« Si je m’investis, c’est pour que mes enfants puissent jouer au rugby en toute sécurité »
LAURENT SEMPÉRÉ - Talonneur du Stade français LES DEUX PROFONDES CICATRICES QUI ORNENT SON COU NE TROMPENT PAS : LAURENT SEMPÉRÉ EST CHANCEUX. IL EST LE SEUL JOUEUR DE TOP 14, TOUJOURS EN ACTIVITÉ, À AVOIR SUBI DEUX LOURDES OPÉRATIONS DES CERVICALES. FORCÉMENT, LES RÉCENTS ÉVÉNEMENTS TRAGIQUES L’ONT CONVAINCU À ENFIN ACCEPTER DE RÉPONDRE À NOS SOLLICITATIONS ET À EXPLIQUER SON ENGAGEMENT SUR LA LISTE DE TCHALE-WATCHOU POUR LES PROCHAINES ÉLECTIONS DE PROVALE. Comment jugez-vous l’évolution de ce sport qui, pour certains, est de plus en plus violent ?
Il faut dissocier l’évolution du rugby qui est positive sur les dernières années et le jeu qui est développé. À l’échelle des quinze dernières années, notre discipline a beaucoup grandi. D’abord, il y a plus de monde dans les stades, plus de visibilité. La métamorphose du rugby, c’est un sacré boulot qui a été opéré et qui a bien fonctionné. Ensuite, il y a le jeu qui est en perpétuelle évolution. Par le passé, la mêlée a longtemps posé problème mais l’évolution de la règle et des comportements a permis de rendre cette phase de jeu moins dangereuse. Aujourd’hui, ce sont les zones de plaquage et de ruck qui sont à sécuriser.
Seulement vous ne pouvez pas nier la multiplication des accidents graves ces derniers temps…
Pour offrir un show tel que le rugby est devenu, nous sommes allés vers un sport spectacle. Le temps de jeu effectif a doublé, les joueurs sont devenus de vrais athlètes. Et en doublant le temps de jeu effectif au nom de ce sport spectacle, on a aussi doublé les phases d’affrontements. Et comme les joueurs sont de plus en plus costauds, les impacts sont de plus en plus rudes. Avec la professionnalisation du rugby, on a donc multiplié les risques.
Vous en portez des stigmates puisque vous avez subi deux lourdes opérations des cervicales qui auraient pu vous contraindre à l’arrêt du rugby…
Je ne veux pas trop parler de mon cas. Disons que j’ai eu de la chance.
Mais avez-vous craint pour votre intégrité physique ?
Très honnêtement, je n’y ai pas pensé mais on m’en a parlé. On m’a clairement dit avant la deuxième opération que le rugby, c’était probablement fini. Je me suis interrogé, j’ai été touché mais je n’ai pas voulu y croire. Pour moi, ce n’était pas possible. Et puis, j’ai rencontré les bonnes personnes, j’ai eu la chance d’être bien entouré.
Marie, votre épouse consultante rugby sur Eurosport et ancienne joueuse internationale, a déclaré qu’elle n’avait pas très envie de voir ses deux garçons jouer au rugby. Comment réagissez-vous ?
Elle a réagi avec son coeur de maman mais si je veux m’investir, c’est justement pour que mes enfants jouent au rugby en toute sécurité. Ce sport est décrié en ce moment, peut-être à juste titre. Aménageons donc ce jeu, ces règles, pour que nos enfants ne connaissent que les bienfaits du rugby, tout en participant au spectacle.
Est-ce pour cette raison que vous avez accepté de figurer sur la liste de Robins Tchale-Watchou pour les prochaines élections du syndicat Provale ?
Ma priorité, c’est de porter la voix des joueurs au niveau de la santé. J’y suis très sensible de par mon parcours. Le cheminement a donc été assez naturel. J’ai vécu après ma deuxième opération un véritable chemin de croix, ma rééducation a été une vraie galère à organiser. Je me suis senti seul, parfois un peu démuni. Il n’y avait personne pour m’accompagner sur ce chemin-là. Je veux m’investir pour que les joueurs soient au centre des débats.
Quelles sont les réformes que vous aimeriez mener à bien si la liste de Robins Tchale-Watchou devait être élue ?
Nous échangeons énormément à ce sujet-là. Robins a le mérite d’avoir fédéré beaucoup de monde autour de lui, des gens représentatifs qui veulent s’investir.
Mais quelles sont ces mesures ?
