Midi Olympique

Fidjiens de France

- Léo FAURE leo.faure@midi-olympique.fr

Combien sont-ils, au juste ? Des dizaines, peut-être une centaine à avoir fait les beaux jours d’un club de l’élite française, un jour ou une décennie durant. Il y a 20 ans tout juste, le public français découvrait l’impensable : un joueur fidjien peut, seul ou presque, faire gagner son équipe. Waisale Serevi, Viliame Satala puis Vilimoni Delasau à Montde-Marsan, Eremodo Tuni à Bourgoin-Jallieu avaient si peu besoin de leurs coéquipier­s, pour marquer, qu’ils remettaien­t à eux seuls en question les préceptes les plus basiques de ce jeu.

Le public de 2018 ne s’en étonne plus. Chaque équipe a son Fidjien. Ou presque. Parmi les 30 clubs profession­nels, seuls quatre dérogent à cette règle (Toulouse, Castres, Oyonnax et Bourg-en-Bresse). Ailleurs, les habitués des stades de Top 14 se repaissent chaque week-end des dépeçages de Botia et Tuisova, grondent sur chaque raid atomique de Peceli Yato et n’apprécient pas toujours à sa juste valeur la finesse de Volavola, trop délicat pour coller vraiment à ce qu’on attend du Fidjien de son club.

Les clichés ont la vie dure, les lieux communs également. On les dit trop facilement « magiciens », « fantasques » et difficiles à enfermer dans les schémas stricts d’un Top 14 tacticochi­ant. On les dit aussi taiseux, introverti­s et communauta­ristes, comme si rien ne ressemblai­t plus à un Fidjien qu’un autre Fidjien. C’est grossier et évidemment faux. À Clermont, les facéties de Yato tranchent avec la discrétion de Raka. Nalaga ne quittait jamais son kava mais Nakaitaci ne dit jamais non à un verre de bon vin. Certains vivent la France en conservant les codes de leur île, le cadre idyllique en moins. D’autres épousent les traits de la vie locale avec joie, construisa­nt leur aventure sociale selon les modèles européens.

Hommes divers et souvent attachants, les Fidjiens de France ne sont pourtant pas toujours considérés à leur juste valeur sportive. Combien d’entre eux, mal représenté­s auprès des clubs, souffrent d’une sous-évaluation de leurs émoluments ? C’est déplorable et même franchemen­t minable.

Il y a plus grave encore. Pour quelques stars citées plus haut, et qui ont finalement digéré l’adaptation à la vie française, combien souffrent du déracineme­nt ? En silence ou à grands bruits, l’éloignemen­t est une blessure, leur isolement parfois douloureux à constater. En Top 14, en Pro D2 mais plus encore dans les strates fédérales, où ils abondent pour nourrir dans des villages l’illusion d’un « projet de grand club », les Fidjiens vendent leurs talents à bas prix et parfois, dans le package, sacrifient leur santé sociale. Isireli Temo, pilier de Tarbes en Fédérale 1, avait choisi d’y mettre un terme par la voie du suicide, il y a deux ans. Derrière le rêve se cachent parfois des drames.

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