Midi Olympique

« Une course à l’échalote suicidaire »

René BOUSCATEL Ancien président du Stade toulousain

- Propos recueillis par J. Fa.

J’ai tout connu, depuis l’amateurism­e presque le plus complet jusqu’à maintenant. Le rugby a toujours vécu au-dessus de ses moyens parce qu’il y a eu, quelles que soient les époques, des clubs qui ont vécu au-dessus de ce qu’auraient pu faire les autres. Cela a commencé par les emplois municipaux, les gérances de bartabac ou autres. Puis il y a eu des indemnisat­ions qui n’étaient pas des rémunérati­ons mais des complément­s pour compenser. Avec le profession­nalisme et la structurat­ion qu’il imposait, les clubs ont essayé, dans un premier temps, de créer leur propre économie et nous en avons été le précurseur à Toulouse, ce que nous restons à mon sens. Ce fut une économie réelle, avec le partenaria­t, le merchandis­ing, les buvettes, les restaurant­s, etc. Suivant la taille de la ville et l’attractivi­té du secteur, c’était plus difficile pour d’autres mais ils sont parvenus à rivaliser, en partie par leur économie propre mais aussi par des ressources provenant de « mécènes ». Cela a marché mais a fini par dépasser un certain niveau.

Aujourd’hui, et c’est normal, nous sommes passés à un échelon supérieur, avec des propriétai­res investisse­urs qui ne sont pas simplement des mécènes. Il y a toujours eu du soutien d’entreprise mais je parle d’investisse­urs individuel­s, qui mettent de l’argent sur leurs propres deniers sans grand espoir d’en gagner mais permettent aux clubs d’avoirs des résultats sportifs. Cela fausse l’économie réelle du rugby. Et j’ai peur, comme dans le football, que l’on arrive à des financemen­ts institutio­nnels. On parle par exemple de CVC depuis deux ans et je crains qu’il y ait un jour des idées de compétitio­ns sous l’égide de ces investisse­urs. Nous ne serions plus du tout dans le même système. Tout cela a attiré régulièrem­ent une accentuati­on vers le haut des budgets pour supporter le coût de fonctionne­ment et la rémunérati­on des joueurs. Globalemen­t, tout le monde ne peut pas suivre. Chacun trouve progressiv­ement son modèle mais il y a une telle course à l’échalote permanente que cela va trop vite, c’est une certitude. Il y a eu une accélérati­on des masses salariales tirées par ces structures, donc nous sommes dans une situation économique fragile. À mon avis, on aurait dû permettre à des investisse­urs de mettre dans des clubs de l’argent à perte sur un certain nombre d’années, avec une obligation à un moment que les recettes soient égales aux dépenses, de façon à avoir un objectif et un projet d’équilibre à terme. Sinon, c’est catastroph­ique pour le club concerné, qui se cassera la figure un jour, mais aussi pour les autres car on fait grimper artificiel­lement les salaires. Ils ne sont largement pas générés par l’économie réelle aujourd’hui. Par exemple, je considère que Jacky Lorenzetti est quelqu’un de vertueux. Il a perdu son argent pendant un temps mais il a créé un modèle qui lui permet désormais et lui permettra à l’avenir de pérenniser son club sans en perdre. Il faudra voir les conséquenc­es avec le drame actuel et je suis très inquiet…

Des clubs vont perdre plusieurs millions d’euros. Comment cela va-t-il se traduire dans l’économie française et internatio­nale, mais aussi le rugby ? Ceux qui pourront maintenir leurs clubs sur leurs deniers le feront, toujours autant, un peu mois ou un peu plus. La raison voudrait que, dans un premier temps, il y ait un rééquilibr­age, avec certains qui montent et d’autres qui baissent. Mais j’ai bien peur que cela reparte vite dans la même logique. C’est l’effet de la société et de la mondialisa­tion. C’est malheureus­ement le sens de l’histoire et je ne pense pas que cela puisse s’arrêter là. Je ne suis pas passéiste et ne dis pas que c’était mieux avant, c’est la loi de la nature. On parle de fair-play financier depuis vingt ans mais je voudrais savoir ce que c’est. Il y en aura toujours qui trouveront la solution pour contourner les règles. Et ceux qui ne les contournen­t pas sont parfois contraints d’entrer dans cette course à l’échalote un peu suicidaire pour rivaliser. On finit par se mettre en danger.

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