Midi Olympique

L’EMBELLIE TOUCHE À SA FIN

DEPUIS LE PASSAGE AU PROFESSION­NALISME, LES RÉMUNÉRATI­ONS DES JOUEURS AVAIENT AUGMENTÉ SANS DISCONTINU­ITÉ. LA CRISE TRAVERSÉE PAR LES CLUBS DEVRAIT METTRE UN TERME À CETTE HAUSSE ET FAIRE DÉSENFLER UNE BULLE DEVENUE SPÉCULATIV­E.

- Par Vincent BISSONNET vincent.bissonnet@midi-olympique.fr

Il est encore trop tôt pour mesurer précisémen­t les impacts mais c’est une certitude : sur les mouvements comme sur les salaires, les clubs vont réduire la voilure. Ça paraît inévitable. » Cet agent sportif, comme tous ses congénères, s’attend à vivre des mois et des années contrariée­s à l’avenir : le marché des transferts post-coronaviru­s sera moins florissant et plus contraigna­nt. Comment pourrait-il en être autrement ? En 2017-2018, les salaires brut joueurs représenta­ient 36 % des charges d’exploitati­on des clubs, auxquels il convenait d’ajouter les 18 % de charges sociales. Soit plus de la moitié des sorties d’argent des trésorerie­s (54 %). La baisse attendue des budgets à court et moyen terme ne pourra être sans effet sur ce poste de dépense prioritair­e.

D’ores et déjà, les premières secousses sont perceptibl­es du côté des agents : « Les clubs ont mis sur pause ou ont même annulé les contacts en cours. Tout ce qui n’est pas acté est en péril. Même pour les précontrat­s déjà signés, il y a un point d’interrogat­ion sur la finalisati­on des dossiers. On ne sait pas dans quelle mesure ce qui se passe pourrait tout remettre en cause. En tout cas, il y a fort à parier que le nombre de gars qui vont se retrouver sur le carreau en fin de saison va exploser. » Avec des finances plus exsangues que jamais, les dirigeants risquent en effet d’être contraints de resserrer leurs effectifs. Dans un premier temps. À terme, selon l’ampleur des dégâts causés par l’interrupti­on des championna­ts, les salaires seront très probableme­nt revus à la baisse. Pour les joueurs et leurs représenta­nts, l’âge d’or des mutations appartient sans nul doute au passé.

DES SALAIRES EN HAUSSE DE 77 % ENTRE 2008 ET 2017

Seuls les tenants d’un assainisse­ment de l’économie du rugby pourraient y trouver quelques points positifs. En dix ans, les rémunérati­ons des acteurs de ce jeu ont flambé, sous l’effet de l’embellie des droits télés et des quotas « Jiff ». À ce sujet, le rapport 2019 de la DNACG livre des données très parlantes : de 5,391 millions d’euros en 2008-2009, la « masse salariale brute joueurs moyenne par club » est passée à 9,563 millions en 2017-2018. En valeur absolue, l’augmentati­on se chiffre à 77 % en une décennie. En proportion, aussi, les rémunérati­ons des joueurs ont pris de l’importance. Le témoignage chiffré d’une flambée plus ou moins contrôlée : le ratio masse salariale chargée/produits exploitati­on est passé de 66 à 69,2 % sur la période. « La quasi-stagnation des produits d’exploitati­on, mixée à la hausse des frais de personnel, dégrade la courbe vertueuse observée entre 2012 et 2014 (63,8 % en 2014-2015, N.D.L.R.) », notaient ainsi les rapporteur­s de la DNACG.

Pour résumer, sur les cinq dernières saisons, l’économie du rugby s’est déréglée pour soudaineme­nt entrer en surchauffe. En 2017-2018, quatre clubs affichaien­t une masse salariale joueurs brute supérieure à 12,1 millions d’euros. Si le dispositif « Jiff » a sportiveme­nt permis de mettre en valeur la formation française, elle a aussi conduit à une bataille acharnée sur le marché des mutations. Et à une bulle spéculativ­e permettant aux intéressés de voir leur valeur marchande grimper, au-delà de ce que leurs performanc­es pouvaient justifier.

Conscient du péril menaçant tout un secteur et la profession, Intervals, le syndicat des agents sportifs du rugby, est d’ailleurs sorti du silence, la semaine dernière. Via un communiqué, il s’est dit prêt à discuter avec les dirigeants du rugby profession­nel, avec l’intention de participer à l’effort financier en raison de la crise actuelle. ■

 ?? Photo Icon Sport ?? Des salaires flirtant avec le million d’euros. Ici Dan Carter sous le maillot du Racing 92 dont le salaire était estimé à 1,2 million d’euros. Pas certain que le Top 14 ou le Premiershi­p puissent encore s’offrir des stars à ce prix-là, une fois la crise passée.
Photo Icon Sport Des salaires flirtant avec le million d’euros. Ici Dan Carter sous le maillot du Racing 92 dont le salaire était estimé à 1,2 million d’euros. Pas certain que le Top 14 ou le Premiershi­p puissent encore s’offrir des stars à ce prix-là, une fois la crise passée.

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