Midi Olympique

Affronter le réel

- Olivier MARGOT

Quelque chose se passe qui me dépasse, comme si la vie covidienne n’impactait pas la vie quotidienn­e. Fabien Galthié et Raphaël Ibanez sont des hommes de raison. Ils ont une authentiqu­e éthique de travail et leur vision s’identifie à ces mots de l’écrivain américain Wallace Stevens : « Il faut voir le monde avec un oeil neuf et sentir qu’on peut le réinventer. » Alors, rejetant toute rigidité et l’idée même de frustratio­n, quitte à piétiner l’idylle de l’hiver entre l’équipe de France et les clubs, ils ont — avec l’appui de Bernard Laporte — attaqué dès le vestiaire et même depuis le parking, épousant la propositio­n de l’organisme privé qu’est World Rugby d’un automne à six tests-matchs internatio­naux. On voit bien l’ambition, mais l’idéal n’est-il pas un jusqu’au-boutisme ? Après six mois sans jouer, cinquante-six jours de mise à dispositio­n pour les sélectionn­és, six doublons en Top 14 pour leurs clubs ! À ce stade d’exigence, on croirait assister à un rituel de passage à l’âge adulte.

J’entends tout à fait les idées fortes de Fabien Galthié, se refusant à changer de méthode, affirmant : « Plus tu joues ensemble, plus tu progresses. C’est une conviction que je ne veux pas remettre en question. » Dans les conditions sans précédent que nous subissons, empiler les raisons peut mener à la déraison. Car l’incertitud­e règne, nous ne savons rien du futur proche. Plusieurs alertes pourtant ont été autant de signaux d’alarme : la possible annulation des Jeux olympiques de Tokyo en 2021 ; Auckland reconfinée au moment de la finale du Super Rugby Aotearoa, malgré ses 43 000 billets vendus ; la tournée des Lions britanniqu­es en Afrique du Sud l’année prochaine sujette à caution ; plus près de nous, l’annulation du Marathon de Paris du 15 novembre (entre FranceIrla­nde et FranceJapo­n), épreuve qui avait compté 49 155 coureurs en 2019, un rêve pour le président et le trésorier de la FFR. Seulement voilà : comment persuader l’État de passer d’une jauge de 5 000 spectateur­s (en vigueur jusqu’au 30 octobre) à une jauge dix fois supérieure par exemple ? Certes, il convient de renflouer les caisses des fédération­s, mais à quel prix ? On le sait, la situation sanitaire s’est dégradée, la transmissi­on du Covid-19 s’accélère à nouveau, l’Île-deFrance est en pleine reprise épidémique, tous âges confondus, notamment en SeineSaint-Denis où se situe le Stade de France…

Alors, imaginons cette arène dignement remplie à trois ou quatre reprises ; dans l’attente d’un improbable passeport sanitaire pour chaque spectateur, visualison­s les milliers de supporters se pressant dans les wagons du RER ; et gardons à l’esprit le match du 19 février Atalanta Bergame-FC Valence en Ligue des Champions, au stade San Siro de Milan. 40 000 personnes au comble du bonheur s’embrassaie­nt sur les gradins et, à leur retour, Bergame faillit devenir « ville morte ».

Six matchs internatio­naux en sept semaines, donc, voilà le pari, avec les risques de tous ordres que l’on pressent, particuliè­rement pour les joueurs dont on ne saurait affirmer qu’ils auront recouvré l’intégralit­é de leurs moyens. Camper sur cette position extrême me paraît relever de l’abstractio­n, dans le droit fil de cette année folle. Face à la pandémie, à la fragilité qu’elle entraîne jusqu’au recours à l’utopie, il faut bien entendu inventer une nouvelle normalité et raison garder, en évitant le virus de la division. ■

« Dans les conditions sans précédent que nous subissons, empiler les raisons peut mener à la déraison. »

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Photo Icon Sport « Six matchs internatio­naux en sept semaines, donc, voilà le pari, avec les risques de tous ordres que l’on pressent... »
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