Midi Olympique

« La défense à l’aile est plus difficile »

SHAUN EDWARDS - Entraîneur de la défense du XV de France DIMANCHE MATIN, L’ANGLAIS SHAUN EDWARDS NOUS A ACCORDÉ DE LONGUES MINUTES AFIN D’ÉVOQUER LA VICTOIRE DES TRICOLORES , FACE À UN ADVERSAIRE DONT IL CONNAÎT TOUS LES SECRETS...

- Propos recueillis par Marc DUZAN marc.duzan@midi-olympique.fr

Shaun, comment avez-vous vécu ce retour à Cardiff ?

J’ai essayé de ne pas trop célébrer la victoire… Vous savez, j’ai beaucoup de respect pour le pays de Galles, une terre où j’ai passé douze années merveilleu­ses.

Êtiez-vous ému, quand le « Land Of My Fathers » a résonné dans le stade ?

Comment ne pas être ému face à un tel hymne ? Le «Land Of My Fathers» a le même effet sur tous les amoureux du rugby. Et puis, vous savez quoi ?

Non…

Mon fils, qui étudie les sciences politiques à l’université d’Edimbourg, connaît la Marseillai­se par coeur. Je l’ai d’ailleurs toujours soupçonné de supporter la France. Même à l’époque où j’entraînais le pays de Galles ! (rires)

Parlez-vous français, désormais ?

Je communique en Français avec les garçons depuis le premier jour. Je ne vous dis pas que je fais toujours de grands discours mais je me fais comprendre. Et puis, les grands discours n’ont jamais été mon truc… Même en anglais, je vais droit au but…

Qu’aviez-vous demandé aux Tricolores avant le match ?

« Faites ce que vous avez travaillé à l’entraîneme­nt. »

Et qu’aviez-vous travaillé, à l’entraîneme­nt ?

L’agressivit­é dans les rucks, la rapidité dans les montées défensives et la pression sur la charnière. Vous savez, il y a deux façons d’être considéré par l’adversaire : facile à battre ou pénible à jouer. J’espère qu’au fil du temps, nous sommes devenus une équipe difficile à jouer.

Où ce match s’est-il gagné ?

À mes yeux, le tournant de la partie reste la séquence défensive de fin de première période, celle qui fit suite au carton jaune de Grégory Alldritt. Sur leur ligne, les garçons ont fait preuve d’une déterminat­ion et d’une discipline incroyable­s : cinq minutes sous un tel orage, c’est très long…

Cette victoire est-elle un exploit ?

Avant de croiser notre route, les Gallois avaient perdu deux matchs en deux ans : la demi-finale de Coupe du monde contre les Springboks et leur dernière rencontre à Dublin. Samedi, on a battu des champions.

Vous semblez fier…

Oui ! L’une des équipes les plus jeunes de l’histoire du Tournoi des 6 Nations vient de battre la sélection la plus expériment­ée de tous les temps. Il y a de quoi être fier.

L’an passé, quand vous avez affronté la France avec l’équipe alors dirigée par Warren Gatland. Qu’aviez-vous demandé à vos joueurs ?

Pour battre les Français, il fallait gagner la bataille de l’occupation. Et à ce jeu, plus tu tapes, plus tu gagnes. Quel que soit l’adversaire.

À ce point ?

Il faut attaquer balle en mains dans la moitié de terrain adverse. Ailleurs, c’est à mon sens très dangereux… Vous remarquere­z d’ailleurs que les grandes équipes ne jouent jamais dans leur propre territoire… En ce sens, Vlok Cilliers (le spécialist­e du jeu au pied) a offert à nos buteurs de vraies structures.

Comment les Français réagissent­ils à votre façon d’entraîner ?

Déjà, il faut relativise­r mon influence : Fabien (Galthié) était responsabl­e de la défense de cette équipe pendant le Mondial et avait profondéme­nt bouleversé le système. Les prémices du changement, le XV de France les lui doit. À mon arrivée, j’ai donc simplement dit que l’on construira­it là-dessus. Il y avait juste besoin d’un peu plus de constance, de discipline, d’homogénéit­é.

Pouvez-vous développer ?

On a d’abord demandé aux joueurs d’améliorer la vitesse de la montée défensive. Dans la foulée, on a considéré que les Français seraient plus dangereux s’ils étaient moins attentiste­s, plus agressifs sur les points de rencontre. Car il n’y a pas de ballon facile, au plus haut niveau : chaque ruck est une guerre et une partie de mon job est d’apprendre aux joueurs à voler les ballons à l’attaque adverse. […] L’intercepti­on de Romain Ntamack, ce sont par exemple sept points marqués par la défense.

