Midi Olympique

Baptiste Serin : retour en grâce

TITULAIRE DERRIÈRE LA MÊLÉE DES BLEUS POUR LES TROIS TESTS D’AUTOMNE, BAPTISTE SERIN A RÉALISÉ UN LOURD TRAVAIL D’INTROSPECT­ION POUR CHASSER SES DÉMONS ET RETROUVER LA FRAÎCHEUR DE SES DÉBUTS EN ÉQUIPE DE FRANCE. AVANT D’AFFRONTER NAKARAWA ET LES FIDJI, L

- Propos recueillis par Marc DUZAN marc.duzan@midi-olympique.fr

Il y avait huit mois que l’équipe de France n’avait plus gagné. Ça fait quoi ?

Huit mois, ça veut tout et rien dire. Ce sont juste des mots. Dans ces huit mois, il y en a cinq où l’équipe de France ne s’était même pas retrouvée au CNR… En fait, nous étions sur une série de cinq défaites et, contre l’Argentine, nous y avons mis un terme. Point barre.

N’avez-vous jamais douté ?

Non. On tournait autour depuis trop longtemps. Je savais que tôt ou tard, le succès arriverait. Mais une grande équipe, c’est une équipe qui confirme.

Justement, que vous inspirent les Fidji ?

Dans le désordre, ce sont des joueurs extraordin­aires, étincelant­s. Yato renverse tout le monde en Top 14, Nakarawa est le roi des passes après-contact et Radradra est un finisseur hors pair. Je crois que même leur pilier droit est capable de faire une double sautée à pleine vitesse…

Alors ?

Collective­ment, je pense néanmoins que nous avons plus d’atouts que les Fidji. Cette équipe a encore quelques lacunes en conquête directe. C’est là-dessus qu’il nous faudra appuyer.

Dans nos colonnes, Richard Dourthe écrivait lundi vous avoir trouvé très bon contre l’Argentine mais regrettait néanmoins que vous ayez mal négocié deux surnombres…

Je suis d’accord sur le premier. Il y a un faux trou, j’essaie de m’y faufiler mais ça se referme aussitôt. J’aurais dû faire la passe immédiatem­ent et je m’en suis excusé auprès de mes partenaire­s. Ce n’est pas trop dans ma nature, de garder les ballons…

Et le second, alors ?

Nous avons une mêlée fermée à dix mètres de leur ligne. Derrière ça, il y a un deux contre deux à jouer. Si je ne garde pas la balle, Teddy (Thomas) se fait découper par le flanker qui chasse et par l’ailier. Là, le choix était bon.

Puisqu’on parle de surnombre, celui mal négocié par Teddy Thomas lors du premier test a fait couler beaucoup d’encre. Qu’en avez-vous pensé ?

J’ai un avis très tranché là-dessus. D’une, ça me fait beaucoup de mal qu’on ait pu à ce point tailler Teddy. De deux, des joueurs comme Teddy Thomas dans le rugby français, ça se compte sur les doigts d’une main. […] Cette action dont vous parlez, elle n’aurait même pas dû exister. Qui aurait pu casser six plaquages comme il l’a fait ? S’il gagne son duel, tout le monde dit que c’est un monstre.

Certes…

Je me souviens d’un match en Écosse, l’hiver dernier, où il plante deux essais sur des exploits personnels. Ai-je alors entendu dire qu’il avait oublié des surnombres ? Non, je ne crois pas…

Vous êtes aujourd’hui indiscutab­le derrière la mêlée tricolore. Aux prémices de l’ère Brunel, vous étiez pourtant le numéro 5 dans la hiérarchie…

J’étais à ma place, voilà tout. Ma saison à Bordeaux avait été nulle, Morgan (Parra) était le plus expériment­é de nous tous, Max Machenaud était le patron au Racing, Antoine Dupont et Baptiste Couilloud étaient en pleine explosion. Il n’y avait vraiment pas à crier au scandale. […] Vous savez, j’avais été habitué à jouer presque trente-cinq matchs sur mes deux premières saisons en Top 14 et, l’an passé, j’en ai disputé dix-huit, dont cinq ou six comme remplaçant. J’étais hors de forme.

Comment avez-vous traversé cette dernière saison « nulle » ?

Mentalemen­t, c’était difficile. Je voyais tout le monde me passer devant. Surtout, je les voyais me dépasser sans que je puisse jouer, ce qui m’agaçait encore plus... J’avais en moi une sorte de mal-être. J’avais l’impression d’être impuissant. J’étais focalisé sur une préparatio­n physique qui ne m’allait pas du tout. Je faisais trois actions, j’étais mort. Ça ne m’était jamais arrivé de toute ma carrière.

Pourquoi aviez-vous perdu votre fraîcheur ?

