Midi Olympique

Et si c’était l’âge d’or ?

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

Le grand chelem 1977 restera encore longtemps comme une borne historique du rugby français, un triomphe dont l’éclat ne se délave pas. « Vous me demandez si ce fut un coup de tonnerre ? Évidemment… J’allais vous dire que c’était la première fois, non c’est vrai il y avait eu celui de 68, mais 68, c’était une sorte de cocktail un peu heureux. 1977 avec les quinze mêmes joueurs d’un bout à l’autre et sans

encaisser d’essai, ce fut un événement extraordin­aire… » se souvient Henri Gatineau, « pointure » du Midi Olympique de ces années 70 (le rédacteur en chef s’appelait Raymond Sautet). La « Une » du journal est belle, informativ­e et claire, mais elle n’a rien d’extraordin­aire sur le plan visuel ou esthétique. La mode de l’époque n’était pas encore aux premières pages « coup de poing », ça viendra dans les années 90. Curiosité, le journal passe ce jour-là à trois francs au lieu de deux francs cinquante. C’était bien le moment de faire une augmentati­on.

Avec le recul, on peut se demander si ces années-là n’incarnaien­t pas l’âge d’or de Midi Olympique. Bien sûr, il y avait forcément des fâcheries et des malentendu­s, mais le XV de France ne s’abritait pas derrière des murailles. Le lecteur du « Jaune » pouvait se régaler de reportages puisés directemen­t dans la marmite de la bande à Fouroux.Pourtant, le Tournoi des 5 Nations était déjà un sport très médiatisé. Il y avait foule dans les tribunes et les salles de presse. « En toute immodestie, j’étais le seul journalist­e que Jacques Fouroux tolérait dans les vestiaires avant les matchs et tout de suite après le coup de sifflet final, poursuit Henri Gatineau. J’ai assisté à toutes les préparatio­ns, j’ai vu Fouroux métamorpho­ser ses joueurs. Ils sautaient au plafond, il les faisait pleurer. Jacques était inimitable, mais ses discours étaient tellement brillants que j’ai toujours pensé qu’il les préparait à l’avance. Ce n’était pas possible autrement. » Henri Gatineau flirtait avec la cinquantai­ne à ce moment-là. Il était nettement plus vieux que les joueurs. « Je pense qu’ils avaient compris que je savais ne pas aller trop loin… » Après les rencontres, son avantage était plus

mince : « J’assistais aux premières effusions, l’après Irlande - France fut magnifique évidemment. Mais après un petit quart d’heure, la porte s’ouvrait et les autres journalist­es entraient. » C’est vraiment ce qui doit frapper le plus les nouvelles génération­s. Pas de conférence de presse, pas de chargé de communicat­ion. Les reporters avaient directemen­t accès aux vestiaires. Les plumitifs pouvaient recueillir des propos spontanés et sincères de joueurs dans le plus simple appareil, sans

aucun filtre. Henri Gatineau poursuit : « Fouroux était extraordin­aire évidemment. Jean-Michel Aguirre était l’intellectu­el du groupe, toujours prêt à vous donner une analyse technique très intéressan­te. Bastiat en bon agent d’assurances était déjà un pro de la communicat­ion. Palmié et Imbernon aussi étaient très truculents. Et Jean-Pierre Rives était déjà… Jean-Pierre Rives. Paparembor­de était intelligen­t et très malin. »

Pierre Verdet, jeune reporter à l’époque avait été frappé par le magnétisme de Fouroux : « C’était une sorte de gourou, dans le bus, certains joueurs le touchaient pour se rassurer. »

LES INTERVIEWS DANS LA BAIGNOIRE

À Paris, les vestiaires étaient naturellem­ent ouverts, y compris pour les journalist­es visiteurs. Mais à l’étranger, les accès étaient moins

évidents. « À Twickenham par exemple, tout était d’une rigueur extrême. Les gens de la RFU distribuai­ent des laissez-passer au compte-gouttes et d’abord aux journalist­es anglais évidemment. En Irlande, c’était un peu plus facile. » Les envoyés spéciaux français essayaient de feinter comme ils pouvaient pour approcher les Bleus. Henri Gatineau, lui, passait au culot, en compagnie des dirigeants de la FFR dont il était très proche. « À Paris, la presse avait une table au banquet, à l’étranger, non. Il fallait vraiment tricher pour y accéder. Moi, Armand Vaquerin, remplaçant, me faisait souvent entrer en me prenant avec lui, presque sous son veston. Il passait la porte en bousculant un peu l’officiel qui la gardait et le tour était joué. On avait l’impression qu’il y avait deux poids et deux mesures, qu’en France, nous étions bien élevés et accueillan­ts et que la réciproque n’était pas vraie. »

