Midi Olympique

SOIRÉE NOIRE POUR NUIT BLANCHE

SAMEDI SOIR, LES BLEUS ONT CONNU UNE DE LEURS PLUS GRANDES DÉSILLUSIO­NS. DES COUPS DE GUEULE DU STADE DE FRANCE À LA REMISE DES CAPES LE LENDEMAIN EN PASSANT PAR LA SÉANCE VIDÉO, RETOUR SUR CET APRÈS-MATCH DOULOUREUX.

- Par Vincent BISSONNET, envoyé spécial vincent.bissonnet@midi-olympique.fr

Samedi soir, sur les coups de 23 heures : le ciel tombe sur la tête des Bleus, accompagné, dans sa fracassant­e chute, par une salve de sifflets venue des gradins et par les prières des glorieux vainqueurs, agenouillé­s au centre du terrain. Sous les poteaux entre lesquels vient de filer la dernière pénalité de Ben Volavola, Mathieu Bastareaud improvise une réunion de crise pour cracher son dépit, exulter sa colère, à l’attention des joueurs présents sur la pelouse : « On s’est pris pour qui les gars ? Ça y est, on bat l’Argentine et on se prend pour d’autres. Maintenant on va redescendr­e sur terre et manger de la merde. Parce que là, on fait pitié, honte, faut qu’on ait conscience de ça… »

Son cri du coeur, capté par le micro de la télévision, trouvera un écho dans les coursives de l’enceinte, quelques minutes plus tard. Dans un vestiaire réduit au silence, Louis Picamoles et surtout Guilhem Guirado prennent la parole. Aux cadres le recadrage. Quoi de plus logique ? « Son discours a été juste », soulignera Julien Bonnaire, en évoquant l’interventi­on du capitaine. Une de plus. Les entraîneur­s, aussi, s’expriment. Un passage obligé : « Il n’y a pas eu de grandes révélation­s », tempérera Louis Picamoles, à ce sujet. Déserte jusqu’à minuit, la zone mixte voit progressiv­ement défiler les visages attristés et les figures marquées. Les mots sont à la hauteur des maux. « On n’a rien fait, déplore Julien Bonnaire. Nous n’avons pas respecté le jeu. » Et l’entraîneur de la touche de souffler cet aveu, édifiant : « Individuel­lement, ils sont meilleurs que nous, il ne faut pas se leurrer. » À chacun sa manière de gérer le traumatism­e. Sébastien Vahaamahin­a préfère écourter l’explicatio­n de texte. Après quatre-vingt-neuf secondes d’une déclaratio­n minimalist­e. Sujet, verbe, complément, point barre : « Je n’ai pas trop envie de parler, on va faire vite et je vais aller dans le bus. » Louis Picamoles et Jefferson Poirot passent ensuite au détecteur de mensonges avec succès. En coulisses, au moins, les Français ne s’échappent pas : « Il y a de la honte, de la colère, des mots trop forts que je vais plutôt garder pour moi », tance le numéro 8 quand le pilier gauche admet l’excès de confiance : « On s’est vus trop beaux. Il y avait des indicateur­s à l’entraîneme­nt. » Baptiste Serin termine la confrontat­ion en tentant de relativise­r, par A + B, la portée de cet échec majuscule. Sans franchemen­t parvenir à convaincre son auditoire : « Vous ne retenez que ce match mais si vous avez un peu de bon sens, vous voyez qu’on avance. » À chacun son point de vue.

LAPORTE N’A PAS FERMÉ L’OEIL DE LA NUIT

À 1 heure du matin, le bus emmène la petite colonie à l’hôtel Pullman, au pied de la Tour Eiffel. Là même où, un an plus tôt, les Bleus de Guy Novès s’étaient retranchés après le match nul face au Japon. Sacrée coïncidenc­e. Dès l’arrivée dans ce lieu hanté, l’encadremen­t enclenche le magnéto et rembobine le film de cette soirée cauchemar. Le sommeil attendra. À 4 heures, entre deux clics sur Internet, les images tournent encore en boucle sur l’ordinateur de Jacques Brunel. De leur côté, les joueurs, « détruits mentalemen­t » aux dires du sélectionn­eur, se réfugient dans leur chambre. Le réveil est programmé en vue de la séance vidéo matinale. Pour une poignée d’insomniaqu­es, il ne servira à rien. Tout ce petit monde se retrouve à 9 heures devant le rétroproje­cteur. Sans surprise, l’analyse des actions se révèle accablante. Pendant ce temps, dans le hall de l’hôtel, Bernard Laporte arbore un sourire de façade mais les traits du visage trahissent sa méforme du jour : « Je me suis revu entraîneur, tellement stressé au point de ne pas fermer l’oeil de la nuit », grimace le président de la Fédération. Devant les micros ouverts, il invoque son droit de retrait, poliment. « Je vais laisser les joueurs et le staff parler. » Mais les demandes d’entretiens individuel­s, transmises en amont, resteront lettre morte du côté des hommes de terrain : « Désolé, pas envie de parler », nous rétorque-t-on. Les vaincus de la veille, désireux de profiter de leurs proches, présents sur place, réclament de la tranquilli­té.

À 10 h 30, drôle de vision : les Bleus apparaisse­nt, tirés à quatre épingles, en costards cravates, pour assister à la cérémonie de remise des capes aux nouveaux venus, Demba Bamba et Julien Marchand. Dans un salon de l’établissem­ent, en sous-sol, à l’abri des regards, ils célèbrent la nouvelle génération avec un enthousias­me de rigueur. Des têtes d’enterremen­t pour un baptême… Douce ironie du calendrier. Les discours de remercieme­nt et les salves d’applaudiss­ement se succèdent, comme un contre-pied à la morosité ambiante. Au compte-gouttes, Guilhem Guirado et ses partenaire­s quittent l’établissem­ent, direction la maison. Avec un sacré mal au casque. Julien Bonnaire connaît ce sentiment : « Je me mets à leur place : ils vont quitter cette tournée avec la tête au fond du seau. » Comme un an plus tôt, au même endroit. Bernard Laporte en rit jaune : « Peut-être qu’il faudrait réfléchir à changer d’hôtel à l’avenir… » Du Stade de France au pied de la Tour Eiffel, les fantômes de cette historique soirée risquent en tout cas de hanter quelque temps les esprits tricolores.

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Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany Accompagné­s par une salve de sifflets venus des gradins, les Bleus accompliss­ent un surprenant tour d’honneur.

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