Midi Olympique

Une finale qui restera dans l’histoire

ADMIRABLE D’INTENSITÉ, DE SUSPENS ET DE QUALITÉ TECHNIQUE, LA FINALE QUE SE SONT LIVRÉES LES BLACK FERNS ET LES RED ROSES SERA À MARQUER D’UNE PIERRE BLANCHE DANS L’HISTOIRE DU RUGBY FÉMININ. ET EN PLUS, LA NOUVELLE-ZÉLANDE EST DEVENUE LA PREMIÈRE NATION

- Par Simon VALZER, envoyé spécial simon.valzer@midi-olympique.fr

En 36 années de carrière d’entraîneur au plus haut niveau, ce vieux loup de Wayne Smith en a connu, des titres. C’est ce qu’il nous rappelait non sans une bonne dose d’autodérisi­on il y a quelques semaines, quand nous l’avions rencontré du côté de Whangarei, avant les quarts de finale : « Écoutez, j’ai 65 ans. Cela fait 36 ans que j’entraîne des équipes de rugby. J’ai vécu quatre Coupes du monde, gagné quatre fois le Super Rugby… comment dire ? Je suis fini ! » Et pourtant… après cette sublime finale, le technicien qui fut sacré deux fois champions du monde nous affirma, les yeux dans les yeux, ceci : « C’est le moment le plus phénoménal de ma carrière. » Pourquoi ? D’abord parce que cette équipe revient d’incroyable­ment loin. Secouée par une crise interne sans précédent en novembre 2021 dernier – laquelle fut matérialis­ée par quatre raclées infligées par l’Angleterre et les Bleues lors de leur tournée en Europe-, elle n’était qu’un champ de ruines il y a encore sept mois, quand Smith fini par accepter le poste de sélectionn­eur après plusieurs refus. Et aujourd’hui, la voilà championne du monde : « Je n’étais pas là avec elles lors de cette tournée de novembre, mais quand on porte le maillot noir, on n’a pas le droit de baisser la tête très longtemps, nous confiait la flanker Sarah Hirini, par ailleurs star mondiale du circuit à VII, mais je reconnais que le fait d’avoir retourné la situation de cette façon, aussi rapidement et dans de telles proportion­s, c’est vraiment génial. »

UN MATCH ÉPIQUE

L’histoire est franchemen­t superbe. Car au contraire de leurs adversaire­s du soir, les Black Ferns n’avaient pas les faveurs des pronostics. Elles ne roulaient pas sur leurs adversaire­s depuis 30 tests. Au contraire. On a vu ces Néo-zélandaise­s bousculées par les Australien­nes lors du premier match, et malmenées par les Françaises en demi-finale. Et pourtant, ce sont elles qui ont décroché le titre suprême, le sixième de leur histoire. Et franchemen­t, c’est mérité. Pourquoi ? On en vient à la deuxième raison expliquant pourquoi Wayne Smith considère ce titre comme un moment à part dans sa riche carrière : parce qu’il s’agissait tout simplement du plus beau match de rugby féminin de tous les temps, et certaineme­nt l’un des plus beaux tests de l’année tous genres confondus. Pendant 80 minutes, Anglaises et NéoZélanda­ises nous ont offert de superbes exemples de toutes les facettes qui font la richesse de notre jeu : la beauté des duels en touches et au sol, la rigueur des mauls finement construits par les Anglaises, le jeu de ligne, la qualité technique et le génie offensif pour les Black Ferns. Bien sûr, certains diront que la rencontre fut déséquilib­rée par le carton rouge donné à l’ailière Lydia Thompson à la 18e minute. Mais ils devront reconnaîtr­e que ce dernier ne souffre d’aucune contestati­on, puisque la position de l’Anglaise était clairement dangereuse. Sa vis-à-vis kiwi Portia Woodman en a d’ailleurs fait les frais et n’est pas revenue sur le terrain, après avoir perdu connaissan­ce pendant d’interminab­les secondes.

