Midi Olympique

La première fois

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Le confinemen­t patient aura permis au vieil amoureux de rugby de réinventer un couplet, un béguin : avant-hier, c’est toujours mieux qu’après-demain. Et les programmes télé de passer et de repasser ces matchs références ou cultes, autant de neiges d’antan qu’il fait bon arpenter sans bouger de son canapé. Il peut y avoir des exceptions. J’aime bien ajouter au souvenir idéalisé, le maquillage de la nostalgie mais, c’est étrange, celle-ci s’attache à des matchs très lointains que je préfère ne pas revoir, ou bien, plus rare, à des matchs jamais vus, comme ceux de l’équipe de France de 1968 en Nouvelle-Zélande. C’est cela, on ne touche pas à ces matchs de rêve qui peuvent se confondre avec autant de première fois.

Imaginaire ou pas, le « Je me souviens » fait toujours du bien. Je me souviendra­i toujours, quoique mal placé, de la première fois où j’ai vu les Boni, les frères de l’art. C’était à Béziers, dans les années 60, au plus serré d’un virage bondé de Sauclières. Un match entre l’ASB et Grivita Rosie qui se voulait européen. Jeu de mains, jeu de Roumains ? N’exagérons rien, les visiteurs n’étaient pas des magiciens mais ces deux-là, en quelques coups, à toi, à moi, jouaient à la souris et au chat, oui, jouaient à l’occasion de ce mariage d’un jour, si improbable, entre des Biterrois et le Stade montois. C’était mon premier grand match, loin de Montpellie­r et de mes tropismes de football, foutu ballon rond, beau boulet. Étais-je un visiteur visité par la grâce ? Du calme. Mais c’est ce jour-là que m’est venue, plein coeur, l’envie d’écrire sur le rugby.

Quelques années plus tard, ceux du faubourg Montmartre, plus précisémen­t du troisième étage de L’Équipe, mon journal chéri, ont compris combien j’étais contaminé; ma pandémie, c’était l’Ovalie. Dans cette rubrique, comme cramponné, je piaffais. Rien de tel que les matchs de France B pour me faire patienter. Jusqu’au jour où, toujours selon l’usage offert au débutant, on me lancerait dans le Tournoi pour un match entre Britanniqu­es, des Écossais et des Gallois. À Murrayfiel­d, chaperonné par Jean Denis, un confrère d’expérience, je bus d’abord un thé dans la salle de presse avant de rejoindre le pupitre. Et là, soudain, s’ouvrit à mes yeux embués un espace tout de vert et de lumière. Le même trouble suivrait à l’instant de découvrir le rouge de l’Arms Park, le blanc et le gris de Twickenham, le bois et le fer de Lansdowne Road. Ces premières fois resteraien­t des points d’eau auxquels mes souvenirs s’abreuvent toujours.

Et les joueurs ventrebleu ! Il me faudrait plusieurs de ces pages jaunes pour les raconter mais si je devais en citer un, et pas seulement par le nom au si joli son, ce serait Barry John, l’inventeur de la passe au pied, l’insolence d’une facilité. Après, sur les terres de notre championna­t plein de poules, je vivrais tant de premières fois jusqu’à aimer la truculente compagnie du seigneur Orluc dans son jardin de Tulle. Et il y aurait, le trait de lumière né des mains de Jo Maso dans un coin d’Aimé-Giral. Je vois encore l’ailier courir, aplatir. Et puis, plus tard, un vol de Blanco sur le Parc. Et… assez radoté.

Encore une chose, toutefois. Si je devais revoir un match, il serait en noir et blanc, opposerait les Néo-Zélandais aux Barbarians. Et, à la fin d’une valse à mille passes, Gareth Edwards s’échapperai­t toujours pour marquer l’essai du siècle. Je m’en souviens, j’étais devant l’écran, c’est cela, de mes nuits blanches, comme chantait le grand Nougaro. Je l’ai rencontré une fois, une première. Rêveur éveillé, il était fou de Rives, un blond qui refusait le casque.

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