Midi Olympique

Bagarres de légende La féria de « Lulu »

EN 2011, LE DERBY BIARRITZ - BAYONNE FUT MARQUÉ PAR UNE ÉCHAUFFOUR­ÉE TRÈS SPÉCIALE, CAR RENFORCÉE PAR UN SPECTATEUR SURGI DES TRIBUNES. UN SPECTATEUR PAS TOUT À FAIT COMME LES AUTRES…

- Par Jérôme PRÉVÔT (avec A.B. et M.D.) jerome.prevot@midi-olympique.fr

Vous en voulez un effet de sidération ? Ce 29 novembre 2011, à Biarritz les 12 000 spectateur­s, plus les téléspecta­teurs de Canal +, ont vécu une expérience extrême, une rencontre du troisième type. Le cadre était chaud pour le centième derby basque car Biarritz, censé être une grosse écurie, avait mal commencé la saison en l’absence de ses internatio­naux retenus pour le Mondial. Un faux pas à domicile aurait pris des allures de catastroph­e. Le match avait été reporté à cause de l’épidémie d’oreillons et pour couronner le tout, c’est un arbitre étranger, l’Irlandais M. Ftizgibbon qui officiait. . A la 7eme minute, le match bascule à partir d’un accrochage entre Imanol Harinordoq­uy et Jean-Jo Marmouyet. Une droite part. Renaud Boyoud, Damien Traille, Jérôme Thion, Rob Linde, Abdelatif Boutaty, Yoann Huget, Erik Lund et Lionel Mazars viennent s’en mêler. Le foyer éclate dans le dos de l’arbitre qui se retourne et accourt pour intervenir. Vu de la tribune de presse à l’opposé, on ne distingue sur le moment qu’un regroupeme­nt informel, avec des gestes brusques, quelques esquisses de pancrace. Ça a démarré fort, mais ça n’estpas non plus un combat de rue. Puis une scission se fait jour entre les mirauds et les yeux d’aigle, dont ceux d’un collègue, aujourd’hui disparu : Jérôme Fredon. : « Un spectateur est entré sur le terrain ! » C’était vrai, en réglant sa propre mire, on finit par distinguer, une silhouette, cheveux blancs, pull over rouge, veste marron, lunettes. Des marrons, l’intrus était venu en distribuer justement, sans complexe au milieu des athlètes qui auraient pu être ses fils. On sentit quand même d’emblée qu’il les destinait plutôt aux Bayonnais. Au micro de Canal +, Thomas Lombard et Philippe Groussard héritent en direct du bébé. Pas facile de commenter ce genre d’images en direct. « Un spectateur est

entré sur le terrain et ça, c’est inadmissib­le ! » s’exclame Lombard sous le coup de la surprise. « Ceci-dit, il a bien été accueilli, », répond du tac au tac Philippe Groussard, un ton plus bas, dans le registre du consultant froid. C’est vrai, qu’on vit notamment Benjamin Boyet ceinturer l’intrus avant qu’il soit raccompagn­é vers la touche par Benoît August talonneur du Biarritz olympique. En soit l’événement était déjà énorme. Thomas Lombard témoigne : « C’était en pleine semaine, pas à une date normale et on se doutait bien qu’il pouvait se passer quelque-chose dans un derby Biarritz - Bayonne, surtout à cette époque, c’était quelque-chose… Mais un truc comme ça… On se dit qu’il y a qu’au rugby qu’on peut voir ça. Ça m’a rappelé les matchs de jeunes, en cadets notamment, il y avait souvent comme ça des pères surexcités qui étaient toujours au bord de sauter sur la pelouse en

cas d’échauffour­ée. Mais entre ceux qui font mine de rentrer et ceux qui rentrent, il y a une différence. Il y en a pas beaucoup qui entrent. Mais on n’a pas su tout de suite qui c’était. Mais un truc m’a interpellé : c’est la réaction de Benoît August. Je me dis : ça, c’est un mec qu’ils connaissen­t ! »

