Midi Olympique

Robert Bru, la mort d’un maître

DÉCÈS ROBERT BRU S’EN EST ALLÉ. « PROF DE GYM » JUSQU’AU BOUT DES ONGLES, IL A FAÇONNÉ LE STADE TOULOUSAIN MODERNE DANS UNE CERTAINE DISCRÉTION. SON HÉRITAGE N’EN EST QUE PLUS IMPRESSION­NANT.

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

On l’avait croisé de-ci de-là, dans les travées d’ErnestWall­on ou plus tôt des Sept-Deniers. Sa barbe en collier le désignait pour ce qu’il était avant tout: un prof, un éducateur. Il n’occupa pas vraiment le devant de la scène, mais son nom monosyllab­ique revenait dans bien des conversati­ons. Robert Bru était clairement un « prof de gym », expression clivante à cette époque charnière. Elle le situait dans la catégorie des penseurs du rugby, ceux qui cherchaien­t à lui donner un cadre conceptuel pour l’apprivoise­r et le régénérer. Les plus jeunes ont sans doute du mal à le situer, surtout si on le met en balance avec d’autres gloires toulousain­es mais son apport fut aussi considérab­le, bien que discret, déjà parce qu’il n’avait pas été un joueur de haut niveau. Il n’avait chaussé les crampons que sous le maillot de son école normale et de son université, sans crever l’écran. Ça lui donne à nos yeux une aura supplément­aire à la Guy Roux, Arrigho Sacchi, Graham Henry ou Rod McQueen, le coach mythique de l’Australie de 1999. Mais le retour du Stade toulousain au premier plan, c’était lui. Et s’il n’était pas une vedette, il servait de référence aux vrais connaisseu­rs de l’histoire du rugby moderne. Une jouissance de gourmet.

Pierre Villepreux lui devait beaucoup et ne s’en cachait pas. « Avec lui et Jean Fabre nous avons forgé le projet de jeu du Stade Toulousain. Je l’ai connu en tant qu’étudiant. Il était mon prof au Creps et j’ai été très intéressé par sa méthodolog­ie de l’enseigneme­nt du rugby. J’ai essayé de l’appliquer partout où je suis passé par la suite avant de revenir à Toulouse et de le retrouver d’ailleurs à la tête de l’équipe première. Il était humain, rigoureux, pédagogue évidemment, mais surtout, très responsabl­e. » Comment résumer la pensée de Robert Bru ? « Il estimait que le rugby c’était d’abord le mouvement, avant les phases statiques ou les regroupeme­nts. On devait d’abord travailler le mouvement. C’était une démarche chronologi­que », reprend Pierre Villepreux.

DANS L’OMBRE, L’ARCHITECTE DU THÉÂTRE ROUGE ET NOIR

Robert Bru, Audois d’origine, avait pourtant entraîné Toulouse, entre 1981 et 1983, juste avant que le club ne redevienne une machine à gagner des trophées. Le club n’attirait pas encore la lumière. « J’étais allé le chercher à Revel, il avait longuement réfléchi avant d’accepter car évidemment, je lui proposais un défi d’une autre dimension », se souvient Jean Fabre, professeur d’université lui aussi et président historique du Stade toulousain. « Il était discret en public, il n’était pas très médiatique. Mais en interne, il se faisait entendre. Il savait se tenir droit et il savait faire passer les messages qu’il voulait faire passer. Il était aussi très observateu­r et novateur dans les méthodes d’entraîneme­nt. En tant qu’ancien joueur, ça m’intéressai­t et j’ai découvert beaucoup de choses à son contact. Lors de nos premiers titres, il n’était plus entraîneur mais croyez-moi, il était très important.Villepreux et Skrela avaient beaucoup d’admiration pour lui. »

À sa façon, bienveilla­nte et humble, il tirait les ficelles techniques du théâtre rouge et noir : « Nous avions décidé que tous les entraîneur­s devaient appliquer le même style et la même philosophi­e pour que nos jeunes découvrent l’équipe première dans les meilleures conditions» poursuit encore Jean Fabre. «C’était très important pour nous et c’est lui qui s’occupait de ça. Mais pour résumer son apport, je dirais que l’ADN du Stade toulousain moderne, c’est lui qui l’a créée. Les Villepreux, Skrela, Novès, Mola l’ont perpétuée. » Son influence dépassait toutefois les limites de son club de coeur. C’est l’avantage « des profs de gym », l’éducation nationale et l’université ouvrent leur savoir à toutes les chapelles. Philippe Dintrans, talonneur de Tarbes et du XV de France par exemple lui devait aussi beaucoup : « En trois ans de faculté au Creps de Lespinet, il a changé le joueur que j’étais. »

« IL EST PASSÉ DES ÉCRITS AUX ACTES »

Dans la chaîne des compétence­s et des intelligen­ces qui ont stimulé le rugby des années 80, Jean-Claude Skrela cible avec précision le moment où l’architecte Bru a transformé les plans en édifice : « Plus que l’inspirateu­r du jeu de mouvement, je pense qu’il a été celui qui a traduit les écrits en actes. C’était capital car avant lui, René Deleplace et Jean Gajan avaient des principes. Mais lui les a concrétisé­s, un progrès vraiment décisif. Car il faut se souvenir que nous étions très critiqués, on nous disait que le mouvement, ce n’était pas du rugby. Ceux qui pensaient que le rugby consistait à se rentrer dans la gueule étaient influents. On en voit d’ailleurs les conséquenc­es aujourd’hui. Mais par rapport à ses prédécesse­urs, Robert avait connu un Stade toulousain qui commençait à recevoir des joueurs qui étaient passés par ses cours au Creps, c’était le début d’une ère nouvelle. »

Quand Jean-Claude Skrela vint seconder Pierre Villepreux à la tête de l’équipe première, Robert Bru prit du recul et il s’attela à une autre tâche, la mise en place du centre de formation du club. Son dernier chef-d’oeuvre. « Ce n’était pas que de la formation rugbystiqu­e, il s’occupait aussi des projets profession­nels des jeunes. Il veillait à cette partie de leur éducation. » Son image restera accolée à celle du Stade Toulousain pour l’éternité, mais on n’oubliera pas son crochet à Narbonne. On n’oubliera pas non plus la dernière fois qu’un ami l’a vu à l’oeuvre un peu par hasard, à l’occasion d’un quart de finale de Promotion d’honneur entre l’entente Salles d’Aude-Fleury d’Aude, sa patrie, et Gabarret. C’était en 2007. Il s’était glissé près du banc de son club pour proposer un aménagemen­t tactique, le déplacemen­t d’un troisième ligne au centre. Bingo, ça avait marché. Intuition modeste et géniale de l’universita­ire à la pipe qui savait s’adresser à tous les niveaux. ■

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 ?? Photos La Dépêche du Midi et Midi Libre ?? Grand maître à penser du rugby toulousain, Robert Bru s’en est allé ce samedi. Ces dernières années, Ugo Mola était notamment allé se ressourcer auprès de lui, puiser chez lui un peu de cette pédagogie immense.
Photos La Dépêche du Midi et Midi Libre Grand maître à penser du rugby toulousain, Robert Bru s’en est allé ce samedi. Ces dernières années, Ugo Mola était notamment allé se ressourcer auprès de lui, puiser chez lui un peu de cette pédagogie immense.

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