Midi Olympique

« Je n’ai pas envie de tricher »

ÂGÉ DE 33 ANS ET EN FIN DE CONTRAT EN JUIN PROCHAIN, LE JOUEUR QUI PORTE LES COULEURS STADISTES DEPUIS ONZE ANS S’INTERROGE SUR SON AVENIR ET PORTE UN REGARD ÉCLAIRÉ SUR L’ÉVOLUTION DE SON CLUB. MAIS AUSSI DU RUGBY EN GÉNÉRAL. ENTRETIEN SANS FILTRE.

- Propos recueillis par Arnaud BEURDELEY arnaud.beurdeley@midi-olympique.fr

Vous avez 33 ans et êtes en fin de contrat en juin 2019, quel est votre avenir ?

Mon avenir, c’est la saison qui est en cours. Je veux la vivre à fond et ne pas avoir à me gérer en espérant jouer un, deux ou trois ans de plus. C’est pour ça que, l’an passé, nous étions vite tombés d’accord avec le club pour ne resigner qu’un contrat d’un an. Je n’ai pas envie de tricher. L’idée, c’est de faire un point chaque année sur mon état physique, sur ma motivation. Arrêter ma carrière, j’y pense quand même. Lorsque nous avons gagné à Castres, je me suis dit : « Tiens, c’est peut-être la dernière fois que je joue ici. » En plus, je n’avais jamais gagné làbas. Au moins, maintenant, c’est fait.

Mais pensez-vous mettre fin à votre carrière à l’issue de la saison ?

Je mène une réflexion actuelleme­nt. Je me dois d’être honnête avec mon club et avec mon corps. Par le passé, j’ai vu des joueurs, pour qui j’avais un immense respect, vouloir faire absolument une année de plus sans en avoir les moyens. Et j’ai été déçu par ces gens-là. Je ne veux vraiment pas faire l’année de trop.

Comment vous sentez-vous aujourd’hui physiqueme­nt ?

Ça va très bien, mais je n’oublie qu’en 2014 j’ai cru que je ne pourrai jamais rejouer. J’ai quand même eu deux opérations très lourdes au niveau des cervicales.

Le Stade français cherche à recruter un talonneur. Comment le vivez-vous ?

Ça me semble logique. Je n’ai pas à commenter les décisions de mes dirigeants.

Mais si toutefois vous avez envie de continuer une saison de plus et que le Stade français ne vous propose pas de prolonger, êtes-vous susceptibl­es d’aller jouer ailleurs ?

Je n’ai pas envisagé ce cas de figure.

Quand prendrez-vous votre décision ?

Au fond de moi, je sais que je peux faire un an de plus. Quand je me lève le matin, mon plaisir c’est d’aller jouer au rugby. Le jour où je me lèverai en traînant les savates pour aller au boulot, ça sera trop tard. Mon exemple, c’est Julien Arias (rires). Seulement, lui, il joue à l’aile et ça fait vingt ans qu’il regarde les avants faire le boulot. Il n’est donc pas fatigué (rires). Plus sérieuseme­nt, j’ai toujours fait les choix qui me correspond­aient.

C’est-à-dire ?

Lorsque j’ai fait le choix d’aller jouer en Pro D2 alors que je venais d’être champion du monde des moins de 21 ans, ça n’a pas vraiment été compris. Je me souviens de certains commentair­es qui disaient que c’était un mauvais choix, un manque d’ambition. Mais j’avais besoin de jouer à ce momentlà. À l’époque, j’étais à l’Usap, troisième talonneur derrière Koniek et Tincu. J’aurais pu rester dans ce confort tranquille­ment et attendre mon tour. Mais à mon poste, j’avais besoin de m’endurcir. Je ne regrette pas d’avoir fait le choix du Pro D2 durant deux ans. Et puis, quand je me suis senti prêt, je suis parti. Tout le monde pensait alors que j’allais opter pour un club où la concurrenc­e aurait été plus facile, plus ouverte. Et finalement, j’ai choisi le Stade français où il y avait déjà Mathieu Blin et Dimitri Szarzewski. Et l’année suivante, Benjamin Kayser nous a rejoints. Nous étions quatre pour une place. Mais je me sentais prêt. Et aujourd’hui, ça fait onze ans que je suis là.

