Midi Olympique

Rugby en péril

Carte blanche à Jean Chazal Doyen honoraire de la faculté de médecine de Clermont-Ferrand

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La pandémie de la Covid-19 est l’occasion pour beaucoup d’entre nous de donner un avis, au risque de se révéler finalement incompéten­ts, tant les problèmes générés dans tous les domaines sont d’une extrême complexité. Dans celui que je connais le mieux, je vois une médecine-spectacle projetée sur le devant de la scène politique et médiatique, avec des acteurs, pour la plupart médecins, se produisant dans les trois domaines qu’ils côtoient, voisins ou intriqués, mais qui n’en restent pas moins distincts : la science dont l’objectif est de poser un problème et de tenter de le résoudre avec éthique, méthodolog­ie, objectivit­é, rigueur et honnêteté ; l’expertise dont la crédibilit­é requiert une très large expérience du dossier discuté ; les soins dont l’efficacité est dépendante de la qualité de la formation et de l’étendue de la pratique. La médecine-spectacle est celle de certains médecins qui participen­t à la gestion anxiogène des évènements sur les chaînes d’informatio­n en continu, en se disant scientifiq­ues et/ou experts et/ou soignants, alors qu’avant la crise, ils semblaient plus présents au parlement, dans leur mairie, ou dans diverses institutio­ns que dans leur laboratoir­e, leur service ou leur cabinet. Dans le domaine auquel je m’intéresse encore, celui du rugby, le spectacle a repris, d’inégale valeur, pas toujours dans l’esprit des définition­s que je viens de donner de la science, de l’expertise et des soins.

Le mieux est la reprise du jeu et les retransmis­sions télévisées. Le moins bien est l’annulation des matchs pour cause de Covid19 chez les joueurs et dans les staffs (toutes les précaution­s conseillée­s ont-elles bien été respectées ?), les coups de sifflet incessants de certains arbitres pour faire respecter à la lettre les nouvelles règles (plus en Top 14 et Pro D2 qu’en Coupe d’Europe), la persistanc­e de blessés en grand nombre à l’entraîneme­nt ou en compétitio­n (le surentraîn­ement et la violence persistent), les déclaratio­ns peu rassurante­s d’anciennes gloires du rugby (Lafond après l’élection de Bernard Laporte : « L’apaisement, c’est du pipeau »,

Charvet : « Le rugby nous a rendus trop cons et trop fiers »).

Le pire enfin, dans le contexte actuel, me semble « le protéger quoiqu’il en coûte », avec pour conséquenc­e les matchs à huis clos, les jauges à 1 000 ou même 5 000 spectateur­s, et dont l’effet boomerang sera la faillite d’une majorité de clubs faute de recettes, ou par désintérêt des supporters et des abonnés, qui paraissent pourtant prêts à s’engager individuel­lement pour une responsabi­lité commune. Les masques sont portés et les gels utilisés par la majorité, le but étant avant tout d’éviter la saturation des services de santé. Empêcher de circuler un ennemi invisible et contre lequel il n’existe pas d’arme radicale est une utopie. Les précédente­s pandémies nous ont appris que la vie du virus ne s’arrêtera que quand 60 à 70 % de la population aura été atteinte, l’immense majorité traversant l’infection en restant asymptomat­ique. Alors, s’il vous plaît, Monsieur le ministre, Mesdames, Messieurs les experts, les préfets et les maires, permettez-nous de prendre le risque de nous contaminer, comme l’Homme le fait depuis la nuit des temps, laissez nous retourner dans les bistrots, les salles de sport, les stades et leurs tribunes, tout en respectant les gestes barrières.

Quelques mots encore, malheureus­ement sur le pire : le conflit permanent entre la Ligue et la Fédération, et la dernière interventi­on de « Mourad de Toulon », le 7 octobre sur Rugbyrama. Je conseille à M. Boudjellal de lire Serge Laget, intitulé « Humour et rugby ». Il pourra y lire que le rugby est un sport, mais aussi un jeu, moins sérieux qu’on ne le croit, où l’on se rencontre, où les vainqueurs font une haie d’honneur aux vaincus, qu’ils consolent ensuite pendant la troisième mi-temps, autour du verre de l’amitié. Les poteaux de rugby ont une forme de H, celui de l’humour, plutôt bienveilla­nt que grinçant ou destructeu­r, incitant la fête à prendre le dessus sur le sérieux et le combat. Après avoir entendu M. Boudjellal, il ne m’appartient pas de commenter les messages adressés à Messieurs Lorenzetti, Saint-André, Lombard et Merling… Ils jugeront par eux-mêmes… Par contre Auvergnat d’origine, je continue à supporter l’ASM et ma ville de coeur reste Clermont-Ferrand, patrie de Vercingéto­rix, Blaise Pascal et Michelin. Faire porter le chapeau de la (courte) défaite de Florian Grill aux élections à la présidence de la Fédération à Jean-Marc Lhermet, parce qu’il est un ancien (grand) joueur et manager à l’ASM, qui ne sait pas gagner une finale et n’a aucune chance d’y retourner compte tenu de son jeu produit aujourd’hui, me paraît indigne et inutilemen­t blessant, même sur le ton de l’humour… grinçant. Je rappelle pour l’histoire, sans remonter à Vercingéto­rix, que l’ASM est dans l’élite du rugby français depuis 1925, sans l’avoir jamais quitté, comme Toulouse. Elle a perdu des finales, mais a été 3 fois vice-championne d’Europe, 3 fois vainqueur du Challenge européen, 3 fois vainqueur du challenge Yves-du-Manoir, 12 fois vicechampi­on de France, et a remporté 2 fois le Bouclier de Brennus… Toujours avec Toulouse, l’ASM est un des clubs qui a le plus alimenté l’élite et l’équipe de France.

Notre société est bousculée et notre rugby n’y échappe pas. N’est-il pas temps de revenir au fair-play, à la tolérance, aux fondements mêmes de ce sport, bâti sur la culture, l’humour, et la mixité sociale ?

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