Midi Olympique

LA GLOIRE DE MON PÈRE

PROPULSÉ NUMÉRO UN EN CLUB À SON POSTE APRÈS LES BLESSURES DE MARCHAND ET GHIRALDINI, IMPÉRIAL AU RACING OU AU LEINSTER EN CHAMPIONS CUP ET RETENU PARMI LES JOUEURS SUIVIS POUR LA COUPE DU MONDE, LE CALÉDONIEN VIT DES MOIS INTENSES. ET CHARGÉS EN ÉMOTIONS

- Par Jérémy FADAT jeremy.fadat@midi-olympique.fr

L’enregistre­ur, déclenché au départ de l’entretien, n’affichait pas encore une minute. Il était question de sa présence sur la liste des 65 joueurs français suivis en vue de la prochaine Coupe du monde et Peato Mauvaka avait juste pris le temps d’exprimer son enthousias­me : « Je ne m’y attendais pas. C’est énorme, tout va si vite. Sans les blessures de Julien (Marchand, N.D.L.R.) et Leo (Ghiraldini), je n’en serais pas là. Depuis que j’ai vu mon nom, je pense au Japon tous les jours. » Quand, soudain, l’éclat de ses yeux et de sa voix s’est assombri. Là, prostré dans l’obscurité des tribunes d’Ernest-Wallon et assis sur les marches qui mènent au théâtre de ses rêves passés, le jeune talonneur lâchait en baissant la tête : « J’aurais simplement aimé que mon père soit là pour voir ça. » Cet aïeul, à la fois guide et protecteur, qu’il a tragiqueme­nt perdu cinq mois plus tôt. Dimanche 16 décembre 2018, premier jour du reste de sa vie. À l’autre bout du globe, dans cette Nouvelle-Calédonie où a grandi Peato, Souane-Patita disparaiss­ait soudaineme­nt, empoisonné par un poisson. Un cauchemar pour le fiston, pour qui les 17 000 kilomètres et onze heures de décalage qui le séparent des

siens étaient une souffrance supplément­aire à affronter ce lundi matin, quand il était affalé sur le banc dans le vestiaire des joueurs, effondré au milieu de ses partenaire­s et entraîneur­s. « Ce fut si brutal, concède-t-il. 21 ans, c’est beaucoup trop jeune pour perdre son père. Surtout qu’il était à fond derrière moi, plus que mes frères, mes soeurs et ma mère. Il aimait le rugby, c’est grâce à lui que j’ai commencé. Il regardait tous mes matchs. Même une deuxième fois, puis une troisième. C’était mon premier supporter. » Comble du destin, Ghiraldini blessé et Marchand en vacances, Mauvaka avait été prévenu quelques jours auparavant qu’il serait titulaire pour la première fois de sa carrière, le dimanche suivant, à Clermont. Une promotion subitement dérisoire et illusoire aux yeux du staff. À cet instant, il n’était plus question de rugby mais de dignité humaine. Pourtant, aussi désemparé soit-il, le talonneur a annoncé à ses coachs qu’il souhaitait à tout prix être au Michelin, en l’honneur de son père. « Je voulais lui rendre hommage, affirme-t-il. Je me devais d’être aux funéraille­s mais il aurait voulu que je joue ce match. Je le savais et j’en ai parlé à ma mère, qui m’a dit : « Que tu reviennes ou pas, que tu joues ou pas, il sera fier de toi. » Cela m’a touché. »

WILLIAM SERVAT, LA FIGURE TUTÉLAIRE

Dans la journée, le club s’est mobilisé pour respecter sa volonté. Ses dirigeants ont réservé les meilleurs billets pour lui permettre d’effectuer l’aller-retour jusqu’à Nouméa en moins de quatre jours alors que l’équipe a lancé une cagnotte pour le soutenir. « Ma mère était tellement heureuse que je sois là. Grâce à ces gestes, elle sait à quel point je suis bien entouré ici. Depuis cet épisode, ce ne sont plus mes coéquipier­s, ils sont comme ma famille. » Eux qu’il a retrouvés, épuisé par le voyage et les émotions, la veille du départ pour Clermont. « Avec le recul, je ne sais même pas comment j’ai pu jouer. Je suis revenu moins d’une heure avant la mise en place. Entre l’avion, le peu de sommeil et la douleur, je ne parvenais même pas à respirer en me présentant sur le terrain. Mais quand le match est arrivé, j’étais transcendé. J’avais le coeur qui battait si fort, je courais partout. » Le don de soi. Néanmoins, et presque naturellem­ent, Mauvaka a subi le contrecoup. « Les premiers temps, c’était terrible. Et je pensais tellement à ma mère là-bas… » Même s’il essayait de le cacher, le mal-être se faisait ressentir. Sur le terrain aussi, pour celui qui, durant une demi-heure d’interview, n’a jamais prononcé les mots « décès » ou « mort ». « Les premiers matchs après son départ, c’était dur. Je ne me lâchais plus. » C’est là que William Servat, la figure tutélaire à Toulouse, est intervenu. « William est plus qu’un mentor, affirmet-il. Il a été toujours proche depuis que je suis monté en équipe première, mais, depuis que mon père est parti, il a une attitude très paternelle. Il ne veut pas prendre sa place mais il veille sur moi. Ça me fait du bien. » Jusqu’à le bousculer et faire enfin sortir, quelques semaines plus tard, toute la peine qu’il avait enfouie. « C’était lors d’un entraîneme­nt où on lançait, se souvient-il. Il m’a demandé : « Qu’est-ce qu’il se passe ? Je ne te sens pas spontané en match. » J’ai répondu : « Rien du tout. » Mais il a insisté : « Quelque chose ne va pas dans ta vie personnell­e. » Il savait où était le problème. J’ai bien sûr pensé à mon père et j’ai fondu en larmes. William m’a dit de laisser les ballons et de le suivre. On a marché autour du terrain et on a parlé. Cette discussion m’a soulagé, j’avais besoin d’évacuer et, depuis, je suis libéré dans mon jeu. » Ou comment transforme­r sa fragilité en son moteur. « Mon père me manque tous les jours et je pense à lui chaque matin en me réveillant. Ça ne remplace pas sa présence physique mais je sais qu’il me voit. Quand je vais sur le terrain, c’est d’abord pour lui. Lors du quart de finale de Coupe d’Europe, au Racing, j’avais les frissons en pénétrant sur la pelouse car j’avais l’image de mon père en tête. » Ce jour-là, Mauvaka est entré dans une nouvelle dimension. Dantesque durant les 72 minutes auxquelles il a participé, ce qui peut expliquer l’effrayante gifle au coup de sifflet final : « Dans l’euphorie de la victoire, je ne me suis pas rendu compte mais j’avais totalement oublié que mon père n’était plus là. Je le cherchais dans les tribunes et, au bout de quelques secondes, je suis revenu à la réalité, me suis rappelé qu’il était parti. Je me suis mis à chialer comme un gosse pendant une heure, comme si je l’avais perdu une deuxième fois. Dans les vestiaires, je n’arrivais plus à m’arrêter. J’étais inconsolab­le. »