Le travail des journalist­es se déroulait en deux vagues, après la séquence « vestiaires », où tout le monde était à peu près à égalité, Midi Olympique jouait sa carte maîtresse dans les hôtels. Pierre Verdet s’en souvient très bien. Il a couvert pas mal de rendez-vous aux côtés des Henri Gatineau, Henri Nayrou et Georges Pastres. « Il y avait en gros deux familles de journalist­es. Les gars de la presse « classique » étaient tenus par un impératif horaire, ils quittaient le stade pour envoyer leurs articles. Nous, nous bouclions le dimanche soir, nous avions du temps pour approfondi­r les choses. » Les envoyés spéciaux logeaient en plus dans les mêmes enseignes que les joueurs :

« Le Grand Hôtel, à Paris, c’était chez nous. Nous avions les mêmes tarifs que la FFR, nos dirigeants avaient su se débrouille­r. En plus, on revenait souvent du Parc des Princes dans le bus des joueurs avec les motards pour ouvrir la circulatio­n. Dans le hall, il y avait ce portier qui savait donner de bonnes infos aux uns et aux autres. Nous, on disait aux joueurs : « Patou ? Quelle chambre ? La 48 ? ok ! » Cela voulait tout dire. On rejoignait les joueurs dans leur intimité, je me souviens d’avoir fait des interviews au bord de baignoires. Je revois aussi les visages s’adresser à moi couverts de mousse à raser. Ceux de Jacques Fouroux et de Jean-Pierre Bastiat par exemple, ce dernier utilisait une quantité de mousse impression­nante, la moitié d’une bombe, j’y pense tous les matins en me rasant. » Le coeur du boulot se faisait là dans ce cadre feutré, dans une série de face-à-face avant le banquet. Le système ne choquait personne. Il se déclinait aussi à l’extérieur d’ailleurs, à Cardiff, Dublin, Édimbourg ou Londres, le Midi Olympique savait aussi prendre ses quartiers dans les hôtels : « Nous étions le journal du rugby, ça jouait. Et puis, s’il y avait beaucoup de médias, peu cherchaien­t à aller aussi loin que nous, à part l’Équipe ». Pas de réseaux sociaux, pas de sites, peu de radios et une ou deux caméras de télé (très imposantes il est vrai). C’était le règne de la conversati­on, carnet à la main plus propice aux confidence­s. Dans une ambiance « chien et loup ».

WEEK-END MARATHON

De son côté, Henri Gatineau avait accès à la chambre de Fouroux en personne. « J’y entrais en même temps que lui, et je le voyais tout de suite téléphoner à sa maman. » Pierre Verdet se souvient aussi de sa relation si spéciale avec Jean-Pierre Rives. Il me disait en souriant : « Tu me connais tellement que tu sais déjà ce que je vais te dire. » Casque d’or magnanime, connaissai­t la musique. L’interview y gagnait en rapidité.

Quand les joueurs redescenda­ient pour le banquet et passaient à la réception de l’hôtel, quelques autres journalist­es parvenaien­t à les aborder au bar pour de nouvelles confidence­s : « Mais nous, nous avions déjà fait le plein… »

poursuit Pierre Verdet. Il se confinait alors dans sa chambre à lui pour commencer à écrire jusqu’à 2 ou 3 heures du matin. « Puis lever à 6 heures, on prenait l’avion pour être vers 10 heures au journal. Depuis l’étranger, il fallait passer par Paris, mais on arrivait quand même à la rédaction très tôt le dimanche. » Pierre Verdet formait souvent un tandem avec Henri Nayrou dans le rôle des reporters

fouineurs. « À Toulouse, on s’attelait au visionnage du match avec un magnétosco­pe. On faisait « le jeu et les joueurs ». » Hors d’oeuvre d’une journée marathon : nouvelle session d’écriture au bureau en vue d’un bouclage… le dimanche à minuit. « On mangeait après et on revenait pour monter les pages à l’atelier. Je rentrais chez moi le lundi vers 4 heures et je partais avec ma canne à pêche sur le plateau de

 ??  ?? l’Aubrac… » C’est la morale de cette histoire. Ce grand chelem de 1977, incarne aussi un âge d’or du journalism­e et du Midi Olympique. Si loin des technologi­es actuelles de l’immédiatet­é, il avait le temps et le confort pour travailler.
l’Aubrac… » C’est la morale de cette histoire. Ce grand chelem de 1977, incarne aussi un âge d’or du journalism­e et du Midi Olympique. Si loin des technologi­es actuelles de l’immédiatet­é, il avait le temps et le confort pour travailler.

Newspapers in French

Newspapers from France