Quelles sont les différence­s entre le Stade français que vous avez connu en 2007 et celui d’aujourd’hui ?

Ce ne sont plus les mêmes clubs ! Mais est-ce qu’on peut comparer le rugby de 2007 avec celui de 2018 ? Personnell­ement, je ne suis pas du tout nostalgiqu­e. Je suis heureux d’avoir vécu les différente­s époques du Stade français. J’ai eu trois présidents, peut-être une quinzaine entraîneur­s différents, mais l’ossature des hommes est souvent restée la même. Je ne suis pas sûr que beaucoup de clubs puissent revendique­r cet attachemen­t.

Comment percevez-vous le projet mené par le Docteur Wild ?

C’est intéressan­t et c’est ce dont a besoin la ville. On ne peut pas être le club de la capitale et vivoter. Le Docteur Wild, c’est Bernard Tapie qui fait la meilleure équipe de France. C’est ce qu’il est en passe de mettre en place. Après, il faut rester vigilant visà-vis des méthodes. Au Stade, l’humain a toujours été important. Ce n’est pas un club comme un autre. Et tant que les dirigeants resteront sensibles à cet aspect-là, ça ira.

Avez-vous des craintes ?

Oui, bien sûr. Mais c’est lié à l’évolution de notre sport. Ce n’est pas propre au Stade français. Je m’interroge sur la place de l’homme aujourd’hui dans le rugby. Pour moi, un joueur en confiance est 50 % meilleur qu’un joueur à qui l’on ne renvoie pas d’amour. Il y a quelques années, quand un coach ne donnait pas de confiance à un joueur, il pouvait en trouver au sein du groupe. Ça, c’est fini.

Avez-vous senti une poussée de l’individual­isme ?

Les entraîneur­s poussent à la performanc­e, c’est donc normal qu’un joueur cherche à être performant individuel­lement pour amener quelque chose. L’individual­isme a toujours existé, mais on s’en cache moins aujourd’hui.

Comment vivez-vous cette première moitié de saison ?

C’est sympa actuelleme­nt. On traverse une période hyper-positive. C’est aussi pourquoi j’attends un peu avant de prendre ma décision. Aujourd’hui, tout se passe bien et me donne envie de continuer. Mais je sais très bien que l’hiver arrive et qu’il y aura des moments moins drôles. C’est dans ces moments-là que j’aime avoir les ressources pour amener quelque chose à l’équipe. C’est là que je verrai où j’en suis.

Laurent Panis, un de vos concurrent­s, prend de plus en place de place dans l’effectif. Est-ce la relève au talonnage ?

Oui, même s’il a déjà 25 ans. Laurent, c’est un mec bien. Et je pense qu’il a pâti de son éducation. Il a toujours beaucoup respecté les anciens. Peut-être un peu trop. Il a du mal à se mettre en avant car il ne sent pas forcément légitime. Peut-être que ça lui aurait fait du bien d’aller jouer un ou deux ans en Pro D2. Aujourd’hui, il s’affirme de plus en plus. Mais je compte bien jouer encore un peu (rires).

Qu’est-ce que vous apporte Pieter De Villiers dans le secteur de la mêlée fermée ?

Chaque année, les gens sont surpris de la mêlée parisienne. Mais, ça fait quelques saisons que notre mêlée est performant­e me semble-t-il. Quant à Pieter, pour moi, ce qu’il apporte au club, au-delà de tout son travail en mêlée, c’est l’image du Stade français qui gagne, qui est intouchabl­e. À mes yeux, il y a peu de joueurs qui peuvent représente­r notre club de cette façon.

Le projet du Docteur Wild, c’est de gagner vite. Un titre de champion de France dès cette saison, c’est possible ?

Tout est possible. Mais ne nous encensez pas trop vite. Dans toutes les réussites, il y a toujours une part de chance. Et pour l’instant, la chance nous sourit.

« Lorsque nous avons gagné à Castres, je me suis dit : « Tiens, c’est peut-être la dernière fois que je joue ici. » »

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