Midi Olympique

« Je ne vais pas dire que ce groupe ne vaut plus rien »

JACQUES BRUNEL - Sélectionn­eur du XV de France DIMANCHE APRÈS-MIDI, UN PEU AVANT 16 HEURES, NOUS AVONS RETROUVÉ LE PATRON DES BLEUS POUR ÉVOQUER LA DÉROUTE VÉCUE QUELQUES HEURES PLUS TÔT, FACE AUX FIJDI. SES QUESTIONNE­MENTS, LA GESTION DU GROUPE ET LES PR

- Propos recueillis à Paris par Nicolas AUGOT et Vincent BISSONNET

Au lendemain de la défaite face aux Fidji, quelle est votre sensation ? Vous évoquiez samedi soir un coup d’arrêt : le percevez-vous toujours ainsi ?

C’est une grosse désillusio­n ! C’est la sensation qui domine car les matchs précédents avaient donné des enseigneme­nts, une tendance, des indication­s sur la constructi­on du groupe. C’était et c’est porteur d’espoirs. Ce faux pas vient casser la dynamique. Ça casse quelque chose. C’est ça qui est dur.

À quel point ce revers remet-il en cause la constructi­on de votre groupe ?

Ça remet des choses en cause, oui. Mais pas au point de dire que cela remet en cause tout le groupe. Ce serait incroyable d’imaginer ça pour une équipe qui a rivalisé avec l’Afrique du Sud et l’Argentine. Elle a même été capable de les dominer… Face aux Fidji, nous ne sommes pas entrés dans la partie. Nous n’avons pas mis les bases, l’engagement, l’agressivit­é. Nous avons donc été confrontés à des problèmes sur quasiment toutes nos constructi­ons.

Êtes-vous déçu par le comporteme­nt des joueurs ?

Je suis déçu, oui. Déçu car, avec cette rencontre, ils ont effacé ce qui avait été mis en place sur les deux matchs précédents. On ne va retenir que ce résultat contre les Fidji. Pourtant, notre jeu était plus abouti mais ils n’ont pas su confirmer.

Est-ce votre plus mauvais match de l’année ?

Sur la constructi­on sans doute, oui, c’est notre plus mauvais match. Sur chaque duel, l’équipe a été en difficulté. En attaque, il y a eu vingt-trois ballons perdus ; nous passons de 6 à 13 % plaquages manqués en défense… J’ai procédé à l’analyse vidéo jusqu’à 5 heures cette nuit et je me suis levé à 7 heures pour continuer. Je n’ai quasiment pas dormi. J’ai eu la confirmati­on de ce que l’on voyait déjà très bien depuis les tribunes.

Quelle était l’essence de votre discours, ce dimanche matin, lors de la vidéo, avec le groupe ?

C’est trop gros pour être vrai. Mais ça remet en perspectiv­e nos qualités et nos défauts. Il faut avoir une exigence terrible pour être dans les meilleurs. Nous n’avons pas de constance. L’histoire le montre. Je veux le prendre, et j’espère que les joueurs aussi vont le prendre pour un échec salutaire. On n’a plus le temps pour construire. On n’a plus le temps pour se tromper. Il faut que chacun ait une exigence, mais pas sur les trois semaines de rassemblem­ent. Ce doit être une exigence de tous les jours. Ils doivent avoir envie d’être les meilleurs au quotidien. Certains l’ont, mais pas tous. En tout cas, personne n’est irréprocha­ble à ce jour.

Mathieu Bastareaud parlait de petits garçons. Est-ce aussi votre ressenti ?

Il voulait dire comme des petits garçons qui se font taper sur les doigts régulièrem­ent, je pense. Ils sont déçus mais ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Il reste deux mois avant le Tournoi et ils ne doivent avoir qu’une chose en tête : que va-ton faire pour s’améliorer ?

Avez-vous tout de même plus de certitudes au sortir de cette tournée qu’au début ?

Le lendemain d’une défaite, parler de certitudes, c’est dur. Nous avons essayé de mettre en place une ossature qui, globalemen­t, a donné satisfacti­on même si le dernier match a montré qu’elle avait besoin de plus de régularité. Il me semble que ça passe par cette stabilité. Mais il faut que ce groupe soit capable d’avoir les idées claires. Encore une fois, ça nécessite de travailler plus. Tous ceux qui ont subi cet échec doivent transforme­r leur amertume pour qu’elle soit constructi­ve.

Vous parlez de remise en question pour vos joueurs. Qu’en est-il pour vous ?

Je me suis posé la question évidemment : qu’est-ce que j’ai loupé dans la semaine ? Depuis trois semaines, j’avais le sentiment que tout s’imbriquait relativeme­nt bien, que notre constructi­on avait du sens. Je me suis demandé comment nous avons pu en arriver là. J’y pense.

Jefferson Poirot parlait d’indicateur­s dans la semaine qui avaient laissé entrevoir une décompress­ion de la part de votre équipe. Avec le recul, partagez-vous ce sentiment ?

Tout le monde se demande pourquoi, comment ? C’est logique de chercher des réponses. Les joueurs étaient conscients du danger que pouvaient représente­r les Fidji. Estce que de trop en parler, ça n’a pas provoqué l’effet contraire ? C’est l’une des questions que l’on peut se poser.

