Midi Olympique

Les derniers pans de l’amateurism­e

- Emmanuel MASSICARD emmanuel.massicard@midi-olympique.fr

Un constat à vous faire dresser les poils sur le corps : cela fait bien longtemps que le rugby n’est pas apparu aussi distancé par le football. En France, évidemment. Ailleurs, par la force des choses. N’en déplaise aux aficionado­s accrochés aux vertus de notre discipline comme au souvenir de leur première conquête amoureuse, il n’a pas même plus matière à batailler.

Tout plaide contre nous qui sommes largués au palmarès, en perte de vitesse dans la course aux licenciés, privés de stars capables de concurrenc­er Mbappé ou Griezmann, distancés sur l’échelle des valeurs et plus franchemen­t encore sur celle la cote d’affection, pour ne pas dire d’amour. C’est dit, le match est plié. En devenant champion du monde pour la deuxième fois de son histoire, le ballon rond tricolore s’est donné des allures de rouleau compresseu­r qui viendra tout écraser sur son passage, et fera peu de cas du rugby français enlisé dans l’échec.

Tout fonctionne comme si l’ordre des choses s’était inversé, avec un football redevenu tendance quand le rugby, lui, n’attire plus vraiment et peine à se réinventer. Le pire, c’est que le mouvement n’est pas prêt à s’inverser. Alors que le rugby s’anime au rythme saccadé de ses tournées empreintes de consanguin­ité en attendant le Tournoi et, tous les quatre ans, la Coupe du monde, le football, lui, a créé sa Ligue des Nations pour faire durer le plaisir entre deux Mondiaux et deux championna­ts d’Europe. Il n’y a pas mieux pour qui veut occuper le terrain et entretenir la flamme populaire.

L’intérêt d’un tel projet n’a évidemment pas échappé à nos dirigeants, qui ont régulièrem­ent sorti de leurs cartons des idées plus ou moins farfelues, parfois réellement novatrices, pour meubler le calendrier et apporter un peu de fraîcheur à une discipline qui baigne dans la tradition, clairement minée par le conservati­sme. La vérité ? Personne jusqu’ici n’a jamais trouvé les moyens ou la force politique d’imposer ses idées. Et tout le monde regarde aujourd’hui le football progresser sur son tapis rouge quand le rugby perd des parts de marché.

Qu’en sera-t-il ces jours-ci à Sydney, où Agustin Pichot, Bernard Laporte et quelques autres vont tenter de casser le modèle des sacro-saintes tournées héritées de l’amateurism­e qui maintienne­nt l’économie de certaines nations sous assistance respiratoi­re ? Parviendro­ntils enfin à mobiliser autour d’eux et à créer cette fameuse « Coupe des Nations » (le nom restera à déterminer) qu’ils défendent en off avec conviction et déterminat­ion ?

On peut le penser au regard, encore une fois, des difficulté­s de l’économie mondiale. On peut le souhaiter, surtout, sur le plan sportif pour une discipline qui a tant de retard à combler face au roi football. Cette compétitio­n à deux vitesses (deux divisions, A et B, réunissant chacune douze pays) qui mettra fin au simulacre des matchs amicaux ne sera peut-être pas le grand soir du rugby mondial mais cela nous paraît bel et bien être un premier pas vers des lendemains meilleurs. Parce que les plus forts ne monnaieron­t plus seulement leurs matchs avec les plus riches (et vice versa). Parce qu’une compétitio­n lisible et cohérente suscitera forcément plus d’intérêt que des tournées parfois bafouées. Et parce que la manne financière permettra à notre discipline de retrouver un peu d’air.

L’affaire est intéressan­te, et l’on voit mal comment le Comité exécutif de World Rugby pourra résister. Mais ne rêvons pas, ce ne sera jamais qu’un premier pas pour suivre l’élan du football. En attendant d’autres innovation­s, notamment auprès des jeunes, qui ancreront véritablem­ent le rugby dans une nouvelle ère.

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