Midi Olympique

L’équation des neuf

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

Àla fin de France – Afrique du Sud, il nous est apparu par réflexe, comme une évidence, que Maxime Lucu allait débuter la rencontre suivante, puisqu’Antoine Dupont était automatiqu­ement suspendu pour le match suivant après son carton rouge. Mais selon nos informatio­ns, en début de semaine, le staff s’est posé la question de maintenir le Bordelo-Béglais en position de remplaçant, de « finisseur » comme on dit maintenant et de faire débuter Baptiste Couilloud face au Japon. Ceci pose une équation, doit-on considérer des joueurs comme des spécialist­es de la fin de match ? Des sortes de remplaçant­s profession­nels ? Après tout, ne serait-ce pas un atout des entraîneur­s modernes dans un rugby qui se joue à 23 ?

Aubin Hueber, ancien numéro 9 internatio­nal, ancien demi de mêlée internatio­nal (23 capes, 19902000), ne repousse pas cette idée, loin de là.

« Oui, en tant que coach, je trouve ça louable. Mais pour l’ego, je reconnais que c’est plus difficile… Tout le monde aime débuter. Mais avec les moins de 20 ans, nous avons testé cette solution. Le terme finisseur c’est nous qui l’avons introduit. » Pour lui, cette conception correspond au principe que tous les joueurs n’ont pas les mêmes aptitudes : « Surtout à un poste où nous avons tellement de talents. Avec les moins de 20 ans, nous avions travaillé spécifique­ment les fins de match. On avait ciblé le fait que certains joueurs supportaie­nt mal la pression des débuts de match, d’autres étaient plus aptes à le finir. Évidemment, tout ça doit être décidé bien en amont. »

HUEBER : « MENTALEMEN­T, CE N’EST PAS FACILE D’ENTRER DANS UN MATCH »

Pour lui, les dix, quinze ou vingt dernières minutes sont un monde en soi. « Mentalemen­t, ce n’est pas facile d’entrer dans un match. Certains vont avoir tendance à paniquer. D’autres ont des qualités de sang-froid. Un remplaçant arrive parmi des joueurs fatigués, adversaire­s ou partenaire­s. Parfois, je demandais au finisseur d’accélérer en jouant des pénalités et des coups francs rapidement. D’autres fois, je demandais de temporiser ou de jouer au pied. » De loin, l’ancien Toulonnais imagine un Lucu plein de sang-froid, capable d’entrer très vite dans un match. « À l’ouverture, je sens Jalibert moins fait pour le rôle de finisseur, car il aura tendance à trop vouloir prouver. » Pour en revenir au numéro 9, il comprendra­it ce qui aurait poussé à une titularisa­tion de Couilloud : « Par son explosivit­é, il a un peu le profil de Dupont, capable de s’échapper au ras ou de mettre des raffuts. » Autre ancien internatio­nal, Guy Accoceberr­y (19 sélections entre 1994 et 1997), a un avis plus mitigé : « Être finisseur, ce n’est peut-être pas une vérité. Je préfère penser qu’on puise dans un panel qui comporte des joueurs avec des qualités différente­s selon le jeu qu’on veut pratiquer. Évidemment, pour les ego, être toujours remplaçant, c’est dur. Mais pour les joueurs actuels, c’est différent de ce que j’ai connu. C’est devenu leur travail, ils reçoivent aussi plus d’explicatio­ns que nous en recevions, les staffs sont plus complets. Je pense finalement que cette question de l’ego rentre moins en ligne de compte. Mais j’en reviens à la qualité du joueur. Pour moi, demi de mêlée c’est un poste global. En général, un numéro 9, c’est l’animateur d’un groupe. Cataloguer un gars réserviste, c’est quelque part réduire son champ d’action. C’est l’empêcher de s’exprimer. »

Pierre Berbizier a non seulement été internatio­nal mais aussi sélectionn­eur du XV de France entre 1992 et 1995. Il a vécu les deux côtés de la barrière internatio­nale : « Je suis favorable à une hiérarchie, mais pas ad vitam aeternam. Elle doit être redéfinie de temps à autre. Je pense que Dupont est actuelleme­nt incontesta­ble en numéro 1. Mais il faut comprendre que les joueurs sont préparés mentalemen­t à entrer, ce qui n’était pas le cas à mon époque. Nous avions peu de chances d’entrer en jeu quand nous étions remplaçant­s. Et faire un remplaceme­nt, c’est évaluer deux performanc­es en fonction du moment où il se produit. Plus le remplaçant entre en jeu tôt, plus c’est le signe qu’on compte sur lui. »

On sent l’ancien demi de mêlée des années 80 plutôt partisan de faire monter le numéro 2 à la première place, dans un certain souci de logique. « Je n’ai pas tous les éléments pour analyser les qualités de Lucu. Mais je me dis : pourquoi ne pas le juger en position de titulaire ? Ce serait l’occasion d’évaluer ses qualités de meneur d’hommes. C’est important parce qu’en débutant à la mêlée, il peut intervenir sur le jeu, mais aussi sur les hommes. Je pense qu’un remplaçant ne peut guère intervenir que sur le jeu en soi. Le fait de faire débuter Maxime Lucu serait à mon sens une bonne occasion de le juger sur toutes les facettes de son poste. Je sais qu’il a déjà été titulaire l’été dernier mais ça conforte mon opinion, surtout face au même adversaire. Ne pas le faire débuter en l’absence de Dupont, c’est l’obliger à se poser des questions. On aura du mal à lui donner des réponses, alors il aura ses réponses à lui et ça générera de la frustratio­n. Même s’il ne le dira pas. »

 ?? Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany ?? En l’absence d’Antoine Dupont, suspendu, Maxime Lucu fêtera sa troisième titularisa­tion à la mêlée. Le BordeloBég­lais n’a toujours pas connu la défaite en dix sélections.
Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany En l’absence d’Antoine Dupont, suspendu, Maxime Lucu fêtera sa troisième titularisa­tion à la mêlée. Le BordeloBég­lais n’a toujours pas connu la défaite en dix sélections.

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