« Si Labit et Ghezal s’engagent, j’en serais ravi »
DÈS MERCREDI, LE PATRON PARISIEN, REVENU EN URGENCE AU CHEVET DE SON CLUB, A ACCEPTÉ DE RENCONTRER MIDI OLYMPIQUE, À L’ORIGINE DE LA DIVULGATION DE LA PROBABLE ARRIVÉE DE LAURENT LABIT ET KARIM GHEZAL. SAMEDI EN TOUT DÉBUT D’APRÈS-MIDI, IL NOUS A ACCORDÉ
Comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris, dans Midi Olympique dimanche soir, que Laurent Labit et Karim Ghezal s’engageraient au Stade français d’ici quelques semaines ?
Je m’en fous. Je ferme ma gueule. Vous écrivez ce que vous voulez. Moi, j’ai d’autres choses à faire que de commenter des spéculations.
Avez-vous craint que cette annonce puisse déstabiliser l’équipe ?
Non. […] Je suis venu à Jean Bouin il y a quel- ques jours. J’ai rencontré Gonzalo Quesada, Thomas Lombard, Morgan Parra, Paul Gustard et Kobus Potgieter (entraîneur adjoint, N.D.L.R.) pour clarifier les choses. Puis, je suis reparti.
Que leur avez-vous dit ou qu’avez-vous appris ?
Gonzalo reste à la barre jusqu’à la fin de la saison et ensuite, il quittera le club. Nous sommes tom- bés d’accord là-dessus. Si Laurent Labit et Karim Ghezal s’engagent alors avec nous, j’en serais ra- vi parce que ce sera une manière d’élever le ni- veau de professionnalisme du Stade français. Qu’avons-nous accompli en cinq ans ? (il répond en français) « Pas beaucoup… » On a injecté des tonnes d’argent et on n’a rien gagné.
En avez-vous tiré un enseignement ?
Oui : on ne peut pas acheter le succès, ce n’est pas possible. Le rugby est une dynamique de groupe. Quand Heyneke Meyer a signé chez nous, il m’a dit : « les joueurs jouent pour leur coach ». Les joueurs actuels jouent aussi pour Gonzalo et ils l’ont d’ailleurs prouvé samedi con- tre Perpignan. […] Gonzalo Quesada sait mieux que moi quels joueurs il doit sélectionner. C’est sa décision. Il l’a prise avec ses tripes, avec sa sensibilité.
Dès lors ?
Tout ça pour dire que l’entretien avec Gonzalo s’est bien déroulé la semaine dernière et que dans la foulée, Morgan Parra m’a dit : « des joueurs professionnels ne lâcheront jamais ce pour quoi ils sont là : ils joueront au rugby et dé- fendront le maillot, leur employeur. Voilà tout ». Le reste, c’est du blablabla…
Vraiment ?
Oui ! Il y a quelques années, j’ai rencontré plu- sieurs anciens joueurs du club au Bristol (l’hôtel où il loge lors de ses passages à Paris, N.DL.R.). Ils m’ont dit : « On ne s’en fout pas du coach. Mais c’est nous qui menons le jeu. » Ils ont raison. […] Quand je suis arrivé en 2017, on s’est trompé. Fabien Grobon (l’ancien DG) ne connaissait rien. Hubert Patricot, mon ami de toujours, était à peine plus au courant, même s’il était d’un tout autre ni- veau. Le problème, c’est qu’il n’était pas souvent là. Ils l’appelaient « le fantôme », au club. Qu’a-ton fait, à l’époque ?
Rien…
Voilà. Heyneke ne parlait pas français ; il avait un traducteur. Thomas Lombard m’a alors dit de re- cruter Gonzalo Quesada, un mec très intelligent et que j’adore. Ces deux-là ont bossé ensemble mais ils ont aussi connu des frictions quand les résul- tats n’étaient pas au rendez-vous. Selon Gonzalo, Thomas Lombard s’investissait trop dans le spor- tif et pour lui, ce n’était pas son rôle. Mais leurs re- lations se sont améliorées ces derniers temps. Ils échangent d’avantage. Mais bon…
Quoi ?
Rien ne s’est passé de meilleur. On a eu un mee- ting « à la française » au printemps dernier. On a beau- coup parlé mais ça n’a mené à rien. Je dis « à la fran- çaise » parce qu’on devait aller de A à B mais au lieu de ça, on est passé par C, D, G, Z. On n’est jamais arrivé au B mais on est parti manger tous ensem- ble… Voilà… À la française, quoi… (il soupire) Quand on dit quelque chose, dans le monde du bu- siness, je considère que c’est acquis. Au rugby, ce n’est jamais le cas.
Gonzalo Quesada vous a-t-il alors demandé d’avoir l’entière responsabilité du secteur sportif ?
Oui. Et j’étais d’accord sur ce point. Il était le coach et devait décider en toute liberté. En parallèle, un travail de fond a été mené pour redynamiser la for- mation et nous sortons à nouveau des joueurs in- ternationaux chez les jeunes. Dès aujourd’hui, ils peu- vent intégrer l’effectif professionnel. Avant, il n’y avait aucune osmose entre les pros et le centre de formation, duquel huit joueurs sont récemment sortis.
Avez-vous le sentiment que les choses avancent ?
