Midi Olympique

« Je n’ai jamais vu Richie McCaw hors-jeu »

- Par Marc DUZAN marc.duzan@midi-olympique.fr

STEVE HANSEN - ANCIEN ENTRAÎNEUR DES ALL BLACKS C’EST AU CRÉPUSCULE DU DERNIER MONDIAL QUE STEVE HANSEN, LE COACH LE PLUS TITRÉ DE TOUS LES TEMPS, A CHOISI DE QUITTER LA SCÈNE. IL REVIENT, POUR NOUS, SUR LES GRANDES HEURES DE SA CARRIÈRE. PLACE AU BOSS...

Qu’on le veuille ou non, c’est le plus grand coach de l’histoire qui a quitté la scène internatio­nale, à l’automne dernier. Au Japon, c’est l’entraîneur le plus titré de la planète qui a fait ses adieux au « rugby d’en-haut », comme on dit souvent. Steve Hansen (61 ans), c’est un titre de champion du monde, six victoires dans le Rugby Championsh­ip, 107 matchs à la tête des All Blacks, 10 misérables défaites et un ratio de succès flirtant avec les 90 %. Qui l’eut cru ? Sûrement pas les voix néo-zélandaise­s qui s’étaient élevées en 2004 pour demander sa tête, lorsqu’il devint l’adjoint de Graham Henry en équipe nationale. « Tout n’a pas été simple, nous confiait-il à ce sujet mardi matin. Au départ, j’étais un coach en apprentiss­age et quelqu’un de beaucoup moins diplomate que je ne le suis aujourd’hui. » Au temps où Steve Hansen était le simple entraîneur des avants néo-zélandais, le deuxième ligne Victor Matfield fut donc tout près d’avoir sa peau, au terme d’un match où le géant des Boks déroba cinq ballons aux sauteurs d’enface : sur chacun des lancers de son talonneur et capitaine John Smit, Matfield jouait ce jour-là la provoc’, ridiculisa­nt le pack des Tout Noir par ses bravades : « N’annonce rien, Smitty. Lance la balle où tu veux. De toute façon, je la prendrai. » Critiqué, bousculé à ses débuts, Steve Hansen manqua donc parfois de tact, lorsqu’il dut répondre à ses assaillant­s. À un présentate­ur télé (Jim Kayes) qu’il jugeait ignare, il lança une première fois : « Tu es passé trois secondes à la télé et tu penses que ta merde ne pue pas ? » ; avant de récidiver, quelques mois plus tard, exigeant du même opportun qu’il se frotte pour de vrai à Wyatt Crockett, ce pilier des Crusaders dont la tenue de mêlée avait alors été mise en doute dans les médias locaux…

À L’ORIGINE DU « TEA BAG » QUI A TUÉ LES BLEUS EN 2011

Sexagénair­e depuis quelques mois, Steve Hansen s’est depuis apaisé et, de sa carrière, on ne retient finalement que les coups de force. C’est par exemple lui, et lui seul, qui offrit aux All Blacks leur unique essai en finale de Coupe du monde, en 2011 : « J’avais remarqué qu’en touche, les Bleus faisaient sauter leurs deux blocs même lorsqu’ils devaient défendre près de leur ligne, notamment depuis que nous leur avions marqué un essai après une combinaiso­n en fond de touche, en 2010 à Marseille. » Au soir de la finale du Mondial, Julien Bonnaire,

Thierry Dusautoir et Pascal Papé attendaien­t donc les Blacks en début d’alignement et en fond de touche… mais pas au milieu, entre Whitelock et Kaino, là même où Tony Woodcock, le dernier intervenan­t de la combinaiso­n intitulée « tea bag », transperça le rideau pour offrir aux Tout Noir ce qu’ils attendaien­t depuis vingt-quatre ans. « Je n’oublierai jamais cette finale, poursuit-il à présent. Quand les Français sont sortis du tunnel derrière Dusautoir, en se tenant par la main, j’ai su que cette finale serait un foutu combat. Ce soir-là, Piri Weepu (le buteur, N.D.L.R.) n’était pas dans un bon jour, on les a laissés dans le match et ils auraient très bien pu gagner. » En France, on est même encore persuadé que sans la néfaste influence de Craig Joubert, les Bleus auraient été champions du monde, cette année-là. Il se marre : « Moi, je n’ai jamais vu Richie McCaw hors-jeu ! Enfin, pas plus que les autres flankers de la planète. […] En tant que coach, tu te dois de toute façon d’accepter ce qui t’arrive, le bon comme le mauvais. Quand ça ne tourne pas de ton côté, tu dois passer à autre chose, c’est tout. » Mais est-il passé à autre chose, lui, lorsqu’une erreur de Romain Poite coûta aux All Blacks la série de tests face aux Lions britanniqu­es en 2017 ? « Ce n’est pas à Romain que j’en veux. Après la rencontre, il était emmerdé. Je lui ai serré la main et lui ai dit : « Ce n’est pas grave, tourne la page. » En revanche, j’aurais voulu des excuses de la part de World Rugby. J’aurais voulu qu’on m’explique pourquoi cette action (en-avant repris devant, N.D.L.R.) aboutit sur une pénalité dans un match et pas dans le suivant. Ces excuses, je les attends toujours… » Il marque une pause, reprend : « World Rugby doit quoi qu’il en soit changer son mode de fonctionne­ment. Le Board devrait aujourd’hui être géré comme un business, avec un petit groupe de personnes à sa tête. Le système actuel, qui multiplie les votes pour le moindre changement de loi, ralentit considérab­lement toute forme d’évolution. » À ce point ? « Oui. Le rugby internatio­nal doit muter au plus vite. L’Australie est au bord de la banquerout­e, les États-Unis sont en faillite, l’Angleterre souffre et sans quelques fonds propres, la Nouvelle-Zélande serait dans la même situation. Il est temps que nos dirigeants arrêtent de penser à eux et se penchent enfin sur le jeu. »

