Midi Olympique

« Ma priorité, c’est de sauver des gens »

L’INTERNATIO­NAL TRANSALPIN S’EST ENGAGÉ COMME AMBULANCIE­R VOLONTAIRE À PARME, AU COEUR DE L’ÉPIDÉMIE. IL EST EN SERVICE PENDANT PRESQUE TREIZE HEURES CHAQUE JOUR ET NOUS A RACONTÉ SON COMBAT DE TOUS LES INSTANTS.

- Propos recueillis par Diego ANTENOZIO, correspond­ant en Italie (avec S.V.)

Maxime Mbanda avait connu un mauvais coup du sort juste après la victoire historique (24-29, le 11 janvier dernier) de son équipe des Zebre sur la pelouse de JeanBouin face au Stade français. Une blessure au genou gauche survenue dans les toutes dernières minutes de la rencontre l’avait contraint à déclarer forfait pour le Tournoi 2020. Après un mois de rééducatio­n, Maxime

Mbanda, 26 ans, espérait reprendre le cours de sa carrière internatio­nale qui compte à ce jour 20 sélections. Convoqué dans le groupe de 30 joueurs retenus pour défier l’Angleterre à

Rome, il pensait que son souhait allait être exaucé. À cette époque, la menace Covid-19 s’était déjà révélée de manière sournoise dans la province de Lodi, en Lombardie, et progressai­t lentement mais inexorable­ment dans le reste du pays, allongeant un peu plus tous les jours la liste des contaminés.

Une fois le Tournoi reporté et toute activité sportive suspendue pour d’évidentes raisons sanitaires, Mbanda prit la décision de quitter temporaire­ment le flanc de la mêlée pour monter en première ligne. Pas sur le terrain, mais aux côtés des ambulancie­rs volontaire­s de la SEIRSCroix Jaune de Parme, patrie de son équipe des Zebre. Depuis, il se mesure quotidienn­ement à un adversaire aussi inédit que dangereux, et dont le plan de jeu demeure à ce jour inconnu.

Qu’est-ce qui est à l’origine de votre décision ?

Mon père (originaire de Kinshasa, N.D.L.R.) est médecin à Milan et a consacré sa vie à sauver des personnes. Mon éducation s’est donc appuyée sur ce principe : aider ceux qui sont en difficulté. Je serai toujours reconnaiss­ant envers mes parents et j’espère pouvoir le transmettr­e un jour à mes fils. Lorsque la Fédération a pris la décision de suspendre toute activité, je me suis demandé comment rendre service à la communauté malgré mon manque de toute compétence médicale. Alors j’ai fait des recherches, dans la presse, pour finalement trouver un article où l’on parlait d’une collaborat­ion sanitaire entre la Région Emilie-Romagne, la Mairie de Parme et le « SEIRS-Croix Jaune ». Ils cherchaien­t des volontaire­s pour délivrer des médicament­s et de la nourriture aux personnes âgées en régime de confinemen­t préventif. J’ai pris contact avec eux, le 11 mars dernier. C’est parti comme ça.

Comment cela a été accueilli par votre famille, au sein de votre club et par vos coéquipier­s ?

J’ai d’abord ressenti un peu de crainte autour de moi, et notamment de ma copine. Mais aujourd’hui elle est bien consciente que je ne fais ça que pour aider des personnes à survivre et c’est ma priorité pour l’instant. Dans le même temps, je savais que tous mes proches seraient fiers de ce que j’allais faire. Les Zebre, ainsi que ma famille, m’ont totalement supporté dans ma décision de sauver des vies quitte à laisser le rugby de côté. Eux aussi sont bien conscients que la situation de notre pays est grave. Mes coéquipier­s se sont engagés, chacun en fonction de leur situation de famille car la majorité d’entre nous ont de jeunes enfants ou vivent avec leurs parents âgés. Ils sont donc partis donner leur sang, une chose dont on a désespérém­ent besoin en ce moment. Mon président, Andrea Dalledonne, m’a écrit une lettre où il m’exprimait tout son soutien et son admiration. J’ai promis à tous d’être prudent puisque je ne veux pas risquer d’amener ce virus chez moi.

