Midi Olympique

Le discours d’un roi

ALORS QU’ELLE JOUERA SON SPECTACLE « SUPPORTERS » LE 21 OCTOBRE AUX 3T, CAMILLE DINTRANS REVIENT AVEC AMOUR SUR L’ÉMOTION SUSCITÉE PAR LES DISCOURS DE SON PAPA, ALORS CAPITAINE DU STADO. À SA FAÇON…

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Beaucoup de choses m’ont marquée petite quand j’allais au Stado voir mon père. Mais la plus marquante – après le bisou que mon champion de papa me donnait après son match dans les tribunesc’était quand il m’amenait avec lui dans les vestiaires et que j’assistais à son discours d’avant match. Il parlait comme un gladiateur conduisant ses troupes dans l’arène. Car il les préparait bel et bien à un combat. Ennemis sur le terrain et frères à la buvette. C’est ça le rugby. Mais pendant le match on ne rigolait pas.

Mes premiers souvenirs certaineme­nt. Petite fille sage, blonde comme les blés avec de petits yeux bleus rieurs, il me posait dans un coin comme une mascotte. Comme la fille du Lorrain. Comme la fille du capitaine. Et je restais là, muette d’admiration. Les regardant, lui – mon père- et ses joueurs, mes « tontons ». Ils l’auraient suivi au bout du monde. Ces monologues furent les premiers à me donner le frisson.

Dans ma tête il y avait une musique de fond. Parfois un ralenti. Et un projecteur braqué sur lui.

Il me fascinait. Et j’étais au spectacle. Éclaboussé­e d’adrénaline. Cette odeur d’élasto mêlée au

Synthol est peut-être ma préférée entre toutes. Ce rituel de la remise des maillots. Et ces mots d’avant match tels des cloches qui tintent sont pour moi une musique qui m’accompagne­ra toujours.

Petite je ne soupçonnai­s pas que cette mélodie me suivrait dans les jours d’espoirs ou les jours de moins bien, quand il faudrait serrer les dents et relever la tête ou foncer dans la mêlée de la vie avec panache. Elle résonne en moi comme un tatouage indélébile de motivation, de niaque et de punch, qui a tout moment peut surgir. Elle ne m’appartenai­t pas, elle ne m’était pas destinée, mais je l’ai saisie au vol et depuis elle habite mon coeur.

Cet été j’ai eu la chance de faire un fabuleux voyage à New York avec ma fille et nous avons assisté à une messe à Harlem. Comme dans les films. Non. Mieux que dans les films. Parce que dans la vie. Mon anglais est perfectibl­e mais ce jour-là, j’ai tout compris. Parce que le révérend était un capitaine s’adressant à ses troupes. Sa ferveur était si brûlante que j’en ai eu la chair de poule. Tous mes poils se sont dressés. D un coup, d’un seul. Et je me suis levée. Blanche et blonde au milieu de cette communauté noire qui nous avait ouvert ses portes. Nous étions tous dans la même équipe. Et le révérend est entré dans une telle transe que la langue n’était plus une barrière. Je comprenais chaque mot. Chaque intention. Chaque émotion. Accrochée à ses lèvres, j’étais fascinée par son charisme. Il était tellement là. Présent. Concentré. Habité. Vrai. Convaincu. Et si convaincan­t. Ce jour-là c’était un dimanche, et j’ai été transporté­e dans les vestiaires de mon père. Et je me suis revue petite. Des souvenirs d’enfance enfouis ont refait surface et j’ai ressenti ce qu’avaient dû ressentir les joueurs de mon père. Des larmes ont coulé sur mes joues. C’était une sensation fabuleuse et magique. Inexplicab­le.

J’avais déjà eu ce frisson devant « Le cercle des poètes disparus » en voyant l’impact de ce merveilleu­x professeur incarné par Robin Williams sur ses élèves. La force de ses mots et cette charge émotionnel­le aussi vive qu’intense. Eux aussi ils auraient pu le suivre n’importe où. D’ailleurs une des célèbres répliques parle d’elle-même « Ô capitaine ! Mon capitaine ! ». Et là on vibre tous.

Ces discours m’ont marquée. À tel point que la qualité et la puissance du verbe de mon père pouvaient, avant même le coup d’envoi, me faire prédire de sa victoire ou de sa défaite. Cette gouaille. Cet esprit. Cette déterminat­ion. Cette diarrhée verbale parfois bestiale qui sortait et cognait les murs pendant qu’ils se cognaient têtes contre épaules pour se motiver de plus belle et se donner le courage du guerrier. Récemment je pense au discours enragé du capitaine Guéroult de Rennes, devenu animal et qui au son du binioù a fait trembler ses vestiaires. Survoltés et surmotivés, ses joueurs ont gagné leur place en Nationale. Bravo capitaine !

Certes tous les hommes n’ont pas le talent des mots. Mais on écoute toujours le capitaine. Certains ont fait – malgré eux- de leurs phrases des perles du rugby, mais même si elles ont fait sourire, ces phrases restent. Et elles sont cultes puisqu’on en parle encore. Ces phrases-là, elles ont mis du plomb dans la cervelle de 15 mecs, qui autour d’un ballon ont joué la partition de leur chef d’orchestre. Avec leur coeur et avec leurs tripes. Avec passion et dévouement. Pour gagner le match. Longue vie aux capitaines !

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