Coqs du Gers, certifiés A.O.P.
BRUNEL, BÉDERÈDE, ALLDRITT, BOURGARIT, DUPONT… DERRIERE L’ÉQUIPE DE FRANCE SE PROFILE UN TERROIR ET UN DÉPARTEMENT ASSEZ UNIQUE : LE GERS. LES TERMES D’ÉCOLE ET DE CULTURE N’Y SONT PAS GALVAUDÉS. ET LE BONHEUR Y EST DANS LES PRÉS DE SES CLUBS MODESTES ET
C’est une façon comme un autre d’éclairer le dernier groupe du XV de France. Après tout, elle en vaut bien d’autres. On y trouve l’empreinte vivace d’un des départements les plus ruraux de France, le Gers, moins de 200 000 habitants, entre ces vallons qui incarnent une certaine douceur de vivre. Le patron Jacques Brunel a fait ses premières armes de joueur et d’entraîneur à Auch. Son adjoint chargé de la défense, Jean-Marc Béderède, vient aussi du FCA. Chez les joueurs, mine de rien, Antoine Dupont, Grégory Alldritt, Pierre Bourgarit ont été formés à Auch (après Gimont pour le dernier). Dans un passé récent, Antony Jelonch (Auch) ou Gabriel Lacroix (Lombez-Samatan) ont enfilé le maillot bleu avec l’étiquette « 32 » et pourraient y revenir.
QUATRE SÉLECTIONNEURS GERSOIS
D’autres départements campagnards ont fourni leur lot de talents. Mais on ne peut pas ne pas remarquer que l’équipe de France a aussi connu trois sélectionneurs gersois : le monstre sacré, Jacques Fouroux, bien sûr, son panache, son charisme et son verbe haut, Jacques Brunel, Jean-Claude Skrela (L’Isle-Jourdain) ainsi que Yannick Bru (Masseube), adjoint pendant huit ans de Philippe Saint-André puis Guy Novès. Plus fort encore, Roger Courderc y est enterré (sa femme était de Mauvezin).
Pour le grand public, le Gers évoque les canards gras, le maïs, le festival de jazz de Marciac ou les fêtes de Vic-Fezensac. Question rugby, le Gers est un vivier finalement discret. Il n’a jamais accueilli le Brennus, il ne l’a pas non plus frôlé (meilleur résultat : Auch, quart de finaliste en 1970). Mais le FCA a été sacré en Pro D2 (2004, 2007), il a su brandir une… Coupe d’Europe, l’éphémère et modeste Bouclier européen en 2005 (troisième compétition dans la hiérarchie). Ça ne s’invente pas… Derrière Auch, peu de clubs ont fréquenté l’élite, si ce n’est le mythique Lombez-Samatan des années 80 avec des moyens dérisoires. On en est loin désormais puisqu’Auch est descendu en Fédérale 1 en 2014 avant de déposer le bilan en 2017 et de se retrouver en Honneur. Désormais, c’est Fleurance qui porte l’étendard du département en Fédérale 1. À l’Est, L’IsleJourdain est devenu un vivier dans le vivier (avec Jean-Marc Henri) car la ville est en train de devenir une banlieue de Toulouse : « Je crois que nous sommes champions de France du rugby amateur. Citez-moi un autre département où il y aurait dix clubs en fédérale… » nous fait remarquer René Daubriac, ancien président du LSC et ancien vice-président du Conseil départemental.
LA FORCE DU RUGBY SCOLAIRE
Comment expliquer l’existence d’une pépinière aussi généreuse ? « Dans un département sans aéroport, ni autoroute où les décès sont plus nombreux que les naissances, précise Henry Broncan, grand gourou des lieux, je pense que les stades sont ouverts, sans grillage. On peut aller y faire des deux-contre-un en toute liberté. Les gosses jouent le dimanche après-midi dans les en-but pendant que les grands font des matchs. Je crois aussi que nous avons une tradition de bons éducateurs. Alors, il y en a aussi ailleurs mais chez nous, comme il y a peu de population, il faut absolument que les gosses restent au rugby. Il faut leur donner du plaisir, alors on se pose les bonnes questions. » Henry Broncan a fait beaucoup de choses à Lombez-Samatan, à Auch, puis en ce moment à Mirande-Miélan. Après la mort de l’ultra charismatique Jacques Fouroux en 2005, il est devenu la conscience du rugby gersois.
