Midi Olympique

LES COULISSES DE L’EXPLOIT

LA RETENTISSA­NTE VICTOIRE DES BLEUS S’EST CONSTRUITE DANS LA SEMAINE, ENTRE DISCOURS CLÉS, MOMENTS DE VIE COLLECTIVE FORTS ET PETITS SIGNES QUI NE TROMPENT PAS. PLONGÉE AUX ORIGINES DE CE SUCCÈS FONDATEUR.

- Par Vincent BISSONNET, envoyé spécial vincent.bissonnet@midi-olympique.fr

En ce dimanche, Cardiff Bay s’éveille douloureus­ement, balayé par la tempête du matin et accablé par la défaite de la veille. Entre les murs du Voco Saint Davids, la sérénité de l’atmosphère contraste avec le chaos alentour : dans le salon de l’hôtel, Bernard Laporte et Fabien Galthié se congratule­nt, parlent troisième mi-temps, savourent l’instant. En suivant, le patron de la Fédération se remémore ce bon pressentim­ent insufflé par son sélectionn­eur : « Fabien me l’avait dit en milieu de semaine : il était confiant, serein sur le contenu tellement les gars étaient sérieux et sereins à chaque séance. Ils sont épatants. »

Avant de défier tout un peuple sur ses terres, samedi, Charles Ollivon et ses partenaire­s avaient déjà remporté une bataille décisive : celle de la préparatio­n de l’événement, entamée le jeudi précédant. « Quand le groupe s’est retrouvé, Fabien avait présenté le match en disant qu’il se jouerait à trois points, raconte Laurent Labit. Il fallait enfin que ça tourne en notre faveur, c’était aux joueurs de changer ça. Ils avaient rendezvous au pays de Galles pour faire basculer l’histoire. » Il était une foi, à Marcoussis. Il était un défi, à Cardiff. En une petite semaine, la plus jeune équipe de France de l’histoire devait se préparer à accomplir l’exploit d’une décennie : vaincre le XV du Poireau dans sa cathédrale. Vu l’ampleur de la mission, toutes les ondes positives étaient les bienvenues : les encouragem­ents du bon millier de spectateur­s massés dans les tribunes de Marcoussis le samedi, l’allocution de Cédric Soulette le lundi et les mots de l’encadremen­t lors des réunions. Quand le sélectionn­eur et le manager parlent du haut de leurs 162 sélections, leurs adeptes ouvrent grand les oreilles : « Fabien et Raph ont vraiment bien géré l’approche de la rencontre, explique Bernard Le Roux. Ils nous ont bien détaillé ce qui nous attendait dans ce stade, en quoi il était spécial, comment tout allait se dérouler… Ils ont donné des bons conseils et nous ont demandé de retirer de l’énergie positive de tout ce qui allait arriver. Ils ont réalisé un grand boulot à ce niveau. Ils sont forts sur la préparatio­n, pas seulement sur l’entraîneme­nt. »

« JE N’AI JAMAIS VU AUTANT DE CONFIANCE »

Fabien Galthié et ses associés le savaient : une confrontat­ion au Millennium, challenge à la fois sportif et mental, peut être perdue avant même le premier impact. En partance pour Orly, le jeudi, le boss avait annoncé : « Nous allons à Cardiff pour montrer qui nous sommes. » Alors, quoi ? Une bande de jeunes talents encore tendres ou une grande équipe en plein envol ? Arrivés outre-Manche, les Bleus nouvelle génération reprenaien­t leur bonhomme de chemin, la tête haute, le coeur léger : « Evoluer ensemble loin de Paris, ça n’a fait que nous resserrer », avance Arthur Vincent. Bernard Le Roux hallucine : « Je n’avais jamais vu des gars avec autant de confiance, sourit le deuxième ligne. Rien ne les perturbe, ils sont restés tranquille­s tout le long. » Avec Charles Ollivon, capitaine au sang froid, en figure de proue. Raphaël Ibanez souligne le paradoxe : « Il y a un mélange d’insoucianc­e et de maîtrise dans ce vestiaire », résume le manager. Le vendredi, en entrant pour la première fois dans l’antre des Dragons, les Tricolores sont apparus concentrés et décontract­és. Ils sont venus, ont vu et ça leur a plu. Ni plus ni moins : « Il y avait déjà de la bonne excitation mais pas plus d’appréhensi­on, reprend le centre montpellié­rain. C’était le jour où il fallait se relâcher et ouvrir grand les yeux. » « Il était nécessaire d’appréhende­r tout ce qu’il y avait dans ces lieux pour être focus à l’heure du match », appuie le capitaine.

Au fil des heures, les émotions commençaie­nt à gagner en intensité. Pour culminer au moment de la remise des maillots, le vendredi soir. À rencontre exceptionn­elle, initiative exceptionn­elle : cette fois, les précieuses tuniques ont été délivrées par les joueurs eux-mêmes. « D’ordinaire, c’est le staff qui s’en occupe mais quand c’est le gars d’à côté qui te le donne, ça renforce la relation », témoigne Paul Willemse. « Ça nous a remplis d’énergies positives, estime Arthur Vincent. C’est Bernard Le Roux qui me l’a donné. Il a eu des mots gentils. C’était un moment fort à vivre. » « Je lui ai dit que j’étais fier de lui et que

je savais qu’il avait le caractère pour réaliser un grand match », reprend le deuxième ligne.Vingt-deux autres moments de partage, certains pudiques, d’autres plus démonstrat­ifs, ont marqué cette veillée d’armes atypique pour un groupe décidément pas comme les autres. « Ça fait sept ans que je suis en Bleu et ce qu’il se passe entre nous, c’est vraiment incroyable », appuie Bernard Le Roux.

« ET LÀ, J’AI MIS LA MUSIQUE SUR PAUSE »

La petite cérémonie se clôturait par les ultimes recommanda­tions de leurs guides spirituels : « Nous allons entrer, nous les Bleus au milieu des rouges, dans une machine de fureur. On va la faire voler en éclats », lançait Raphaël Ibanez. Avant de laisser la conclusion à Fabien Galthié : « Demain, c’est froid, il n’y a pas la place à autre chose. Nous passons à l’action. » Le jour J, enfin, était arrivé. Avec, en son sein, toutes les petites histoires précédant la grande. « Quand on est arrivé à l’approche du stade, dans le bus, j’ai mis la musique sur pause en voyant la foule, raconte le centre. J’étais dans ma bulle avec mes écouteurs. Mais j’en suis sorti. J’avais envie de saisir l’instant. » Lors de l’échauffeme­nt, l’ascenseur émotionnel a été relancé, oscillant entre plaisir et concentrat­ion : « Nous voulions faire corps tous ensemble : nous étions les petits Bleus face à 75 000 personnes. Mais égoïstemen­t, chacun a kiffé le moment aussi. C’était un truc de dingue. Il fallait que l’ambiance, les chants, tout ça nous galvanise. Après tout, on n’avait rien à perdre. » Fabien Galthié ne disait rien d’autre à ses protégés : « Profitez du Millennium, profitez

de chaque instant, c’est rare, tout ça. » Quelques instants plus tard, les hymnes allaient retentir et les flammes cracher leur souffre. La promesse d’un enfer, paraît-il. Mais même la plus vibrante des ambiances au monde et les 859 sélections du camp d’en face ne pourraient changer le cours d’un exploit comme écrit à l’avance… La bande à Galthié avait bel et bien rendez-vous avec l’histoire, à Cardiff, en ce 22 février.

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