Midi Olympique

Le péril anglais

- Léo FAURE leo.faure@midi-olympique.fr

Ce n’est pas rien, ce qui se passe actuelleme­nt de l’autre côté de la Manche. Et bien assez tôt, le rugby français devra s’en inquiéter plutôt que de l’ignorer ou pire, de s’en réjouir, dans un esprit puéril de rivalité. La semaine dernière, le club de Worcester se trouvait donc placé en liquidatio­n judiciaire, du moins sa structure profession­nelle, laissant sur le bord de la route une quarantain­e de joueurs pros mais surtout un stade, un public, une identité. Cette semaine, ce sont les Wasps qui plongent : en grandes difficulté­s financière­s, les guêpes ont déjà déclaré forfait pour le prochain match face à Exeter. Avant d’admettre qu’elles seraient, dans les jours qui viennent, placées en redresseme­nt judiciaire.

C’est une institutio­n qui se meurt. Un club double champion d’Europe (2004, 2007), six fois champion d’Angleterre et surtout le berceau affectif de quelques légendes de ce jeu : Rob Andrew, Lawrence Dallaglio, Simon Shaw ou Rob Howley. C’est là-bas que l’actuel manager du XV de France Raphaël Ibanez avait expériment­é l’exil, là-bas encore que Warren Gatland et Shaun Edwards (XV de France toujours) avaient éprouvé les schémas de jeu qui feraient ensuite du pays de Galles la meilleure nation d’Europe.

Beaucoup de choses lient dans l’émotionnel les Wasps au rugby français. Comme ces images de Rob Howley, dérobant à la barbe d’un Clément Poitrenaud soudain hagard le ballon du sacre européen en 2004. Les Wasps se meurent, donc. Ce qui ne fera sourire personne.

Plus encore, c’est l’évolution du rugby anglais qui interroge. Son XV de la Rose, si fort au Japon lors de la dernière Coupe du monde, paraît aujourd’hui morose et peu enclin à venir chatouille­r le duo France-Irlande sur le toit de l’Europe.

Ces dernières semaines, de nombreux internatio­naux dans la force de l’âge ont aussi été annoncés en Top 14, la saison prochaine, une fois la Coupe du monde digérée. Christian Wade est déjà au Racing 92, Sam Simmonds ira à Montpellie­r, Joe Marchant pourrait rejoindre Paris. Et l’exode pourrait ne pas s’arrêter là.

Longtemps protégé par l’attrait de la Rose – il faut jouer dans le championna­t d’Angleterre pour être sélectionn­able – le Premiershi­p n’a plus les moyens financiers ni sportifs de conserver ses joyaux. Et les clubs anglais ont disparu des radars européens, dans l’ombre des seuls Saracens qui les ont finalement engloutis et dragués vers le fond.

S’il y a inquiétude, c’est que cela impactera indirectem­ent le rugby français, tôt ou tard. C’est une certitude. Il n’y a pas de grand Tournoi des 6 nations sans grande Angleterre. Il n’y aura pas de Coupe d’Europe palpitante sans les Saracens, Exeter, les Harlequins ou Leicester pour se mêler à la lutte finale. Il n’y a pas de grand moment de sport sans grande rivalité.

En voyant s’estomper le rugby anglais, celui d’Europe perd du sel de son récit. Des stades qui se vident, des sommets sportifs qui n’en ont plus que le nom. C’est profondéme­nt regrettabl­e et c’est l’affaire de tous. Au moment où la puissance financière du Top 14 redevient hégémoniqu­e, les Français devraient se méfier de l’idée d’écraser la concurrenc­e. À se retrouver seuls au sommet, ils auraient aussi perdu.

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