Midi Olympique

FORMES DE DÉPRESSION

- Par Jacques VERDIER

Marcel Rufo a très justement laissé entendre la semaine dernière que le XV de France souffrait d’une sorte de dépression chronique pour les raisons que l’on sait : perte de confiance généralisé­e, elle-même liée aux défaites en séries ; doute de soi et des autres ; absence de certitudes et de repères forts. Le mal, comme le suggérait Marcel, est sûrement beaucoup plus profond qu’il n’y paraît de prime abord et mériterait que les responsabl­es s’y attardent. Comme il existe des spirales positives, euphorisan­tes, auxquelles s’agrègent les victoires, et qui permettent, parfois, à certaines équipes, de se dépasser dans des proportion­s inouïes, il existe pareilleme­nt des spirales négatives, anesthésia­ntes. On perd le goût de tout. On est frappé par une soudaine inappétenc­e dont on ne se relève jamais sans l’appui de quelques phénomènes extérieurs. Cet aspect des choses, longtemps jugé secondaire, que l’on se garde bien d’avouer, que l’on cache même comme une maladie honteuse, doit être aujourd’hui appréhendé avec le plus grand sérieux. Le XV de France n’est pas nul à proprement parler. Il aurait pu battre l’Afrique du Sud et s’est imposé contre l’Argentine. Mais il ne croit plus en lui. Il a peur de perdre. Il est tétanisé par l’échec. Et ne se relèvera pas sans un vrai travail sur lui-même.

Las, je redoute que le mal, par capillarit­é, ne soit en passe d’atteindre toutes les couches du rugby français. C’est éminemment vrai des amoureux de ce jeu qui délaissent ce sport. Et qu’on ne vienne pas me dire que l’équipe de France, seule, est victime de ce désamour. Il ne se passe pas une semaine sans que je ne croise des gens qui m’assurent bouder leur équipe, se détourner du jeu. La semaine dernière encore, au sortir du match Toulouse - Paris, je n’ai essuyé que des doléances. Les supporters toulousain­s ne s’en prenaient pas spécialeme­nt au Stade qui réalise, somme toute, un excellent début de saison, mais se plaignaien­t d’opposition­s ineptes, de rencontres sans intérêt. Plus que hier, où l’on ne mégotait pas trop sur l’aspect spectacula­ire des choses, les gens qui n’ont pas la chance d’être invités par des entreprise­s, ne veulent plus dépenser des sommes relativeme­nt conséquent­es, pour assister à des rencontres où il ne se passe rien. C’est là encore un problème essentiel que l’on ne saurait balayer d’un revers de main. Pour les raisons économique­s que notre pays se met en devoir d’illustrer via les « gilets jaunes », mais pas seulement. Sauf exception notable, on s’emmerde dans les stades comme on s’emmerde devant les télévision­s. Et c’est le sentiment le plus largement partagé qui soit. Or je ne voudrais pas que le rugby, comme le basket avant-hier, ne se retrouve relégué, demain, faute d’avoir su répondre aux lois de la société du spectacle, sur quelques chaînes payantes de deuxième zone.

Le rugby « tendance » est passé de mode et je ne sens pas alentour un vrai désir de s’emparer du problème à bras-le-corps. On le minore. On le réfute. On procrastin­e. Il ne faudrait pas qu’il finisse par nous étouffer. La dépression, enfin, touche toutes les couches du rugby amateur. Le phénomène, ici, n’est pas nouveau, mais tend à s’amplifier. Perte des bénévoles, abandon de postes, jeunes joueurs qui, passé leurs seize ans, se détournent du rugby. Emmanuel Massicard, l’autre semaine, demandait à bon droit des états généraux du rugby. Ils n’auront évidemment pas lieu. Une forme de lassitude touche aujourd’hui aussi la classe dirigeante en perte de mordant, en panne d’initiative­s. Demain sera un autre jour. Bon sang, mais c’est bien sûr. Il suffit d’y croire.

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