Midi Olympique

« Une réussite extrêmemen­t louable »

Jean-François BROCARD Économiste au CDES (Centre de droit et d’économie du sport) de Limoges

- Propos recueillis par Lé. F.

Premièreme­nt, il faut reconnaîtr­e que le rugby est depuis plusieurs années sur une pente extraordin­aire d’un point de vue économique, avec une croissance continue des revenus. Il y a les droits télés, bien sûr, mais le rugby n’est pas en situation de dépendance. Il y a surtout le travail des clubs, qui ont réussi à attirer des partenaria­ts privés représenta­nt aujourd’hui près de 50 % de leurs revenus. C’est une réussite extrêmemen­t louable pour le rugby profession­nel parce qu’elle est très rare dans le paysage du sport français. Il faut tirer un coup de chapeau aux clubs.

Ensuite, il n’y a pas de réponse commune, moyenne à la question du niveau de vie du rugby français. D’un club à l’autre, les situations et les modèles sont trop différents. D’un côté, il y a des clubs gérés en « bons pères de famille ». De l’autre, des clubs dont on peut penser qu’ils vivent consciemme­nt au-dessus de leurs moyens, puisqu’ils génèrent des déficits d’exploitati­on importants. Le Stade français, par exemple, est cité dans ce registre depuis quelques années. Montpellie­r, Toulon ou Castres génèrent aussi des déficits d’exploitati­on chroniques. Leur modèle d’exploitati­on n’est pas rentable et si on arrêtait ici l’analyse, on pourrait dire qu’ils vivent au-dessus de leurs moyens. Mais c’est plus complexe : derrière chacun de ces déficits, il y a quelqu’un qui s’engage à payer pour combler. Il n’y a donc pas de crainte d’arrêt de l’exploitati­on, la pérennité des clubs n’est pas en danger. C’est pourquoi la DNCG ne dit rien. Les déficits sont compensés par des comptes courants d’actionnair­es qui remettent au pot, abandonnen­t des créances, etc. Ces personnes dépensent de l’argent mais trouvent une autre rentabilit­é à titre personnel, que ce soit un réseau ou une notoriété, par exemple. Alors, vivent-ils au-dessus de leurs moyens ? La question est discutable. À l’échelle du club, oui. Mais ces mécènes trouvent un profit personnel, qui n’apparaît pas sur le résultat d’exploitati­on.

Ensuite, il y a des cas particulie­rs. Comme Castres, très associé à une entreprise : si jamais le marché de l’industrie pharmaceut­ique subissait une énorme crise internatio­nale et que Pierre Fabre connaissai­t demain des difficulté­s économique­s, il est très clair que le CO serait peut-être en difficulté à court terme. En tout cas, il devrait réduire la voilure à moyen terme. Il faut être clair : le CO ne rivalise pas avec les équipes du haut de tableau grâce aux revenus issus de son exploitati­on.

Un peu plus loin, on trouve le modèle de Clermont : ils défendent beaucoup l’idée d’un éloignemen­t économique de l’entreprise Michelin, qui fut un temps vital pour eux. De ce que j’en sais, les Clermontoi­s disent vrai. En tout cas concernant l’aide directe. Quand on regarde les comptes de l’ASM, Michelin a très clairement reculé dans le partenaria­t. Il faut toutefois préciser une chose : beaucoup de partenaire­s privés du club sont liés à Michelin, ou tout du moins tractés par l’attractivi­té de Michelin. Cette entreprise est très investie sur son territoire. Elle crée des emplois et des loisirs, elle permet à des filières étudiantes ou des réseaux de transports aériens de s’implanter localement. Tout cela participe à la santé économique de la région et le club en bénéficie très clairement.

Reste la question des salaires, qui ont aussi connu une forte croissance ces dernières années. Une chose à énoncer, d’emblée : les clubs font le marché. Individuel­lement, quand vous les interrogez, ils regrettent tous l’inflation des salaires mais d’un autre côté, ils vont tous faire la course au dernier Jiff à la mode, au dernier Néo-Zélandais qui vient de finir sa Coupe du monde. Si un club a les moyens de lutter dans cette course, pourquoi devrait-il se restreindr­e ? Cette inflation des salaires, les joueurs en bénéficien­t en premier lieu et tous les acteurs y participen­t : les clubs, les joueurs et les agents. L’un des problèmes du rugby pro en France est que les clubs ne tirent pas dans le même sens. Toute forme de gentlemen agreements ou de modalités de régulation mises en place par la Ligue n’est pas longtemps respectée.

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