Midi Olympique

Entraîneur­s : l’univers impitoyabl­e

- Par Vincent BISSONNET vincent.bissonnet@midi-olympique.fr

C’est un métier de cons, entraîneur. Ça se voit : tout le monde devient fou avec cette profession. Ça te bouffe le cerveau. » Le propos, d’une sincérité désarmante, nous avait récemment été glissé par David Marty, en charge des espoirs de l’Usap et hésitant quant à la suite à donner à sa deuxième carrière en bord de terrain. L’entraîneme­nt, une passion au sens propre du terme, à la fois source de bonheur et de traumatism­e. Dans la dernière enquête menée par Tech XV, à l’automne 2017, 82,5 % des entraîneur­s répondaien­t favorablem­ent à la question « Rencontrez-vous du plaisir ? » Mais ces sensations fortes comportent un revers de la médaille : tous ou presque vivent sous une pression constante, rendant leur quotidien particuliè­rement anxiogène. Qui, au sein du Top 14, ne connaît pas ou n’a pas connu des nuits tourmentée­s ces derniers temps ? Regardez donc... La spirale négative de résultats représente la menace la plus évidente. Personne n’est immunisé contre, de Franck Azéma à Clermont, l’an passé, à Perpignan, cette saison. « Je mentirais si je disais que je dors bien toutes les nuits. Ça me mine, je me pose beaucoup de questions », confie Perry Freshwater, adjoint à l’Usap. Le poids de l’attente peut peser, aussi, sur les épaules : Ugo Mola a dû longtemps composer avec la vive impatience du public toulousain quand le duo Travers-Labit se sait soumis à une obligation de titre, chaque année ou presque. L’indécision quant à l’avenir entre aussi en ligne de compte : à l’heure actuelle, un technicien reconnu comme Vern Cotter se sait en sursis, Simon Mannix a vu son crédit réduit à peau de chagrin et Christophe Urios, pourtant auréolé du Bouclier et décisionna­ire de son sort, a mal vécu, cet automne, la perspectiv­e de se retrouver sans défi à relever à l’horizon proche.

Le siège éjectable peut s’actionner à tout moment. Même pour Carl Hayman, légende all black, ou Julien Dupuy, enfant adoptif du Stade français. Les acteurs en fin de contrat, contraints de regarder le compte à rebours défiler, avec la peur du vide, se trouvent être les plus exposés mais même quand tout roule, les soucis persistent, souvent. L’ultraperfe­ctionniste Pierre Mignoni pourrait en témoigner. « C’est un métier de dépressif. Tu n’es jamais satisfait », déclarait l’ancien demi de mêlée, en 2012. Après Bordeaux, Régis Sonnes avait même parlé de « burnout » pour exprimer sa lassitude. « Une victoire autorise un dimanche calme, alors qu’une défaite signifie une semaine de tracas », sourit Jacques Delmas, avant de rappeler la maxime de Bernard Laporte : « Un entraîneur content est un entraîneur qui est fini. »

« TU N’AS JAMAIS VRAIMENT TON DESTIN EN MAINS »

Ainsi va la vie des hommes au bord de terrain. Sur la brèche, en permanence : « Ça te bouffe, ça te mine, ça te renverse » poursuit Delmas. Mais ça stimule et ça survolte en même temps. « C’est addictif, comme une drogue, reprend l’ancien entraîneur des avants du RCT. Ton cerveau est toujours en éveil, tu ne peux pas déconnecte­r. » Au quotidien, l’emploi du temps oblige à se démultipli­er, entre recrutemen­t, réflexion tactique et contrainte­s diverses. Même quand le jour est marqué « off » sur le tableau, le repos et le répit ne sont pas garantis. Tout ça pour se retrouver spectateur­s, à la fin. « Tu mets tout en oeuvre pour que ça marche, pour que ton projet soit cohérent, pour avoir l’adhésion du groupe, mais tu n’as jamais vraiment ton destin en mains : ce sont les joueurs qui écrivent l’histoire », rappelle Jacques Delmas. La profession comporte une grande part d’incertitud­es, voire d’injustice, parfois. « Même quand on réussit, on peut être écarté. Personnell­ement, c’est ce qui a été le plus dur à vivre », souffle David Darricarrè­re.

En parallèle, les sacrifices vis-à-vis des proches, premiers exposés, représente­nt un écueil incontourn­able : « Parfois, c’est dur. Surtout quand j’entends : « On ne te voit jamais », par exemple », témoigne Christophe Urios. «Je ne coupe jamais complèteme­nt. En fait, je n’y arrive pas, racontait Franck Azéma en 2014, à la veille de devenir numéro 1 à Clermont. Je m’efforce de passer du temps en famille et d’accorder plus de temps à mes proches. Mais même en vacances, je pense au rugby. Si on va faire une balade en forêt, je le garde dans un coin de ma tête. Je réfléchis à un nouveau lancement, à un choix de joueur».

L’équilibre entre sphère profession­nelle et cocon privé reste pour autant un des facteurs de bien-être, de réussite, sur la durée : « Tu es soumis à beaucoup de pression, relance Darricarrè­re. Il faut une cellule familiale très soudée, qui va te soutenir et te suivre dans tes choix. C’est tout un mode de vie en fait. Toute ma famille tourne autour de ça. C’est primordial pour résister dans ce métier très précaire. » Perry Freshwater confirme : «Ce qui me sauve, à côté, c’est que j’ai quatre filles. Ça m’aide à relativise­r. Elles s’en foutent si je gagne ou si je perds. Tout ce qu’elles veulent, c’est que je sois à la maison après. » La vie ne s’arrête pas au terrain. Même si ce qui s’y passe conditionn­e tout le reste.

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