Avez-vous la tentation de baisser les bras ?

Non ! J’ai la particular­ité d’avoir entraîné quelques équipes nationales, j’ai préparé un certain nombre de matchs. Les déceptions, j’en ai connu. Je sais que ce qui compte, c’est de trouver comment se relever. C’était un moment important dans notre constructi­on. On l’a loupé. Il manque encore des pièces au puzzle. Mais ma déterminat­ion est intacte. Je réfléchis aux leviers à activer.

Avez-vous envisagé un électrocho­c au sein du groupe en écartant plusieurs joueurs ?

Franchemen­t, non. Je ne peux pas oublier ce qui a été bien réalisé sur les deux matchs précédents. Je ne peux pas en trois secondes tout balayer. Mais en revanche, je vais regarder précisémen­t quel degré d’exigence chacun devra avoir pour effacer cette désillusio­n.

N’avez-vous pas l’impression que seuls Guilhem Guirado et Mathieu Bastareaud ont montré la voie ? Avec, par instants, Louis Picamoles en relais…

Il n’y a pas eu l’osmose collective que j’attendais, c’est vrai. Notamment sur l’intensité, la déterminat­ion. Après, je trouve effectivem­ent que Louis a réalisé une très belle partie. Il était au niveau où on l’attend.

Des joueurs ont-ils reçu un avertissem­ent lors de la vidéo ?

Non, personne en particulie­r. J’ai mis en avant le groupe qui étant en train de se constituer ces dernières semaines. Ce n’est pas pour commencer à dire qu’il ne vaut plus rien.

Avez-vous conscience du mécontente­ment des supporters qui, avec cette défaite historique, ont l’impression de revivre le scénario de la tournée de 2017 ?

Quand tu as fait des choses intéressan­tes pendant trois semaines et que tu fous tout en l’air ou presque, tu sais les commentair­es que tu vas entendre : « Allez, c’est reparti… » Je n’y étais pas avant, je ne veux pas en parler. Ce que je peux dire, c’est que je sens que sur le temps passé avec cette équipe, il y avait quelque chose d’intéressan­t, un équilibre qui était en train de se créer. Est-ce que ça remet tout en cause ? La question, elle est là. La réponse, j’en connais une partie, quand je vois l’engagement mis sur la pelouse samedi. Est-ce qu’il y en a d’autres ? Est-ce que cette ossature peut tenir la route ? Nous allons y réfléchir dans les jours et semaines à venir.

Le XV de France n’abordera pas le Tournoi dans les meilleures conditions…

Ce sera un gros défi, notamment avec la réception des Gallois d’entrée. Ils sont sur un enchaîneme­nt de victoires. On les sait capables d’imposer de longues séquences avec une maîtrise assez extraordin­aire, comme les Irlandais. D’ailleurs, il y aura deux tests importants en Irlande et en Angleterre. Ils vont permettre de savoir comment le groupe répond. Ce qui m’intéresser­a, c’est le comporteme­nt, le contenu, avant tout.

En espérant qu’à la fin du Tournoi, vous pourrez regarder en arrière et dire : « Les Fidji, c’était bien un accident »

J’espère qu’on pourra le dire. Je veux le croire. J’aurais préféré que cette défaite n’arrive pas. Il était en tout cas préférable qu’elle arrive maintenant, si ça devait se produire. C’était le moins pire.

Des changement­s sontils à attendre dans le groupe ?

Ce qui est sûr, c’est qu’il y a tout un tas de joueurs qui n’étaient pas là sur blessure et qui postuleron­t. Parra, Machenaud, Dulin, Lamerat, Fofana, Camara… Il y a certain nombre d’éléments qu’on ne peut pas écarter. Pour ceux qui reprendron­t en janvier ou février, ce sera plus dur. Lors des deux mois qui arrivent, il y a dix matchs. Nous allons voir les performanc­es des uns et des autres avant d’établir la liste pour le 10 janvier. J’espère d’ailleurs que les clubs fournisseu­rs d’internatio­naux n’auront pas trop de blessés et pourront faire un roulement d’ici là pour ne pas trop tirer sur la corde des Bleus.

La France est désormais neuvième au classement mondial. Le dernier carré de la Coupe du monde est-il à l’heure actuelle envisageab­le ?

Je ne me projette pas dans un calendrier pareil, sur des ambitions pareilles. Ce qui m’importe, c’est de continuer à se mesurer à ce qui se fait de mieux pour savoir où l’on en est. Aujourd’hui, je sens que nous ne sommes pas loin des nations que nous avons affrontées. Mais de là à dire que le XV de France sera dans le dernier carré, le chemin est encore long. Je n’aurai pas cette prétention.

« Les déceptions, j’en ai connues. Je sais que ce qui compte, c’est de trouver comment se relever. » « J’espère qu’on pourra le dire. Je veux le croire. J’aurais préféré que cette défaite n’arrive pas. Il était en tout cas préférable qu’elle arrive maintenant, si ça devait se produire. C’était le moins pire. »

 ?? Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany ?? Jacques Brunel et les Bleus sortent de cette tournée d’automne avec plus d’interrogat­ions que de certitudes.
Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany Jacques Brunel et les Bleus sortent de cette tournée d’automne avec plus d’interrogat­ions que de certitudes.

Newspapers in French

Newspapers from France