Midi Olympique

Pierre Soulages, ce All Black

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Dans sa maison-atelier de Sète, de bois et de béton, ouverte sur le bleu du ciel et de la Méditerran­ée, Pierre Soulages, 99 ans, plus grand peintre français vivant, continue à peindre ses tableaux immenses. Parler du « noble jeu » avec lui est toujours un bonheur d’une bonne heure. « J’ai beaucoup apprécié le récent Toulouse — Toulon. Le jeu toulousain m’a toujours plu, avec des avants qui se déplacent beaucoup et des trois-quarts audacieux et rapides. » On le sait, la surprise et l’aventure sont l’un des credo du Stade toulousain. Or, que dit Soulages ? « En rugby comme en art, il faut être attentif à ce qui échappe à l’intention. L’inattendu est essentiel. L’artiste va vers ce qu’il ne connaît pas, par des chemins qu’il ne connaît pas. C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche. » Le 24 décembre prochain, Pierre Soulages aura 100 ans. À Paris, le Louvre lui consacrera son fameux salon carré. New York ou Tokyo fêteront le centenaire de celui dont l’exposition au centre Pompidou, en 2009, attira plus de 500 000 spectateur­s, mieux que Picasso.

Quand Soulages penche ses 190 centimètre­s sur sa jeunesse, il parle joliment de ses années en deuxième ligne puis en troisième ligne centre, avec le lycée de Rodez et les juniors du Stade ruthénois. Rodez qui lui a consacré un musée exemplaire, où l’on peut même trouver la couverture de L’Équipe Mag consacrée aux All Blacks que je lui avais demandé d’imaginer, car il est le peintre de la lumière du noir. À ma grande honte, j’étais arrivé au rendez-vous très en retard. Il m’attendait. Sur une table basse, un véritable buffet. Il eut ces mots : « Il faut bien que nous fassions

connaissan­ce. » Un homme de partage, toujours accompagné de sa femme, Colette la délicieuse, un couple qui fait corps depuis 76 ans.

Soulages est un conteur. Il dit l’importance intime du match France — Nouvelle-Zélande de 1925, à Toulouse. La soeur aînée de Pierre, amie de la soeur du capitaine Adolphe Jauréguy, avait assisté à la partie. Elle fut la première à lui parler des All Blacks. « J’avais cinq ans et le noir était déjà ma couleur ! »

Un jour d’été éblouissan­t, à Sète, Pierre Soulages accueillit Didier Codorniou, 31 sélections, aujourd’hui maire de Gruissan et premier vice-président de la région Occitanie. « Je suis sorti subjugué de cette exquise rencontre, affirme « Codor ». J’en parle encore presque tous les jours. »

Le grand Soulages avait commencé ainsi cette rencontre : « Appelle-moi Pierre, et on se tutoie. » La conversati­on s’ancra sur l’année 1979, si importante pour les deux hommes. Le 14 juillet, le XV de France du trois-quarts centre Codorniou triomphait pour la première fois des All Blacks en Nouvelle-Zélande. C’est en 1979 aussi que Soulages expériment­a le « noir-lumière », qu’il nomma par la suite « outrenoir », tel un autre pays, ce jeu du noir avec la lumière qui, pour le regardeur, paraît faire du tableau une toile en mouvement. Outrenoir, « tel le jeu des All Blacks, cet audelà du noir, ce noir-lumière du rugby ».

Je peux en témoigner, la visite magique de son atelier, le récit de la longue quête d’un verre nouveau destiné à devenir les vitraux de l’abbatiale de Conques, enchantère­nt l’après-midi. Depuis, Didier Codorniou porte sur lui ces mots de Soulages : « Ce que je recherche c’est l’intériorit­é, une lumière que nous avons… quand nous aimons. »

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