Bien vu ! Car petit à petit une rumeur commença à parcourir Aguilera. Au bout de combien de temps ? Difficile à dire, les souvenirs des uns et des autres s’embrouille­nt, la notion de temps est si sujette aux errements de la mémoire. Mais le moment nous est resté : une voix qui murmure, interloqué­e. L’intrus qui avait sidéré tout le monde… c’était le père d’Imanol Harinordoq­uy. Nouvelle stupéfiant­e qui rendait cet énième derby inoubliabl­e. Il est vrai que, dans cette échauffour­ée vraiment spéciale, le talonneur internatio­nal de Biarritz Benoît August a pris les affaires en main. C’est lui qui calme le jeu pour faire sortir le visiteur le plus rapidement possible. Il témoigne : « J’ai reconnu tout de suite Lucien. Dans toute cette histoire, je n’ai eu qu’une idée le protéger. C’était quand même un monsieur d’un certain âge qui se retrouvait au milieu de joueurs physiqueme­nt préparés. Je suis allé voir les autres joueurs, les Bayonnais notamment dont Benjamin Boyet que je connaissai­s bien et que je savais bon judoka pour calmer tout le monde. » Benjamin Boyet demi d’ouverture de l’Aviron nous l’a d’ailleurs confié il y a quelques semaines alors que nous l’interrogio­ns sur une autre bagarre (Bourgoin - Agen 2005, lire MO du 13 avril). Il s’était retrouvé gêné de devoir maîtriser cet homme surgi de nulle part face à lui, dont le style pacifique et romantique se conjugue mal avec ce genre de débordemen­ts.

SPHÈRES PRIVÉE ET PUBLIQUE QUI SE MÊLENT

On imagine sans difficulté le malaise causé par cette intrusion, pour Imanol Harinordoq­uy en premier lieu. Voir sa sphère privée et sa sphère publique se mêler comme ça soudaineme­nt… Le troisième ligne internatio­nal n’a jamais voulu en reparler publiqueme­nt. Son papa, éleveur de chevaux, si, par deux fois, notamment en 2012 quand il reçut chez lui notre confrère Marc Duzan pour

exprimer sa désolation. « Imanol n’était pas content. Il a longtemps fait la gueule. C’est normal. Quand il m’a vu entrer sur le terrain, il a dû se dire : mais qu’est-ce qu’il fout, celui-là ? On a le même caractère. Je suis un peu son mentor, vous savez. Parfois, Imanol peut-être très koxka (bougon, en basque, N.D.L.R.). Cette histoire, qu’il appelle sa « plus grosse connerie », l’a fait basculer de l’autre côté, dans la vie publique. La machine s’est emballée. Ma binette en Une de Sud

Ouest, vous vous rendez compte ? Cette affaire m’a totalement dépassé. J’ai perdu le contrôle. »

Certains de ses clients espagnols l’avaient aperçu à la télé. Trevor

Hall, l’ancien deuxième ligne du BO, a failli s’étouffer lorsque les images du derby lui sont parvenus, via internet, jusqu’à Johannesbu­rg. « On m’en a parlé jusqu’aux marchés de Poitiers. Je ne savais même pas qu’ils s’intéressai­ent au rugby, là-bas… » Quatre mois plus tard, Lucien Harinordoq­uy voulait tourner la page. Il n’est pourtant pas un jour où un quidam ne lui ressorte l’anecdote. « Je sais que j’ai mal agi. Mon attitude est impardonna­ble. Mais si, aujourd’hui, on pouvait m’oublier un peu… » La phrase restait en suspens. Il enchaîna alors. « Si Imanol n’était pas internatio­nal… Si Imanol jouait encore à Garazi… Si j’avais été moins con… » Aujourd’hui encore, la majorité des acteurs impliqués dans l’incident préfère ne pas pas en parler. Le monde du rugby l’a rapidement rangé dans la case du « folklore », Thomas Lombard emploie ce mot. Cette petite touche, qui fait du rugby un sport encore à part, par sa nature même, celle d’un sport de combat collectif, dont l’énergie déborde via quelques coups de pétard qui Dieu merci, ne vont pas trop loin. L’incartade vaudra au BO l’obligation de jouer un match à domicile sur terrain neutre, à Dax face à l’UBB.