Certaines mesures me sont particulièrement chères car elles concernent les blessures du rachis cervical et des lombaires. Nous souhaiterions développer un parcours de soins spécifiques et de rééducation pour les joueurs touchés. De l’opération jusqu’au retour sur le terrain, nous aimerions mettre en place un parcours strict, bien balisé et que chacun puisse y accéder. Nous souhaitons aussi que les préparateurs physiques puissent être formés au renforcement des cervicales. Évidemment, certains clubs en ont conscience et travaillent déjà sur ce chemin-là. Mais au nom de la sécurité du joueur, il faut que cela soit généralisé. Dans le secteur professionnel, mais aussi chez les jeunes. Dans la même lignée, il existe des bilans médicaux très poussés dans le rugby masculin professionnel, notamment pour les joueurs de première ligne. Pourquoi ne pas rendre systématique ces bilans-là pour tous les joueurs, quel que soit le poste ou le sexe. Aujourd’hui, avec l’évolution du jeu, les filles ont besoin aussi de sécuriser leur pratique.
Mais quid des joueurs en fin de carrière qui souffrent aussi des blessures liées au rugby ?
Justement, j’allais y venir. Beaucoup de joueurs, pendant leur carrière, cachent des blessures, jouent avec des blessures, se taisent pour ne pas paraître diminué aux yeux des clubs ou pour ne pas perdre une partie de leur rémunération. Résultats : certains se retrouvent avec des blessures en fin de carrière qui peuvent les handicaper durant toute leur vie. C’est pourquoi nous souhaiterions mettre un maintien généralisé du salaire dans tous les clubs quand le joueur est blessé et un bilan post-carrière qui leur permettrait d’avoir un suivi de soins tout au long de leur vie. Cela permettrait également de pouvoir observer le vieillissement de cette génération qui a vécu le professionnalisme de A à Z. Beaucoup de pathologies sont dégénératives. Et pour moi, qui suis plus proche de la fin que du début (rires), ça me semble important et j’ai envie de me battre pour mettre en place ces mesures.
Avez-vous le sentiment aujourd’hui que Provale doit devenir un acteur majeur sur la question de la protection de la santé des joueurs ?
Oui, je suis convaincu que les joueurs doivent avoir une voix importante dans les décisions prises par les institutions. Que ce soit en termes de réglementation tant dans le secteur professionnel qu’amateur. Les joueurs doivent faire partager leur expérience. Et quand je dis les joueurs, je parle de ceux qui sont en activité, ceux qui connaissent réellement le jeu d’aujourd’hui. Notre objectif est vraiment de construire, avec nos dirigeants, un rugby durable qui continuera d’être spectaculaire.
Justement, comment imaginez-vous à l’avenir les relations avec les institutions qui dirigent le rugby français ?
Nous ne voulons pas seulement participer à la construction du rugby de demain. Nous souhaitons surtout être force de proposition. Travailler de concert, cela nous semble important. Pour nous, la clé, c’est d’être représentatif. Pour être écouté, il faut fédérer du capitaine de l’équipe de France jusqu’aux jeunes joueurs des centres de formation, en passant par les féminines, les joueurs de Fédérale 1, ou les joueurs et joueuses de rugby à 7.
Vous parlez comme un futur président. La rumeur dit que vous pourriez prendre la succession de Robins Tchale-Watchou en cours de mandant si vous êtes élu. Vrai ou faux ?
Quand Robins m’a demandé de le rejoindre sur sa liste, il m’a clairement dit que son regret sur le précédent mandat était de ne pas avoir préparé sa succession. Et ça, il l’a dit à tous ceux qui figurent sur la liste. C’est donc vrai, il veut préparer sa succession. Mais moi, je ne connais pas mon avenir pour l’instant. Aujourd’hui, je suis joueur, concentré à 100 % sur mes objectifs avec le Stade français. Ma décision de continuer ou non à jouer n’est pas encore prise. Et si la question c’est de savoir si je vais arrêter de jouer pour prendre la présidence de Provale, c’est non de façon catégorique. En revanche, j’ai la volonté de m’investir pour participer aux discussions et amener mon expérience par rapport à tout ce que j’ai vécu.
Les polémiques lancées par le camp adverse à propos de la gestion de Robins Tchale-Watchou vous gênent-elles ?
Ces polémiques, je n’y prête pas attention. Ce qui m’intéresse, c’est ce qu’on peut faire pour aider les joueurs, pour aider le rugby à mieux grandir et contribuer à une évolution positive de mon sport. Mais évidemment, ce contexte n’est pas bon pour Provale. Si vous souhaitez évoquer le problème du mode de scrutin, je m’en tiens à ce qui a été décidé en comité directeur. Les deux candidats étaient présents et ont voté pour ce mode scrutin. Je l’ai personnellement vérifié sur les procès-verbaux. Pour ce qui est des comptes de Provale, j’ai simplement constaté que le commissaire aux comptes a toujours tout certifié et qu’il n’y a rien d’alarmant. Je ne vois vraiment pas comment on peut perdre du temps avec ces sujets, surtout quand on connaît l’actualité du rugby.
« Avec la professionnalisation du rugby, on a donc multiplié les risques. »