« DUPONT ET NTAMACK M’ONT BEAUCOUP IMPRESSION­NÉ »

Dans quelques semaines, Steve Hansen rejoindra le Japon, où il deviendra le conseiller technique des Toyota Verblitz, l’un des clubs les plus puissants du championna­t nippon. En attendant, il profite du confinemen­t pour « travailler son swing », « retaper des trucs » dans sa nouvelle maison de Christchur­ch, appeler sa fille Whitney (« Elle entraîne une équipe de filles, à Christchur­ch. Au début, je n’aimais pas le rugby féminin. J’imagine que j’ai changé, depuis… ») et dévorer du rugby. « Je me suis penché sur le dernier Tournoi des 6

Nations, explique-t-il à présent. La France monte en puissance. Cette équipe sera très dangereuse dans les mois à venir et, à ce titre, Ntamack et

Dupont m’ont beaucoup impression­né. » On l’interrompt.

N’a-t-il jamais été contacté par un club de Top 14 ou, plus récemment, par Bernard

Laporte lorsqu’il fut question de remplacer Jacques Brunel à la tête des Bleus ? « Bernard ne m’a jamais appelé. Ni aucun club français d’ailleurs.

Au fil de ma carrière, j’ai toujours fait savoir que je n’étais disponible que pour les All

Blacks. J’avais le job de rêve, en quelque sorte. »

Hansen, qui se rêvait jockey et fit une modeste carrière dans la police avant de devenir un entraîneur profession­nel, fut dernièreme­nt l’un des sélectionn­eurs les mieux payés de la planète, derrière Eddie

Jones et Joe Schmidt. Il ne put, néanmoins, décrocher au Japon le troisième titre consécutif dont il avait rêvé pour ses Tout Noir, forts en 2011, invincible­s en 2015 et finalement battus par l’Angleterre, il y a quelques mois : « Les All Blacks de 2015 étaient-ils la meilleure équipe que j’ai jamais entraînée ? Je le crois, oui : à l’époque, elle pratiquait un style de jeu qu’aucune équipe ne savait vraiment défendre. » D’accord. « Celle de 2019 était aussi très forte. Son problème fut juste de ne pas avoir assez souffert, avant de démarrer la Coupe du monde. Les mecs de 2011 et 2015 avaient connu l’échec, le trou noir de Cardiff et la défaite face aux Français, au Millennium. Ces derniers mois, j’ai eu beau répéter aux joueurs qu’un Mondial était une compétitio­n très différente de toutes celles qu’ils avaient connues jusque-là, ils m’ont probableme­nt écouté que d’une oreille. » Passé la gifle encaissée face à la Rose, Steve Hansen accusa le choc, à Tokyo, avant de rendre les armes : « D’ordinaire, je demande toujours le DVD du match à l’analyste vidéo dans l’heure qui suit le coup de sifflet final. Après l’Angleterre, je ne l’ai pas fait. C’était devenu le problème de quelqu’un d’autre. » Il soupire, conclut : « Les Blacks, ce fut un beau voyage… Mais l’heure était venue qu’il se termine… » ■

« Bernard (Laporte) ne m’a jamais appelé. Ni aucun club français d’ailleurs. Au fil de ma carrière, j’ai toujours fait savoir que je n’étais disponible que pour les All Blacks. J’avais le job de rêve, en quelque sorte. »

Steve HANSEN

Ancien entraîneur des All Blacks

« Ces derniers mois, j’ai eu beau répéter aux joueurs qu’un Mondial était une compétitio­n très différente de toutes celles qu’ils avaient connues jusquelà, ils m’ont probableme­nt écouté que d’une oreille. »

Steve HANSEN

Ancien entraîneur des All Blacks

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