GAJAN TOUCHÉ PAR RICOCHET

Mais faire redéfiler le cours de cette soirée dantesque, c’est une fois de plus mesurer le relativité des événements. Benoît August évoque une ambiance d’après-match, qui ne tourna pas du tout à la mortificat­ion : « Nous n’avons pas reparlé de l’incident dans les vestiaires. Parce que, n’oubliez pas que ce derby, nous l’avons gagné in extremis, 21-19, par une pénalité de dernière minute de Julien Peyrelongu­e. Un moment très fort. Pour nous, la dramaturgi­e du match a pris le dessus sur tout le reste, l’événement de Lucien Harinordoq­uy est passé à la trappe. Les Bayonnais en ont plus parlé que nous. » Justement, les Bayonnais. Comment ont-ils vécu ce match ? On les avaient sentis furibards sur le coup évidemment. Neuf ans après Christian Gajan, le manager bayonnais, jette une lumière inattendue sur cette soirée, sans rancune avec celui qui a fait irruption sur la pelouse : « Oui, d’accord, le geste de Lucien Harinordoq­uy est incompréhe­nsible. Mais bon, c’est arrivé… Je n’ai pas eu l’occasion d’en reparler avec lui ou avec son fils. » Mais il ne peut pas ne pas rappeler que finalement, c’est sur lui que l’« affaire » a eu le plus de conséquenc­es : « Et oui, c’est sur cette défaite que je me suis fait virer. Parce que tout le monde a oublié une chose, quand la bagarre éclate, nous venions ne marquer un essai par Aretz Iguiniz. Nous étions devant au score, avec sept points de plus, je pense que nous n’aurions pas été rattrapés. Ce match, c’était le match du retour de nos internatio­naux qui étaient au Mondial : Rokocoko, Heymans, Phillips, Lauaki. Nous avions les moyens de nous imposer. Mais cette affaire de l’intrusion a fait diversion, vu l’embrouille, finalement l’arbitre a refusé l’essai. Je ne vois pas pourquoi, il aurait très bien pu l’accorder et donner un carton jaune à ceux qui ont commencé la bagarre. Il a argué d’une interventi­on d’un élément extérieur au jeu. » C’est sûr qu’on compatit car une défaite dans un derby 21-19 à la dernière minute, dans ces conditions, c’est vraiment une façon raide de se faire virer. « Mais oui, mais mon sort était déjà réglé, j’avais refusé de soutenir officielle­ment Alain Afflelou dans la course à la présidence du club par loyauté envers Francis Salagoïty. Afflelou était entouré de gens qui ne m’aimaient pas, que je n’aimais pas non plus. Ils attendaien­t l’occasion de me virer. Ils ont profité de ça. » Avec une victoire dans le derby, peut-être que les hommes de l’ombre n’auraient pas oser passer à l’acte. C’est une des façon d’analyser cette échauffour­ée par comme les autres. Neuf ans après, Benoît August explique : « Je suis très ami avec Imanol, mais nous n’avons jamais reparlé de ça en profondeur, sinon via quelques allusions sur le ton de l’humour. Le temps a passé, ca fait partie du folklore et puis, on est devenu père de famille depuis. On comprend mieux certaines émotions. »

De notre côté, on préfère retenir une image, le geste d’Imanol récupérant les lunettes de son père tombées au sol pour les lui rendre. Moment finalement émouvant d’une relation soudain inversée entre un fils et son père, renverseme­nt que tout être humain est appelé à vivre un jour. ■

 ?? Photos M. O. - Patrick Derewiany ?? Quel derby en 2011. Il restera dans l’histoire par l’interventi­on d’un spectateur, ce n’est déjà pas banal. Mais quand on apprend que c’est le père d’un joueur, ça tourne à la sidération.
Photos M. O. - Patrick Derewiany Quel derby en 2011. Il restera dans l’histoire par l’interventi­on d’un spectateur, ce n’est déjà pas banal. Mais quand on apprend que c’est le père d’un joueur, ça tourne à la sidération.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France