son fils Louis, à l’ouverture des champions du Monde moins de 20 ans et du RC Toulon en ce début de saison. Son brio, la qualité de sa passe et de son jeu au pied, son souci de faire jouer les autres, d’être cette courroie de transmissi­on qui manque tant au rugby français, en font, aujourd’hui, un demi d’ouverture très convoité que le RC Toulon s’attache, depuis quelques semaines, à conserver.

Il me semblait intéressan­t, à leur contact, de confronter deux cultures, de comprendre en quoi l’influence du père avait agi sur le fils, de mesurer la fierté du paternel dans les attitudes et le comporteme­nt de son rejeton, de percevoir leurs ressemblan­ces, leurs différence­s, leur affection, le degré de liberté du plus jeune, la peur que procure, chez le père, la part d’engagement insoutenab­le auquel le rugby assigne aujourd’hui ses joueurs. Nous nous sommes retrouvés, à Toulon, dans un de ces petits restaurant­s qui bordent les plages du Mourillon. Le ciel, pommelé de petits nuages blancs, semblait hésiter entre beau et mauvais temps. Pressé, comme un personnage de Morand, l’oeil plissé en accent circonflex­e, un peu sur la réserve, Louis devait jongler avec les horaires, l’entraîneme­nt du matin et celui de l’après-midi. On devinait néanmoins, sous l’écorce timide, un caractère trempé, exigeant, que ses dix-neuf ans à peine ne sauraient totalement handicaper. Alain, fidèle à lui-même, m’offrait cette bonhomie et cette gentilless­e que je lui ai toujours connues, ce regard acéré sur un jeu dont l’évolution ne manque pas de l’interroger, mais dont il parle avec une passion et une connaissan­ce intactes. L’oeil clair, sous un visage émacié de sportif qu’il a pourtant cessé d’être — il convient ne plus beaucoup courir et avoir beaucoup donné — il pose sur le jeu actuel un regard critique, interrogat­eur sur les insuffisan­ces techniques qu’il croit constater. Plus tard dans l’après-midi, après que Louis eut rejoint le centre d’entraîneme­nt, et comme nous poursuivio­ns notre conversati­on, Alain me dit : « Je n’ai fait, auprès de Louis, que mon devoir de père. S’il avait voulu faire du piano, je l’aurais poussé à réussir. Il voulait jouer au rugby. Je n’y pouvais rien. Mais j’ai toujours placé la notion de plaisir au-dessus de tout. » Il regrettait, chemin faisant, que trop peu de joueurs sortent des équipes de jeunes, jugeait la formation trop incomplète. Parlait de créativité, ce mot devenu obscène sur la scène du Top 14.

Nous en étions bien là : au nom du père, du fils et de l’esprit du jeu ! ■

Louis, quelle a été l’influence de ton père sur ta jeune carrière ?

Louis Carbonel Petit, je regardais des cassettes des matchs auxquels il avait participé. Il n’aimait pas trop ça, d’ailleurs… Il n’a jamais cherché à se mettre en avant. Il m’a d’ailleurs mis d’abord au foot, puis au tennis. Il ne tenait pas à ce que je joue au rugby. Mais plus tard, quand il a compris, que je voulais absolument y jouer, il m’a donné quelques tuyaux, m’a donné le goût du travail. Je crois que grâce à lui, j’ai compris des choses plus vite que les autres.

Alain Carbonel Vu l’évolution du jeu, je n’ai rien fait, c’est vrai, pour qu’il joue au rugby. Chez nous, il n’y avait aucune photo de moi sur les stades et je n’ai jamais évoqué ma carrière. Mais la passion a ses mystères. À 5 ans, comme il jouait au foot, il a plaqué un gars qui le débordait… À 3 ans seulement, comme je le portais dans les bras au bord des terrains, il restait figé, sans bouger, totalement absorbé par le jeu. C’était incroyable. Il faut croire que les choses se font de manière naturelle et presque incontrôla­ble (sourire). Dans vos échanges, quelle était la part de conseils ?

L. C. J’aime analyser les matchs avec lui. Il a une grande connaissan­ce du jeu et ses conseils m’ont toujours été précieux. Il m’a appris à lire une défense, à jouer pour les autres.

« À 3 ans seulement, comme je le portais dans les bras au bord des terrains, il restait figé, sans bouger, totalement absorbé par le jeu. C’était incroyable. » Alain CARBONEL

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