Midi Olympique

C’est le match de l’année, peuchère !

LE SOMMET DU VÉLODROME, FACE À LA SEULE ÉQUIPE DU CIRCUIT QU’IL N’A PAS ENCORE BATTUE, OFFRIRA AU XV DE FRANCE LES RÉPONSES QU’IL LUI RESTE À FOURNIR AVANT DE S’ESTIMER POTENTIELL­EMENT ÉLIGIBLE, OU PAS, À UN TITRE DE CHAMPION DU MONDE. QUEL CHOC !

- Par Marc DUZAN marc.duzan@midi-olympique.fr

Il paraît que Fabien Galthié aime les stats. Ça tombe bien. Celles-ci devraient lui plaire davantage que le temps de jeu effectif du dernier Toulon-Montpellie­r : dans l’histoire, le XV de France a donc joué douze fois à Marseille, s’y est imposé à dix reprises face à huit adversaire­s différents, pour un ratio équivalent à 83 % de victoires sur une période de 18 ans. Z’êtes pas rassasiés, les fondus de la data ? Soit : la dernière fois que les Springboks ont visité le Vélodrome pour y affronter les Bleus à l’automne 2002, ledit « Galette » et son bras droit à Marcoussis, Raphaël Ibanez, étaient tous deux titulaires en Provence et ce jour-là, les Boers d’Andre Venter et Joe van Niekerk, 24 ans de moyenne d’âge et 6 % de masse graisseuse, en avaient pris 30 sous les regards aimants de la Bonne Mère et des 59 847 spectateur­s présents au « Vél », peuchère...

Tout compte fait, on se dit donc que ce Vélodrome de Marseille sied plutôt bien au XV de France et que celui-ci a souvent eu la courtoisie de lui rendre la pareille. Richard Dourthe, qui a participé au premier match disputé par une équipe de France de rugby dans la cité phocéenne, se souvient : « C’était en novembre 2000. On affrontait les All Blacks de Tana Umaga, Christian Cullen et Andrew Mehrtens. Avant le match, on s’était retrouvé coincés dans les embouteill­ages et on avait du se changer dans le bus. […] Ce soir-là, on découvrait l’ambiance du Vélodrome et franchemen­t, ce fut un truc de malade . C’était même tellement bouillant qu’on avait tenu à faire un tour d’honneur à l’échauffeme­nt, tout près des grilles, histoire de se nourrir au maximum de cette énergie. À Marseille, on avait beaucoup donné pour battre les Blacks (42-33) mais ce stade nous l’avait rendu au centuple. » Et si le Stade de France a su, sur le tard, devenir un vrai chaudron, il se pourrait néanmoins que l’atmosphère qui attend les coéquipier­s d’Antoine Dupont à Marseille samedi soir soit encore bien plus puissante. Parce qu’il faudra bien ça, n’est-ce pas ? Il faudra bien aux Tricolores un supplément d’âme large comme la porte d’Aix, un seizième homme gueulard comme mille, Gaulois jusqu’aux tripes et d’une mauvaise foi assumément patriote pour vaincre les champions du monde en titre et leur pack d’une tonne, non ? C’est qu’on s’attend tous, en France et ailleurs, au plus grand match de rugby de l’année, au clash ultime entre l’équipe la plus séduisante de ces trois dernières années et le tenant du titre, le porteur de ceinture, le champion incontesté des poids lourds, le seul adversaire que n’a pas encore battu la bande à Galthié...

L’AFRIQUE DU SUD, CETTE USINE À LÉGENDES...

On aime déjà ce match. On aime ce match pour ce qu’il offrira de perspectiv­es, bonnes ou mauvaises, à ce XV de France en croisade vers un premier titre mondial. On aime ce match parce qu’il confirmera ou pas que le paquet d’avants tricolore est aussi armé qu’on ne le pense, quand bien même soit-il aujourd’hui privé de sa clé de voûte (Paul Willemse). On aime ce match parce qu’il devrait contraindr­e l’équipe de France, si à l’aise dans le jeu de « dépossessi­on » depuis le début du mandat Galthié, à jouer différemme­nt parce que naturellem­ent moins forte que son adversaire direct sous les ballons hauts et le « kicking game ». On aime ce match parce que dans le sillage des Springboks courent toujours des dizaines de légendes, souvent sanglantes, glaçantes ou surprenant­es, et qui font d’Eben Etzebeth et ses coéquipier­s les plus fascinants mangeurs d’enfants du circuit internatio­nal. Car de tout temps, les Boks captivent, attirent ou interpelle­nt ; et ce déchaîneme­nt presque animal dont font souvent preuve les rugbymen sud-africains, cette agressivit­é confinant parfois à la violence, ils sont d’ailleurs nombreux à l’avoir côtoyé de près. Tom Lyons, un supporter des Lions britanniqu­es alors en tournée en Afrique du Sud, racontait par exemple à son épouse Suzanne, dans une lettre postée le 11 juillet 1954 : « C’est comme si nous avions débarqué dans un autre monde, mon aimée. Ces paysans Boers sont tellement rugueux que je jurerais qu’ils travaillen­t leur défense en plaquant des buffles. Les Springboks jouent au rugby comme on fait la guerre. » Cette ardeur au combat,

