C’est la danse des canards
L’autre jour, Romain Taofifenua a déployé sa vaste paluche pour l’écraser sur la joue gauche de Flip van der Merwe, le moustachu d’en-face. Rien de très violent, nous direz-vous, quoi qu’une telle beigne eût probablement plongé un homme comme vous et moi dans un coma profond. Pour autant, on pensait ces gestes-là disparus du paysage du rugby français, anéantis par les mouchards des régies télés au nom d’un sport de combat soudainement drapé d’une pudibonderie nouvelle et qui ne correspond en rien à son aspect primitif. De fait, le professionnalisme a fait disparaître au fil des ans les bagarres de rue qui vérolaient le championnat de France et, d’une certaine manière, on ne s’en plaindra pas. D’un autre côté, l’extinction des «justiciers des pelouses» a coïncidé, en Top 14, à la prolifération d’une nouvelle espèce de rugbyman, que l’on appellera le «gouailleur de gazon. » Certain de ne plus risquer la peine de mort sur un terrain de rugby, celui-ci interpelle, vilipende et insulte l’adversaire en toute impunité. À ce jeu-là, les Castrais Rory Kockott et Benjamin Urdapilleta, le Racingman Antonie Claassen, sont, s’il l’on en croit les protagonistes du Top 14, des champions inabordables, des crapules en l’état inattaquées. Mais comme on aimerait, parfois, que les « gouailleurs » du rugby pro voyagent dans le temps et se retrouvent, l’instant d’un match, à une époque où l’on ne portait pas de moufles. Comme on aimerait, parfois, que tous les Urdapilleta de la planète soient projetés dans les années 80 face à Francis Dejean à Narbonne, Roger Fite en Corrèze ou dans les seventies, entre les mains de Michel Palmié et Alain Estève ou encore, plus près de nous, au beau milieu des années 90, à l’époque où le docteur Simon brisait des phallanges à l’ombre des mêlées ouvertes. À ce sujet, on trouve d’ailleurs bien étrange que Paul Goze, le grand calife du rugby pro, soit aujourd’hui si clément avec ces bavards de gazon qu’il aurait probablement émasculés pour moins que ça, à l’époque où ses adversaires le surnommaient « IPG », pour « Ignoble Paul Goze » ...