Midi Olympique

Un dimanche à 15 heures

- Par Marc DUZAN

Albi consacre un budget de 3 millions d’euros à sa seule équipe profession­nelle. Avec 300 000 euros, Nafarroa fait tourner deux équipes seniors, deux juniors, une Teulière et une école de rugby regroupant 120 mômes. Les deux entités disputent pourtant la même compétitio­n et, au hasard du calendrier de Fédérale 1, se sont même croisées début janvier, au Pays basque. Ce jour-là, il y avait 2 000 personnes dans les tribunes du vieux stade de Saint-Étienne-deBaïgorry, 1 500 habitants au dernier recensemen­t. Ce jourlà, le crachin d’hiver, les gros nuages qui s’accrochaie­nt aux Pyrénées, la maudite drache qui faisait disparaîtr­e les lignes et la glaise qui collait aux godasses agissaient pour certains d’entre nous comme une madeleine de Proust, ramenant de gré ou de force les pèlerins de Navarre aux saveurs du « vrai » rugby, celui du dimanche à 15 heures, notre matrice à tous.

Ce jour-là, il y avait du côté d’Albi un chapelet d’anciens pros, Russlan Boukerou (ex-Stade toulousain), Laurent Magnaval (ex-Toulon), Alfie Mafi (ex-Brive), Patrick Toetu (ex-Bordeaux). Ils comptaient à eux quatre quelques centaines de matchs de Top 14, le CV d’une ancienne star du 7, un entraîneur (Arnaud Mela) à quatre sélections en équipe de France. Il y avait, à Nafarroa, vingt gonzes montés comme des Reichel, un pilier droit d’un quintal à peine, un sauteur culminant péniblemen­t à 1,90 m. Chez eux, nul n’avait jamais rêvé faire du rugby un métier. Chez eux, on était étudiant, artisan, agriculteu­r, on avait vu le jour sur cette terre et, passée une victoire à laquelle on n’avait pas même osé rêver, il faudrait bien poser une journée de RTT, histoire d’évacuer les stigmates de la bringue. Comme on aurait aimé être parmi eux, ce dimanche à 15 heures. Comme on aurait aimé les écouter chanter, la gueule en vrac, face à ces vieilles tribunes qui semblaient leur répondre. Comme on aurait aimé vivre de plus près la victoire de Nafarroa sur Albi quand au même moment, autour de nous, le rugby « d’en haut » réglait ses comptes par avocats interposés, se vautrait dans la rivière dorée de ses droits télés, cédait aux sirènes ordinaires du « tout pognon »…

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