LES CHAMPIONS D’AUSTRALIE
LA SÉLECTION DU PACIFIQUE EST MAJORITAIREMENT COMPOSÉE D’EXPATRIÉS ÉVOLUANT EN FRANCE ET EN GRANDE-BRETAGNE. MAIS UN PETIT TIERS DE SON GROUPE ÉVOLUE AVEC LES FIJIAN DRUA, ÉQUIPE RÉCEMMENT CRÉÉE ET INTÉGRÉE AU CHAMPIONNAT AUSTRALIEN QU’ILS VIENNENT DE RE
France - Fidji : aucun autre test-match ne fleure autant notre championnat. Sur les trente Fidjiens sélectionnés pour cette tournée, treize évoluent dans l’Hexagone et cinq y ont transité pendant leur carrière. Ce samedi, les rares spectateurs du Stade de France vont ainsi retrouver, sous une tunique différente, des visages très connus, ceux des Radradra, Tuisova, Nakarawa et autres Yato, tous devenus prophètes de ce côté-ci de la planète. La performance de ces talents purs constituera un des principaux intérêts de cette confrontation et le plus grand danger pour les Tricolores.
Mais la curiosité de cette sélection vient d’ailleurs. Parmi les éléments retenus par John McKee, huit - les talonneurs Dolokoto et Vugakoto, les piliers Mawi et Veitayaki, le deuxième ligne Tuisue, le troisième ligne Voka, le numéro 9 Lomani et l’ouvreur Veitokani - ont récemment été sacrés champions… d’Australie avec les Fijian Drua, du nom de l’embarcation traditionnelle du pays. Depuis 2017, cette formation fidjienne, composée d’éléments sous contrat pour un an, a en effet été intégrée au NRC, avec le soutien financier de la Fédération et de World Rugby. Créée en 2014, la confidentielle première division australienne met aux prises huit équipes. Après une première édition encourageante, les troupes de Senirusi Seruvakula se sont adjugé le titre, le samedi 27 octobre, en dominant Queensland Country 35 à 25, à Lautoka, devant près de 7 000 spectateurs enflammés. « C’est énorme pour le développement de notre rugby, c’est un grand accomplissement alors que ce n’est que notre seconde année dans la compétition », se félicitait l’entraîneur local. Les Fijian Drua sont devenus une fierté locale et ramènent le jeu au centre de l’archipel : « Cela donne de l’espoir et une opportunité, pour les joueurs comme pour les éducateurs. Ça contribue aussi à éduquer le public qui a enfin une formation sur place. » Les autochtones sont ainsi davantage en phase avec leur sélection : en 2015, seuls deux joueurs retenus pour la Coupe du monde évoluaient du côté de Suva contre huit dorénavant.
DES DRUA À PERPIGNAN, BIARRITZ...
La création des Drua permet aussi l’émergence d’une nouvelle vague, incarnée par le demi de mêlée Frank Lomani, un des huit représentants des Fijian Drua en sélection. « Quand je vois les joueurs alignés en finale, je me dis que tous ces gars pourraient avoir un contrat en Super Rugby ou en Top 14 », estimait Senirusi Seruvakula, dans l’euphorie du moment. Membres de l’effectif en 2017, Eroni Sau, Eroni Vasiteri et Kalivati Tawake ont utilisé ce tremplin pour atterrir à Perpignan, Aix-en-Provence et Biarritz. Franck Boivert relativise l’optimisme de son confrère et replace le phénomène dans son contexte : « Le niveau de la compétition reflète l’état du rugby australien de club, c’està-dire que c’est assez faible, analyse l’ancien directeur technique national, en charge de la formation des jeunes sur place. Les Drua, c’est très bien pour les joueurs locaux qui n’ont pas la chance d’avoir un contrat professionnel ailleurs de se mesurer à des équipes étrangères. Je ne pense pas que cela soit déterminant pour le rugby fidjien, le niveau est trop loin du Super Rugby, du Top 14. » Et la pratique différente, aussi : « Drua a joué un rugby spectaculaire grâce à des individualités mais ça ne résout pas du tout les problèmes de fond du rugby fidjien comme on a pu le voir contre l’Écosse : les préparations trop courtes et le jeu au près devant. Ce n’est pas avec le rugby de NRC que les avants vont s’aguerrir au jeu technique et rugueux que l’on retrouve ailleurs. »
En Écosse, des huit membres du club local, seul Frank Lomani avait été titularisé, à la mêlée ; sept de ses partenaires avaient débuté sur le banc et avaient subi la démonstration de force des hommes de Gregor Townsend, passés de 14-17 à la demi-heure de jeu à 54-17 au coup de sifflet final. Entre les vedettes européennes et ces nouveaux venus du Pacifique, l’ensemble reste, pour l’heure, hétérogène, quelque peu inconstant.
Mais à terme, l’émancipation des Drua va progressivement profiter au rugby de l’archipel et peut-être même permettre l’aboutissement de ses projets majeurs. Le succès de cette initiative en appelle d’autres, espère-t-on du côté de Suva : « Le rugby spectaculaire pratiqué est un atout pour rejoindre le Super Rugby
où il y a plus de mouvement que de jeu rugueux, reprend Franck
Boivert. Mais pour l’instant, une franchise fidjienne ou du Pacifique est toujours une chimère pour des raisons avant tout financières. Bien que le seul match qui fasse stade comble chaque année est celui qui est délocalisé à Suva. » En termes de talent comme de passion, les Fidji restent une mine d’or.
« Drua a joué un rugby spectaculaire mais ça ne résout pas du tout les problèmes de fonds du rugby fidjien. » Franck BOIVERT