couplée à une dimension athlétique hors-norme, a même connu son paroxysme lors du discours d’avantmatch prononcé par Rassie Erasmus, au jour de la finale de la dernière Coupe du monde : « Intimidez-les. Persécutez-les. Vous êtes plus durs, plus forts qu’eux. Pourquoi ? Parce que votre pays vous a forgés ainsi. Ils

(les Anglais) sont juste de petites choses qui travaillen­t au quotidien avec un préparateu­r mental. Ils jouent pour faire grandir le rugby dans leur pays quand vous jouez pour sauver une nation qui recense au quotidien 40 meurtres et autant de viols. Siya (Kolisi), au moment du toss, regarde le (Owen Farrell) dans les yeux et fais lui comprendre que tu es là pour le détruire. » De quoi glacer le sang, n’est-ce pas ? De quoi se dire, aussi, que ces Springboks, battus le week-end dernier en Irlande (1916) et qui considèren­t le XV de France comme une menace en vue du prochain Mondial, seront samedi soir animés de sentiments similaires...

POUR NICK MALLETT, LES SPRINGBOKS SONT EN PERTE DE VITESSE

Le contexte étant posé, ces Springboks sont-ils néanmoins aussi forts qu’ils ne l’étaient en 2019 ? Nick Mallett, ancien entraîneur du Stade français et sélectionn­eur sud-africain de 1997 à 2000, n’en est pas certain. Il nous confiait mercredi matin, au téléphone : « Lors du dernier Mondial, les coachs des Springboks ont assis le succès de l’équipe nationale sur une domination sans partage en mêlée, en touche et sur les mauls pénétrants . Mais ce plan de jeu n’a pas évolué, depuis : offensivem­ent, on ne propose pas grand-chose et nos adversaire­s l’ont compris ; désormais, les grandes nations du circuit internatio­nal savent aussi comment nous contrer en mêlée fermée et sur les mauls. Si l’Afrique du Sud ne sort pas de son schéma traditionn­el et reste incapable de produire du mouvement, elle sera battue par la France samedi soir. Avec Ntamack, Dupont et Penaud, les Bleus sont aujourd’hui bien plus dangereux balle en mains que nous le sommes depuis trois ans. » Mallett, champion de France à deux reprises à la tête du club parisien, poursuivai­t ainsi : « Il faut aussi aux Springboks trouver d’urgence un demi d’ouverture. On a joué l’Irlande avec un numéro 10 qui joue souvent trois-quarts centre en club (Damian Willemse), ne bute pas aux Stormers et tourne à 70 % de réussite face aux poteaux. Même si Cheslin Kolbe le relaie dans l’exercice, l’absence d’un vrai buteur reste très problémati­que au niveau internatio­nal. Je ne comprends pas comment un joueur comme Manie Libbok (le jeune ouvreur des Stormers) n’a pas encore été essayé... » Aux yeux de Nick Mallett, francophon­e et francophil­e, les Bleus, certes maladroits et fébriles face à l’Australie le week-end dernier, ont également pour eux une densité physique largement suffisante pour contrer les avants sud-africains dans le combat collectif et qu’en ce sens, les coéquipier­s d’Antoine Dupont abordent le match de l’année dans la posture de « favoris ». Le feeling d’une pointure comme Mallett est une chose. Les faits, eux, disent pourtant que les Bleus n’ont plus battu les Springboks depuis treize ans…

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 ?? Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany ?? Les Bleus, deuxièmes du classement World rugby, en route vers le Mondial 2023, vont croiser le fer avec les champions du monde en titre sud-africains. Un test de caractère, de maturité collective mais aussi de stratégie.
Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany Les Bleus, deuxièmes du classement World rugby, en route vers le Mondial 2023, vont croiser le fer avec les champions du monde en titre sud-africains. Un test de caractère, de maturité collective mais aussi de stratégie.

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