De là, je suis en accord avec ma conscience.

Vous avez passé une formation spécifique préliminai­re à votre entrée en service ?

Après un premier jour passé à distribuer des médicament­s et de la nourriture, le manque de personnel m’a vite conduit en première ligne, pour transférer des patients d’un hôpital à un autre en raison des nécessités de thérapies d’urgence. D’abord, on a fait des briefings pour apprendre comment s’habiller correcteme­nt, garder l’hygiène personnell­e pour se protéger soi-même et protéger les autres. On sait que l’incubation du Covid-19 serait d’environ 15 jours, mais il n’y a pas de certitude pour l’instant. La forme de pneumonie qu’il peut provoquer est très dangereuse et cause des difficulté­s respiratoi­res qui obligent à l’intubation orale. Au début j’étais un peu emprunté dans mes mouvements, mais au fil des jours je me suis amélioré.

Comment parvenez-vous à vous protéger efficaceme­nt, en étant si fréquemmen­t au contact du virus ?

Cette situation m’impose de me désinfecte­r en continu. Lorsque l’on transporte des patients en ambulance, ils sont conscients ou pas. Ceux qui le sont comprennen­t très bien ce qu’il se passe. La majorité d’entre eux sont des gens âgés, mais pas seulement et l’intubation les empêche de parler. Là, tu vois la peur dans leurs yeux. Ils ne savent pas où ils vont, ni ce qui va leur arriver. Plusieurs demeurent dans les hôpitaux pendant des jours. Un homme m’a raconté qu’au début de son séjour, son voisin de lit était mort après trois heures de souffrance. Que deux femmes avaient connu le même sort la nuit dernière et que des personnels passaient leur temps à courir partout pour enregistre­r les admissions en réanimatio­n. Il n’avait jamais connu un contact aussi direct avec la mort : au bout de 10 jours, il était effrayé ! Chaque fois que l’on transporte un patient, on ne peut pas s’éviter de penser que le prochain sera peut-être un parent ou un ami. Souvent, les patients vous demandent de leur prendre la main, parce qu’ils ont peur… Alors vous vous exécutez et vous leur donnez un geste de tendresse. Mais dans le même temps, vous savez que vous devez vous protéger à tout prix. Alors vous trouvez le moyen de vous cacher derrière la civière pour vous désinfecte­r aussitôt. Ça, c’est terrible.

Pouvez-vous nous décrire votre journée type ?

On n’arrive jamais à mettre le mot « fin » au bout de chaque journée. Depuis le 11 mars, lorsque j’ai commencé mon service, je n’ai jamais eu un jour de repos. Moi et mes collègues, nous sommes opérationn­els sur la route pendant presque 13 heures par jour, dès 8 heures du matin. C’est tous les jours comme ça. Pour ma journée la plus légère, j’ai travaillé 9 heures à la suite. Lorsqu’on arrive sur site, les équipes sont déjà formées. On lit simplement le tableau d’affectatio­n et allez, on repart ! En cas d’urgence, ils nous appellent et il faut se précipiter. Cela vous fait comprendre quel est le niveau de l’urgence dans la province de Parme…

Quelle est la situation dans les hôpitaux ?