J’ai récemment lu que le Stade français était sous respirateur artificiel. C’est plutôt juste. Sous Max (Guazzini, N.DL.R.), c’était la fête, ils remplissaient des stades mais ils n’étaient pas professionnels. Puis Thomas Savare a donné un peu d’argent mais n’a pas professionnalisé le club. Nous tentons de le faire, même si nous ne gagnons pas encore. Peut-être avons-nous installé les joueurs dans trop de confort…
C’est-à-dire ?
Les joueurs sont bien payés quoi qu’il se passe sur le terrain et s’il y a le moindre déficit, le propriétaire (lui, N.DL.R.) le comblera. Quel monde merveilleux, n’est-ce pas ?
Gonzalo Quesada est sous contrat jusqu’en 2024. Comment allezvous procéder pour l’écarter à la fin de cette saison ?
Il sera payé jusqu’en 2024, c’est aussi simple que ça.
Et il deviendra probablement un entraîneur na- tional.
Ne pensez-vous pas que Gonzalo Quesada soit démobilisé, dans ces conditions ?
Non. Je lui fais confiance. (Il marque une pause) Gonzalo Quesada connaît mieux le rugby que moi. Je vous répète que les joueurs le suivent.
Dès lors, pourquoi avez-vous prolongé d’une saison les contrats de Gonzalo, Julien Arias et Laurent Sempere avant le début de cette saison ?
Pour aligner tous les coachs sur une même du- rée. Ensuite, l’opportunité d’avoir Laurent Labit et Karim Ghezal s’est présentée. Ce sont deux su- per coachs et s’ils nous rejoignent, j’en serais très heureux.
Il n’y a aucune raison que Laurent Labit et Karim Ghezal ne viennent pas : votre projet leur plaît, leurs profils vous plaisent…
Nous devons régler de nombreux détails encore et leur focus doit rester sur la Coupe du monde de rugby qui arrive.
Qu’adviendra-t-il de Laurent Sempere et Julien Arias ?
Si une nouvelle direction sportive arrive, des discus- sions interviendront pour construire un staff. Je suis très reconnaissant envers Laurent et Julien, qui nous ont beaucoup aidés lorsque le club était en eaux troubles, après le départ de Heyneke Meyer. […] Ne vous inquiétez pas, je n’ai pas pour habitude de maltraiter les gens. « Il n’y aura pas de soucis ».
Idem pour Paul Gustard et Kobus Potgieter ?
Oui. Mais laissez-nous le temps de faire les choses dans l’ordre. Rien n’est en- core signé, je vous rappelle. Laurent Labit et Karim Ghezal doivent d’abord ga- gner la Coupe du monde. C’est une immense respon- sabilité pour eux. Ne les embêtons pas avec ce genre de choses…
Selon nos informations, Gonzalo Quesada a semble-t-il perdu la confiance d’une partie de son vestiaire. Qu’en savez-vous ?
Vous avez tort. Il a peut-être perdu les joueurs qui ne sont pas titulaires. Mais c’est pareil dans tous les clubs du monde… Ceux qui ne jouent pas sont déçus. […] Moi, je crois que nous avons une bonne équipe et nous allons le montrer.
Pensez-vous que les joueurs puissent réel- lement être honnêtes avec vous ? Vous êtes leur patron, après tout…
Je ne parle pas beaucoup avec eux. Je leur de- mande si tout va bien quand je les croise ; je re- garde s’ils sont affûtés ou pas, trop gros ou pas… J’observe les attitudes au vestiaire et dans les moments que je peux passer auprès de l’équipe. Les joueurs s’expriment avant tout sur le terrain, au travers des performances qu’ils doivent réaliser lorsqu’ils ont la chance de porter le maillot du club
Êtes-vous satisfait du recrutement, ces dernières années ?
Globalement, oui. Les gens qui sont arrivés ont le bon état d’esprit. Je suis fier du comportement et du caractère de ces joueurs. Avant, nous avons dû faire face à beaucoup de merdes, pardonnez-moi l’expression, dans le club. […] Mais pour tout dire, je suis quand même très fâché en revanche que nous ayons perdu le seul joueur allemand que nous avions au club (Oskar Rixen). Il est parti à Brive et fait des bons matchs, là-bas ! Mais je n’en savais rien, quand il est parti.
« Je sais qu’un propriétaire de club n’est jamais totalement heureux. »
Paul Alo-Emile sera encore absent durant de longs mois en raison d’une grave dépression. Qu’allez-vous faire ?
Nous pouvons recruter un joker. Mais nous avons surtout besoin d’aider Paul au quotidien. […] C’est un cas médical. L’hôpital n’est pas autorisé à nous dire beaucoup de choses à propos de Paul AloEmile et nous respectons cela.
Libérerez-vous Paul Alo-Emile de son contrat s’il vous le demande ?
Je ne sais pas. Mais avant d’envisager une issue aussi extrême nous ferons tout pour qu’il aille mieux.
Qu’avez-vous appris en cinq ans de présidence ?
C’est un job difficile… Je ne comprenais pas le rugby, au départ. Je n’en comprenais pas la dynamique. Mais j’ai appris, désormais. […] Je sais qu’aucun propriétaire de club n’est jamais totalement heureux. Récemment, je suis allé voir mon ami le président du club d’Hoffenheim. Il a mis des centaines de millions d’euros dans le club et Hoffenheim a ce jour-là perdu contre un promu. Mon ami était fou de colère après le match. Il en voulait à son coach : « Pourquoi n’a-t-il pas fait jouer untel ? Ou untel ? » Le coach a raison quand il gagne et tort quand il perd. C’est aussi simple que ça.