Évolution, mutation, schisme ?
Je viens de lire les différentes analyses et certitudes, pour certains, du bouleversement de la carte des clubs phares du rugby. Que ce sport sorte de son berceau très sudiste n’est nullement un constat amer, mais jusqu’à preuve du contraire, les quelques rares percées spectaculaires, ne remplacent pas en nombre égal, toutes les anciennes places fortes disparues ou en voie de l’être. Il serait intéressant que, depuis vos archives, vous établissiez une carte du rugby d’élite autour des années 70, en me référant à ma seule mémoire, émoussée à mon âge, je suis cependant sûr qu’elle surprendrait nombre d’entre vous. Donc « l’érosion », ne date pas d’aujourd’hui, en revanche sa violence et son caractère irréversible ne peuvent qu’inquiéter le peuple du rugby, sans pour autant le qualifier de frileux, ringard, voire nostalgique, peutêtre même honteusement traditionaliste. Car ce sport relève d’une culture, d’un environnement, d’une éducation, qui ne se circonscrivent pas aux seuls pratiquants, et aux seuls périmètres des installations cernant le stade. Que les tribunes de La Rabine soient combles, est très encourageant pour l’expansion du rugby, ce qui ne garantit pas qu’il en sera ainsi ad vitam aeternam, je ne manque pas une seule diffusion télévisée des matchs de ce club, qui sont très rafraîchissants. Si les résultats ne sont plus, dans quelques saisons, aussi enthousiasmants la billetterie chutera vertigineusement, car dans ce public, le noyau des inconditionnels est relativement faible, l’implantation non confidentielle, est trop récente, pour l’heure la Bretagne n’est pas encore une terre de rugby. Il en est de même pour le Nivernais. L’échec de Lille, il n’y a pas si longtemps, rappelle s’il le fallait, que sauf un homme providentiel, prêt et capable d’investir d’énormes moyens financiers, de créer un club professionnel en une poignée d’années ne coule pas de source. Assurer sa pérennité, tout en développant de façon probante, dans sa zone d’influence, le nombre de pratiquants, depuis les écoles de rugby, est encore moins évident.
Depuis plusieurs années, le nombre de jeunes fréquentant les écoles de rugby est en chute libre, la cause n’est pas seulement due à une baisse de la démographie pour les régions rurales ; quand les clubs phares avancent des listes pompeuses de jeunes formés par leurs soins, la vérité est moins flatteuse. Faites donc une étude sur le vrai nombre de jeunes du Stade toulousain (et d’ailleurs), issus de son école de rugby, jouant en première, l’agglomération toulousaine compte pourtant environ un million d’âmes. Le département voisin exclusivement rural, dont la population totale avoisine 150 000 habitants… compte une dizaine d’internationaux actuels, pourquoi donc ? Parce que le rugby dans ces régions était une éducation, une passion familiale, nourrie par la proximité de clubs légendaires, drainant les meilleurs joueurs, dont les plus talentueux rejoignaient l’élite, la maturité venue. Depuis la mise en place du professionnalisme, l’élite moissonne le blé en herbe pour une poignée de cerises, en pillant ce faisant, ces clubs formateurs ayant assuré les phases les plus ingrates, à leurs frais, et dans l’incapacité de nourrir pendant deux ou trois saisons leurs propres équipes. À ces pratiques dévastatrices, il faut ajouter les tissus économiques ténus, des collectivités locales à faibles moyens, et un partenariat qui s’effiloche. Donc à moyen terme les terrains de rugby auront disparu, dans la plupart de ces régions. Évolution imparable ? Non ! Le professionnalisme étant devenu inévitable, parallèlement, tous ces terroirs pépinières auraient pu être protégés, en reconnaissant leur spécificité, donc en ne permettant pas les dérives précitées, en instituant une juste rétribution de leurs contributions à la détection-formation. Même si Vannes, Rouen, Nevers sont sous le feu des projecteurs, l’expansion n’est point réelle, tout au plus quelques déplacements de centres de gravité. Étant entendu, que : les La Rochelle, Angoulême, voire Oyonnax, n’ont rien de nouvelles régions acquises au rugby.
Que les écoles de rugby se développent auprès des grands centres urbains, est une bonne chose et un bien pour les jeunes ainsi éduqués, mais un petit peu « hors sol », car leur environnement n’est pas rugby, du moins actuellement, mon expression n’est nullement péjorative. Sans citer de noms, parmi nos jeunes internationaux, ceux qui suintent le rugby sont tous issus de terroirs… ou de dynasties. La nation reine de ce sport est un petit pays, nourrissant un culte pour le rugby, le pays de Galles, l’Irlande, témoignent d’une ferveur remarquable, ceci expliquant cela. Bon nombre de joueurs de nos grands clubs font le travail, sauf que sans passion préalable, le travail devient routinier.
Je suis donc un odieux rabat-joie, qui nourrit sa rancoeur en tirant à boulets rouges sur ce basculement géographique, qui dépeuple le Sud, sincèrement je voudrais bien que le rugby français ait un avenir lumineux. Encore une fois, mon âge ne me permettra pas, de vous présenter, si c’est le cas, des excuses dans dix ans. J’ai viscéralement aimé, soutenu, le FCAG pendant 65 ans, jusqu’à sa mort. Les gens très informés, affirment que sa disparition est la conséquence d’une mauvaise gestion, qui peut croire que dans cet ouragan qui secoue une partie du rugby français depuis dix ans : budgets faits de bouts de chandelles, inflation des salaires, course à l’armement à tous les étages, les clubs de Pro D2 verraient arriver des légions de dirigeants compétents, prêts à sacrifier une grande partie de leur vie privée dans de telles galères. Pour en terminer, quand j’égrène tous les noms qui sont devenus grands dans la marmite percée de ce club : Mignardi, Aguillon, Dastugue, Dupont, Jelonch, Bourgarit, Alldritt, le petit lutin néoRochelais, gravement blessé, et tous ceux en passe de le devenir, et les Patat, Brunel, sans chauvinisme, pourtant je suis chauvin, quel gâchis, quel très mauvais signe pour le rugby français. Tarbes, Dax, Narbonne et combien d’autres sanctuaires sont promis à la casse. Les générations spontanées n’existent pas en rugby, les instances supérieures ayant si peu fait pour canaliser le séisme consécutif à l’arrivée du professionnalisme, les effets n’en sont que plus désastreux.
Renaud BENAZET