Du jour au lendemain, j’ai été responsabi­lisé à l’UBB. J’ai peut-être pris ce rôle trop à coeur. Je décortiqua­is le jeu des adversaire­s, ne pensais qu’à la stratégie globale de mon équipe. J’avais oublié qui je suis vraiment. Et puis, j’étais haineux de ne pas être à mon niveau, et de mettre le groupe en danger.

Quelle fut la clé pour sortir du tunnel ?

Mon préparateu­r mental m’a demandé d’arrêter de vouloir faire plaisir à tout le monde, de vouloir être sur tous les fronts. Il m’a dit de jouer mon jeu et de me foutre de ce que pouvaient bien penser les uns ou les autres. On ne peut pas plaire tout le monde. Quand je l’ai compris, j’ai été libéré.

Est-ce tout ?

L’été dernier, la tournée en Nouvelle-Zélande m’a fait un bien fou. On m’avait promis l’enfer là-bas et malgré ces trois larges défaites, j’y ai pris énormément de plaisir. Par moments, je voyais bien qu’on les faisait souffrir. Par moments, je voyais bien que les Blacks se posaient des questions. Ils nous sont évidemment supérieurs mais je n’oublie pas, non plus, qu’il y eut sur chaque match une énorme faute d’arbitrage contre nous…

Vous étiez là-bas la doublure de Morgan Parra. On dit qu’il est infect avec la concurrenc­e. Est-ce vrai ?

Ça, je l’ai déjà entendu et pour tout vous dire, je me posais beaucoup de questions avant de partir. Et puis, j’ai découvert quelqu’un de génial. (Il marque une pause) Ouais, j’ai vraiment accroché…

Pourquoi ?

En Nouvelle-Zélande, Morgan Parra m’a pris sous son aile. J’ai un peu retrouvé avec lui la relation que j’avais avec Heini Adams à Bordeaux. Morgan est beaucoup plus fort que moi sur le poste, il n’y a rien à dire : il compte 70 sélections, a disputé deux Coupes du monde, remporté deux Boucliers de Brennus…

Aviez-vous déjà connu des moments difficiles, avant la saison dernière ?

Oui. Le jour où j’ai quitté la pelouse de Chaban-Delmas sous les sifflets (décembre 2016), j’étais vraiment au fond du seau. Je suis dans ce club depuis mes 15 ans, j’ai toujours tout donné pour lui et jusqu’à ce que mon contrat se termine, je donnerai tout pour lui. […] Il m’a donc fallu du temps pour comprendre que les supporters attendaien­t de moi que je joue toujours comme un internatio­nal. […] Mais ce jour-là, j’étais passé à côté. J’avais fait de la peine à ces gens, je m’en voulais. Et d’un autre côté, je leur en voulais de ne pas reconnaîtr­e tout ce que j’avais donné au club.

Avec 91 points marqués, vous êtes actuelleme­nt le meilleur réalisateu­r du Top 14. Quel fut le conseil le plus précieux que vous a délivré Dimitri Yachvili, dans le jeu au pied ?

Le relâchemen­t. C’est la clé de tout. J’ai récemment commencé le golf et, à mes yeux, les deux balancemen­ts au moment de la frappe se ressemblen­t. Sur le green, j’ai aussi remarqué que lorsque j’étais totalement relâché, j’envoyais de sacrées «pralines». A contrario, dès que je me posais des questions sur la qualité du grip ou le placement de mes hanches, tout foirait. Que faut-il faire, pour être totalement relâché ?

S’enfermer dans sa routine. Parce qu’elle rassure. La mienne est immuable, du placement du ballon à la course d’élan, en passant par le repère au niveau des poteaux. Vous comptez aujourd’hui 22 sélections en équipe de France. Il y a quatre ans, au terme du Mondial des moins de 20 ans en Nouvelle-Zélande, vous disiez pourtant à votre père, Philippe, que ce maillot bleu serait le dernier. Pourquoi ? Le XV de France n’est pas toujours la suite logique du Mondial des moins de 20 ans. Il y a un écart gigantesqu­e entre les deux univers et à l’époque, je ne pensais vraiment pas être un jour internatio­nal. À Bordeaux, j’avais fait des bouts de matchs en première, des rencontres de Challenge européen. Je ne savais même pas si j’avais le niveau Top 14. Alors, le rugby internatio­nal… Vous avez le gabarit d’un homme lambda (1,81 m et 80 kg). Est-il parfois difficile de rivaliser au niveau internatio­nal ? Il y a des moments frontaux avec de gros gabarits où je charge, forcément. Je ne vais pas vous mentir, je me suis fait ravaler un paquet de fois en Top 14. J’ai par exemple pris Tuisova en pleine poire, il y a deux ans. Il m’avait renversé. Bon… Ce sont des moments un peu chiants mais j’essaie de compenser par le courage. Est-ce suffisant ?

