S’INSPIRER
La France, décidément, est un pays impayable. La semaine dernière, à l’écoute des radios, à la lecture des journaux, j’apprenais, un peu désorienté, que notre XV national avait non seulement retrouvé son rang, mais serait bel et bien fichu, dans un an, de réussir une Coupe du monde épatante. Pardi ! La victoire, sur de modestes Argentins - tellement bienvenue, bien sûr - suscitait alentour un tel tonnerre de superlatifs, soulevait un tel enthousiasme, que je me trouvais un peu crétin avec mes réserves d’usage sur le jeu et notre incapacité manifeste à conclure, par des gestes simples, des actions qui auraient mérité de l’être. Une semaine après, c’est le retour de la sinistrose. Ce qui n’a pas empêché, soit dit en passant, nos Bleus, après coup, d’aller saluer, en l’applaudissant, le public du Stade de France. J’ai connu une époque où les joueurs du XV de France, après une déconvenue pareille, n’auraient eu de cesse que d’aller se cacher dans un recoin des vestiaires pour masquer leur indignation. Le comble de la confusion, sans doute. La mère patrie du déni de réalité est en marche et rien ne l’arrêtera. Nous sommes victimes, depuis longtemps, d’un mal très profond qui se traduit par une combinaison unique d’arrogance et de haine de soi. Nous cumulons une vanité sans pareille avec un manque de confiance en nous-mêmes qui est le symptôme même des cultures en déclin. Un jour au désespoir, l’autre au roulement des mécaniques.
Mais n’en dites surtout rien aux maîtres d’oeuvre du plus beau championnat du monde, qui n’ont toujours pas intégré, que notre Top 14 était lent, lourd, monotone, et que les réflexes pris dans ce rugby à quatre pattes, rejaillissait forcément sur celui des Bleus, incapables d’élever un tant soit peu leur niveau d’insuffisance. Qui n’ont surtout pas compris, les Tartuffe, qu’en demandant à la main-d’oeuvre fidjienne de gagner les matchs de nos clubs, ils finiraient bien un jour par se payer notre fiole. Le comble de la confusion, dis-je.
Très français. Très actuel. Passons. Et réjouissons-nous plutôt de la prestation de ces Fidjiens, devant cette leçon de rugby libre qu’une fois de plus ils nous ont infligée. Je n’ai d’ailleurs pas souvenir d’un seul match, dans l’histoire de ce jeu, que les Fidjiens n’aient pas dominé, contre la France, dans l’ordre du mouvement et de la grâce. On aurait dû perdre contre eux, en 1987, lors du fameux quart de finale du Mondial qu’ils enluminèrent comme une estampe. On aurait pareillement dû perdre, à Toulouse, en 1999, sans une mêlée forte et quelques ballons portés.
Pour ce qui est de la vitesse, en effet, du jeu de passes, des défis d’homme à homme, de l’engagement mis au service d’un jeu coulé, continu, admirable de vivacité gestuelle, ils n’ont pas leur pareil au monde. Il arrive que leur conquête laisse à désirer, que la rigueur soit un mot exclu de leur vocabulaire, qu’ils déjantent totalement en cours de rencontre pour des raisons qui restent incompréhensibles à notre supposé cartésianisme.
Mais pour le reste, quel bonheur ! Avec eux, tous les ballons sont joués, sans faux calculs ni consignes bêtifiantes. Il passe dans leur manière d’être une sorte de lâcher-tout salvateur. Le rugby n’est qu’un jeu. Un jeu où l’on s’amuse. Tout le contraire en somme de ce pensum auquel le rugby français se soumet depuis des lunes, via des engouements mimétiques, des diktats stratégiques, des prétentions consternantes, vite transformées en désespérances coupables.