ABRAHAM TOLOFUA,

VENU RENDRE VISITE À SA FAMILLE…

Épaulé par les cadres comme Tekori, Kaino, Guitoune ou Médard, Mauvaka a poursuivi son ascension express. Accélérée donc par un Tournoi fatal à Ghiradini et Marchand. « J’ai ressenti pour la première fois la peur de mal faire. On me disait : « Il ne reste plus que toi. » Je n’avais pas l’habitude d’être aussi exposé, ce qui est paradoxal car la pression ne me touche pas. On peut m’en mettre, ça ne m’atteint pas. De troisième choix, je suis passé au premier. Les coachs m’ont répété qu’ils avaient confiance. » À raison. Dans les grands rendez-vous, l’ancien internatio­nal moins de 20 ans a répondu présent.Au Racing mais aussi au Leinster en demi-finale où, malgré la défaite, Mauvaka fut sûrement le meilleur Toulousain. Face aux Szarzewski, Chat ou Cronin qu’il a tous dominés « Je ne me croyais pas aussi capable de rivaliser. Avant le Racing, William me confiait : « Si tu l’as décidé et si tu as conscience de tes points forts, tu vas les bouffer. » C’est ce que j’ai fait (rires). J’ai l’impression de me mettre au niveau. C’est à double tranchant. Dans un match normal, je fais une performanc­e normale. Mais, quand c’est une grosse rencontre et qu’on me met la pression, je suis meilleur. » Voilà qui tombe bien puisqu’il ne reste que des étapes XXL au Stade toulousain cette saison. Le très haut niveau que Mauvaka aurait pu — ou dû — ne jamais connaître sans l’interventi­on bienfaitri­ce de son père en 2011. « Je jouais au volley-ball et il m’a fait regarder la Coupe du monde de rugby. Ça m’a plu et il a voulu me faire essayer ce sport. J’ai commencé les entraîneme­nts à Dumbéa (dans l’agglomérat­ion du Grand Nouméa). Trois semaines plus tard, j’étais recruté par Toulouse. » Histoire invraisemb­lable. Possible grâce à Abraham Tolofua, l’oncle de Christophe­r-Éric et Selevasio, venu rendre visite à sa famille. « Le président de l’Associatio­n du Stade toulousain Gérard Labbe lui avait demandé s’il pouvait repérer quelques joueurs. Il s’est pointé lors d’une séance et il m’a vu. J’avais 14 ans et, comme tous les jeunes là-bas, je m’entraînais avec les seniors. Je n’avais jamais fait un match de rugby ! C’était un sacré coup de chance car l’école n’était pas mon truc. » Même s’il a fallu convaincre la mère. « Depuis petit, j’avais envie de venir en métropole. Elle ne voulait pas mais j’ai insisté. Mes parents m’ont accompagné au début, puis j’ai été en famille d’accueil chez Abraham Tolofua jusqu’à 18 ans. Mais mon père a quand même vécu un peu avec moi ici. C’était surtout pour voir les matchs et peut-être me pousser à aller à l’école (sourires). » Depuis, son grand frère Yvan Karl est venu s’installer à Toulouse. « Et tous les étés chez moi, donc l’hiver ici, mes parents viennent trois ou quatre semaines. Enfin, seulement ma mère maintenant… » La gorge s’est de nouveau nouée. Laissant juste filer cette ultime confession : « Mon rêve, c’est d’être champion de France. Ce titre serait dédié à mon père. Il serait tellement fier… » ■

« Je cherchais mon père dans les tribunes et, au bout de quelques secondes, je me suis rappelé qu’il était parti. Je me suis mis à chialer pendant une heure, comme si je l’avais perdu une deuxième fois » « Mon père a voulu me faire essayer le rugby. J’ai commencé les entraîneme­nts à Dumbéa. Trois semaines plus tard, j’étais recruté par le Stade toulousain »

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