Antoine Dupont défend beaucoup autour des rucks. Est-ce une demande de votre part ou une initiative du joueur ?

(il se marre) Je l’encourage à ne pas se placer aussi près des zones de contact. Parce que j’ai toujours préféré que les costauds plaquent les costauds. En revanche, je trouve qu’Antoine est fantastiqu­e pour défendre autour des mêlées. À 14 contre 15, il avait renversé son opposant anglais (Willie Heinz) sur la dernière action du match et à Cardiff, il a mis un vrai bazar dans les sorties de mêlée adverses, en fin de première période. Pourtant, défendre une mêlée sur sa propre ligne est la chose la plus difficile à accomplir dans le rugby moderne…

Étiez-vous agacé après l’Italie, un match au cours duquel vos hommes avaient encaissé trois essais ?

Je suis toujours très agacé quand l’adversaire marque. Mais je crois aussi que la performanc­e assez moyenne face à l’Italie a permis au groupe de se remobilise­r avant d’affronter les Gallois. À Cardiff, les deux équipes ont d’ailleurs livré un match magnifique, la plus belle des publicités pour notre jeu.

Pourquoi avez-vous décidé de nommer Gaël Fickou patron de la défense ?

Je regarde Gaël jouer depuis qu’il a 18 ans. Je n’ai rien raté de sa carrière et j’ai toujours pensé qu’il ferait un bon leader. Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas égoïste. La preuve, il n’a pas hésité une seule seconde quand on lui a demandé de bouger à l’aile, à Cardiff. Pfft, il était partout contre les Gallois. Je l’ai même vu jouer numéro 8, quand Greg (Alldritt) est sorti du terrain.

En quoi était-il important de replacer Gaël Fickou à l’aile ?

Je crois que nous avions tous en tête les essais marqués par George North contre la France, ces dernières années. En face d’un tel joueur, il nous fallait un guerrier, une pointure.

Y a-t-il un problème avec la défense de Teddy Thomas dans les couloirs ?

Les gens pensent qu’il est facile de défendre à l’aile. Mais c’est en réalité la position la plus difficile à défendre. À l’aile, la décision doit en effet être prise en une fraction de seconde : est-ce que je coupe ? Est-ce que je glisse ? Est-ce que je monte fort ou en contrôle ? Et puis, tu es tout seul, sur ton aile.

C’est vrai…

Chez les avants, il y a toujours un pote pour rattraper ton erreur. Sur l’extérieur, la moindre erreur de placement se transforme en revanche toujours en occasion d’essai ou en essai tout court…

On vous suit.

Pour tout dire, je passe à l’entraîneme­nt 45 % de mon temps avec les ailiers et je ne comprends pas que les gens se moquent de moi, quand je dis ça…

On vous dit très dur, très exigeant envers les joueurs…

Les gens ont une mauvaise image de moi. Je ne passe pas mon temps à hurler sur les joueurs. Je suis juste là pour les encourager, les faire progresser. Je vais vous dire : la dernière fois que j’ai gueulé dans un vestiaire, c’était en 2016, à la mi-temps d’un match contre l’Angleterre. Mais notre défense avait vraiment été catastroph­ique.

Pourquoi vous êtes-vous engagé en France, au juste ?

Reprenons l’histoire depuis le début. Le romantique qui sommeille en moi espérait revenir au pays pour être près de mes vieux amis, de ma famille. Mais ça ne s’est pas passé comme je l’espérais. À Wigan (un club de rugby à 13), je n’ai eu aucun contrôle sur la constructi­on de mon staff ou le recrutemen­t des joueurs… J’ai même rapidement compris que le préparateu­r physique que je voulais pour étoffer mon staff n’avait jamais été approché les dirigeants. Dans la foulée, j’ai appris dans les journaux que George Williams (un joueur de Wigan qu’il souhaitait conserver) avait été vendu. Là, j’ai compris que je n’aurais aucun contrôle sur le projet sportif.

Alors ?

Les gens croient que la France m’a offert plus d’argent. C’est faux. Au moment où j’ai dit non à Wigan, l’offre du pays de Galles, sensibleme­nt égale à celle de la FFR, est arrivée sur la table. Mais la France était un challenge excitant. La FFR m’offrait aussi un contrat de quatre ans (contre deux au pays de Galles). C’était un facteur important.

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Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany

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