SMITH : « NOUS SAVIONS QUE NOUS DEVIONS PRENDRE DES RISQUES »

Après une vraie explicatio­n des deux packs dans le premier acte (comme en ont témoigné les essais marqués après mauls par les Anglaises Cockayne (13e, 32e), puis Packer (21e) et les Kiwi Ponsonby (18e) et Rule (40e), les

Black Ferns ont mis leur plan à exécution dans le deuxième acte : « Nous savions depuis six mois que, si nous voulions jouer contre elles, nous allions devoir développer notre jeu assez déstructur­é, jouer différemme­nt et prendre des risques », expliquait Smith après la rencontre. Voilà comment les Black Ferns ont accéléré le rythme et envoyé tous les ballons qu’elles pouvaient vers leurs bombes qui composent leur ligne arrière, précisémen­t là où les Anglaises étaient en infériorit­é numérique : « Nous savions où se trouvait l’espace, nous devions simplement y amener le ballon, détaillait la capitaine et demie d’ouverture kiwi Ruahei Demant, élue joueuse du match. Nous savions que leur attaque en touche pouvait nous tuer, alors nous avons essayé de garder le ballon et de ne pas concéder de pénalités. L’une des grandes forces de notre équipe est sa capacité à tirer des leçons de la première période et à savoir exactement ce que nous allons faire ensuite et comment trouver des solutions. C’est ce que nous avons fait en deuxième mi-temps. C’est ce que nous avons fait dans la plupart de nos matchs. Nous l’avons montré dès le début en marquant dès le renvoi. »

Et quel essai… Superbemen­t initié et conclu par Stacey Fluhler, sur qui nous revenons ci-dessous. Il n’en reste pas moins que l’issue du match s’est jouée sur une séquence de conquête : une touche anglaise à cinq mètres de la ligne kiwi à la dernière minute. Là, on s’est dit que les rêves des hôtes de la compétitio­n allaient être fracassés par un énième ballon porté des Red Roses. Il n’en fut rien. Car pour une fois, leurs adversaire­s sont allées les chercher dans les airs, par l’intermédia­ire de la deuxième ligne remplaçant­e Joanah Ngan-Woo, qui passa son bras devant les mains du tentacule Abbie Ward : « Nous avons beaucoup étudié leur touche, commentait l’une des héroïnes de la soirée : Ward était leurs sauteuses principale­s, et ce que j’ai vu depuis le banc n’a fait que confirmer ce constat. Quand je suis entrée en jeu, je savais quoi faire. »

HIRINI : « NOUS AVONS CHANGÉ AOTEAROA »

La suite consista en une gigantesqu­e explosion de joie qui fit trembler l’Eden Park. On vit Sarah Hirini, d’habitude si sereine en toute occasion, sauter partout et gesticulan­t comme une possédée. Maintenant déclenché, la Fédération néo-zélandaise et les Black Ferns espèrent que ce tremblemen­t de terre secouera les mentalités et encourager­a toutes les petites filles du pays à pousser la porte de leurs clubs locaux. À l’issue de la rencontre, Hirini prenait la mesure de l’évènement : « Wayne nous a donné la confiance que l’on pouvait jouer un rugby qui nous permettrai­t de gagner ce titre. Il nous a donné un plan de jeu dans lequel on pouvait s’épanouir. On a fini par y croire, toutes. Je crois que ce match va faire date. Nous avons changé Aotearoa. » « Ce matin, avant le match, j’ai simplement dit aux filles que j’étais fier d’elles, et que je les aimais, reprenait le sélectionn­eur qui va désormais prendre du recul après cette folle aventure. Je n’ai jamais été aussi fier d’une équipe, qu’elle gagne ou qu’elle perde. » À l’issue de la rencontre, la demi de mêlée Kendra Cocksedge estimait que cette équipe n’était qu’à « 75 % de son potentiel. » Et la star Ruby Tui lançait, un brin provocatri­ce : « On disait que personne ne s’intéressai­t au rugby féminin, mais vous savez quoi ? Nous sommes là ! Et nous sommes là pour rester ! »

 ?? Photos DR ?? Au terme d’un match incroyable d’intensité, les Néo-Zélandaise­s deviennent championne­s du monde sur leur terre. Une première !
Photos DR Au terme d’un match incroyable d’intensité, les Néo-Zélandaise­s deviennent championne­s du monde sur leur terre. Une première !

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