Je n’ai pas l’habitude de me sortir. (sic) J’essaie parfois de plaquer en haut pour ralentir le porteur de balles et attendre un coéquipier. Ou alors de viser les chevilles pour que ça tombe vite. Mais je ne m’enlève jamais. De la démission de Rory Teague à l’arrivée de Christophe Urios, il s’est passé beaucoup de choses à Bordeaux ces dernières semaines. Comment l’avez-vous vécu ? (Poirot) et moi, pour nous Juste annoncer avant d’avertir le départ la de presse, Rory Laurent Teague. Marti nous a appelés, Jeff Comment avez-vous réagi ?

Je ne remettrai jamais en cause ce que fait le président. Il a un amour inégalable pour ce club. Était-ce une surprise ? Oui, une énorme surprise. Rory avait été efficace, en un sens. Pourquoi ?

Chez nous, il a sorti beaucoup de mecs de leur confort, moi le premier. Et dans l’ensemble, ses conviction­s rugbystiqu­es me plaisaient beaucoup.

« Je ne pars pas parce qu’il y a un projet de merde à Bordeaux ou parce que le club est instable.

Non. C’est mon histoire. C’est l’histoire de ma vie. Je change parce qu’il est temps de quitter la maison »

Mais ?

Il avait un fonctionne­ment humain qui pouvait parfois déplaire. Avec moi, tout n’a pas été rose au début. Rory avait écarté certains joueurs historique­s de l’UBB à son arrivée au club (Hugh Chalmers, Ole Avei, Julien Rey, Clément Maynadier…) et je l’avais mal vécu. […] Voilà, ce sont des choses que j’aurais aimé changer chez lui. Mais il était le patron. Et on ne peut pas changer les gens, n’est-ce pas ?

A-t-il essayé de vous faire changer, lui ?

Oui. Il m’a demandé d’arrêter de jouer tous les ballons ! (rires)

Vous l’avez écouté ?

Oui. J’ai le respect de la hiérarchie.

Il vous préférait néanmoins Yann Lesgourgue­s…

Et il avait raison ! Yann était meilleur. De toute façon, Rory a toujours été transparen­t avec moi. À une époque, il ne me faisait plus jouer parce que mes performanc­es ne correspond­aient pas à ce qu’il avait vu de moi, à la télé, avant d’arriver à Bordeaux.

Quelle opinion avez-vous d’Urios ?

Il va amener de la rigueur à l’UBB. Pour connaître ce club mieux que pas mal de monde, c’est exactement ce dont il a besoin. Mais d’ici là, nous serons tous au service de Joe Worsley. Je veux quitter ce club avec quelque chose.

Pourquoi l’UBB ne vous a-t-elle proposé qu’un contrat d’un an, en avril dernier ?

Je ne suis pas là pour casser du sucre. Le président m’a proposé une prolongati­on, j’ai décidé de prendre un autre chemin, c’est tout. Je suis déçu que les supporters de Bordeaux le prennent mal…

Pourquoi ?

Je savais que tôt ou tard, je quitterais le club. J’avais envie de changer de monde et de sortir de mon cocon. Je ne pars pas parce qu’il y a un projet de merde à Bordeaux ou parce que le club est instable. Non. C’est mon histoire. C’est l’histoire de ma vie. Je change parce qu’il est temps de quitter la maison.

La maison ?

Mais c’est chez moi, Chaban ! C’est là que j’ai grandi ! Et puis, je sais ce que je dois à l’UBB et son président. Sans eux, je ne serais jamais devenu internatio­nal. Laurent Marti, l’UBB, je ne les oublierai jamais.

Pourquoi avoir choisi Toulon ?

J’ai bien accroché avec Mourad Boudjellal et Patrice Collazo. Leur projet m’a titillé.

Le RCT est actuelleme­nt douzième du championna­t. Vous êtes vraiment sûr de vous ?

Certains me disent que je suis malade. Mais je n’ai pas peur. Et puis, si je me trompe, je passerai juste pour le mec qui a fait un mauvais choix.

Pourquoi n’êtes-vous pas parti plus tôt de Bordeaux ?

Le RCT a voulu me recruter il y a deux ans. Je n’étais pas insensible à sa démarche mais à l’époque, j’étais encore sous contrat à Bordeaux. J’avais fait de cet engagement avec l’UBB une histoire personnell­e. Je ne pouvais pas rompre mon contrat. Je ne pouvais pas faire ça à Laurent (Marti), qui me connaît depuis tout petit.

« J’avais en moi une sorte de mal-être. J’avais l’impression d’être impuissant. [...]

J’avais oublié qui je suis vraiment »

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Photos Midi Olympique - Patrick Derewiany
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