La propagatio­n rapide de la maladie est telle que l’on ne peut qu’hospitalis­er les gens qui ont besoin d’une thérapie d’urgence, en raison des places limitées. Il y a des médecins et des infirmiers ou infirmière­s qui font des gardes de 22 heures et qui ne peuvent pas se reposer de toute la journée. Donc il faut absolument éviter de surcharger les structures sanitaires. Cela oblige au déplacemen­t de patients d’un hôpital à l’autre (il y en a trois dans la province : Parme, le majeur, Fidenza et Borgo Taro, en montagne, N.D.L.R.) en fonction de l’évolution de chaque cas clinique individuel. Beaucoup d’entre eux nécessiten­t d’être transporté­s sur civière, avec un respirateu­r. J’ai même été obligé d’apprendre sur le tas la méthode pour leur mettre de l’oxygène, ou celle pour les faire passer d’une civière au lit car il n’y avait pas de temps. La situation l’imposait. Le soir, une fois rentré à la maison, je consacre une partie du temps qu’il me reste à suivre une formation spécifique sur les procédures.

Est-ce que la vie quotidienn­e a beaucoup changé dans les villes pendant ces trois semaines ?

Beaucoup. Vous sentez la crainte qu’ont les gens dans leurs relations sociales, même s’il s’agit de rencontres occasionne­lles. Presque personne ne se laisse approcher sans masque et cela devra continuer jusqu’au moment où un vaccin sera disponible. La peur s’est emparée de la quasi-totalité des personnes. Ce qui m’énerve, ce sont les gens qui font semblant d’ignorer la gravité de cette situation et qui continuent à faire leur vie comme si tout cela n’existait pas. Il faudrait qu’ils voient dans quelles conditions se trouvent les patients dans les hôpitaux. Je peux vous assurer qu’il est plus agréable de s’ennuyer un peu à la maison que de se faire intuber. Je voudrais aussi blâmer ces gens qui ont tellement paniqué au point de former d’interminab­les queues devant les supermarch­és : il n’y a aucune explicatio­n rationnell­e, car la livraison de nourriture est assurée. Au contraire, cela ne fait que multiplier des occasions de transmettr­e le virus. Il faut sortir de cette situation à tout prix et cela ne peut se faire que par le respect des règles strictes édictées par les autorités publiques. Ce n’est qu’une question de respect envers toute la communauté et tous ces profession­nels de santé, qui sont en service permanent depuis un mois.

Votre formation sportive vous a-t-elle servi pour affronter une expérience si forte au niveau émotionnel ?

Dans le rugby, l’objectif est de marquer un essai. Là, l’enjeu pour moi est de sortir le plus vite possible de cette urgence et de sauver le maximum de gens. Pour cela, j’ai glissé de la troisième à la première ligne. Je n’ai que cet objectif en tête en ce moment. Je sais qu’une fois que tout cela sera terminé, je conservera­i mon engagement volontaire. La Croix Jaune est désormais ma seconde famille.

Avez-vous toujours la possibilit­é de vous entraîner ?

Je dois la trouver à tout prix car je reste un joueur profession­nel et cette expérience ne doit pas m’empêcher d’être rigoureux dans mon travail. Le soir, une fois rentré à la maison, l’entraîneme­nt me donne l’occasion de me décontract­er et de relâcher toute la tension accumulée pendant la journée. J’ai un programme et je le suis.

En France la situation est en pleine évolution : souhaitez-vous transmettr­e un message ?

Respectez les règles de confinemen­t édictées par les autorités, c’est pour l’instant la seule manière de combattre le Covid-19 de façon efficace.

« La peur s’est emparée de la quasi-totalité des personnes. » Maxime MBANDA Troisième ligne des Zebre et de l’Italie

 ?? Photos Icon Sport et Instagram ?? Jusqu’au 11 mars, Maxime Mbanda n’était qu’un « simple » joueur pro et internatio­nal italien. Depuis, il est aussi ambulancie­r pour la Croix Jaune italienne et se bat tous les jours contre le Covid-19.
Photos Icon Sport et Instagram Jusqu’au 11 mars, Maxime Mbanda n’était qu’un « simple » joueur pro et internatio­nal italien. Depuis, il est aussi ambulancie­r pour la Croix Jaune italienne et se bat tous les jours contre le Covid-19.
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