Mais au-delà de ses qualités de coach proprement dites, son plus bel exploit fut peut-être la création de deux sections sportives scolaires : au collège de Samatan et à Sadi-Carnot à Auch. La vraie spécialité locale. « Le Gers, c’est d’abord le plus fort taux de pénétration dans le milieu scolaire », explique Alain
Doucet, président de la Ligue
Occitanie de rugby. À la différence du monde anglophone, elles ne sont pas si nombreuses en France, les écoles où on taquine sérieusement le ballon ovale. C’est peut-être là le vrai secret :
« Ma fierté est d’avoir entraîné des proviseurs et des professeurs qui n’étaient pas fans de rugby à la base, poursuit
Broncan. Mais il n’y a pas eu que mon expérience, on pourrait aussi citer les lycées agricoles de Mirande et de
Beaulieu (plusieurs fois champions de France UNSS,
N.D.L.R.), près d’Auch, qui a formé Dupont, ou les lycées de
Garros, Saint-Christophe
(Masseube) et Saint-Joseph
(Lectoure). »
Parmi ces fameux éducateurs figure Patrick Miquel, actuel manageur du LSC mais aussi cadre technique départemental. « Nous faisons un gros travail scolaire, c’est sûr. Aux abords du lycée Beaulieu, nous avons créé un centre départemental d’entraînement pour les moins de 16 ans. Les lundis et les jeudis, les joueurs de tous les clubs peuvent y venir. Avec Kevin Ribaud, nous espérons créer des centres d’entraînement de secteurs associés aux lycées de L’Isle-Jourdain, Nogaro ou Lectoure… Mais au-delà du milieu scolaire, dans le Gers, les individus sont très entourés par les clubs où l’ambiance y est restée très familiale. Tout le monde mange ensemble, toutes catégories confondues. Les jeunes s’y plaisent. » Évidemment, on se doute que d’autres régions et d’autres clubs revendiquent le même genre de qualités mais dans le Gers, il existe un climat particulier. Il suffit d’avoir assisté au récent derby Lombez-Samatan - L’Isle-Jourdain en Fédérale 2 pour s’en persuader.
TERRE ASSUMÉE DE PETITS CLUBS
Alain Doucet, pourtant originaire du département voisin et parfois rival - les Hautes-Pyrénées - le reconnaît sans problème : « Dans le Gers, les gens ne sont pas habitués à se plaindre. Ils se battent et tout le monde ne peut pas en dire autant. J’ai été notamment impressionné par la façon dont les Auscitains ont accepté avec humilité de repartir en Honneur. D’autres auraient tout arrêté. » Le Gers est assurément une terre de petits clubs, tel Mauvezin qui, en 1975, refusa la montée en Groupe B par modestie. Mais certains ont trusté des titres : Montréaldu-Gers a été quatre fois sacré en Deuxième,Troisième et Quatrième Séries. Riscle a été champion de France Honneur mais aussi en Teulière et en Balandrade. Henry Boncan est actuellement entraîneur d’une entente, Mirande-Miélan. Mais il n’en fait pas une religion : « Cette multiplicité de petits clubs est primordiale. Elle est parfois critiquée mais l’existence de ces clubs à Lannepax, Panjas, L’Isle-de-Noé ou encore Villecomptal permet de fixer dans le Gers notre population. Les jeunes peuvent revenir chez eux en fin de semaine au lieu d’aller dans des clubs de Toulouse ou de Pau où ils sont étudiants ou jeunes actif. L’attachement au clocher est très fort chez nous. Tant mieux pour les derbys, tant mieux pour la concurrence.Vous voulez savoir ce que j’adore ? C’est l’école de rugby de Masseube. Ils sont bluffants. »
René Daubriac ajoute : « J’ai toujours été ébahi de la vitalité de tous nos clubs, même dans des endroits qui semblent perdus. La volonté des gens fait la différence, ils savent créer un engouement. Le cochon à Miélan, la chaponnade à Samatan. Les jeunes le voient et ils n’ont pas envie d’être ridicules. Mais la culture vient souvent des enseignants. Si le ballon ovale circule dans les écoles, c’est déjà gagné… » Bien sûr tout n’est pas rose au pays de D’Artgagnan. L’absence actuelle d’une vitrine pèse. « Il nous manque clairement le niveau Crabos et Alamercery », détaille Patrick Miquel. Tout le monde attend comme le Messie le retour d’Auch, au moins en Fédérale 1. L’ambition reste modeste, non ? Le destin peut bien leur accorder ça.
« Cette multiplicité de petits clubs est primordiale. Elle est parfois critiquée mais elle permet de fixer dans le Gers notre population. Les jeunes peuvent revenir chez eux en fin de semaine au lieu d’aller dans des clubs de Toulouse ou de Pau où ils sont étudiants ou jeunes actifs. » Henry Broncan