C’est du brutal
Le rugby, tel qu’il se parle et s’écrit, se joue aussi, n’est plus ce qu’il était. Le néo-féminisme si en vogue n’y est pour rien, mais la tendance est forte, il suffit de lire. Par exemple, dans « L’Equipe », la veille de la demi-finale de Coupe du monde France - Nouvelle-Zélande à Auckland, un titre faisait impact : « On donne notre corps à la science. » Il s’agissait d’une interview de Marjorie Mayans et Gabrielle Vernier, toutes deux surnommées « les enragées ». Au passage, elles déclaraient entre deux sourires : « L’engagement doit être total sur les plaquages. C’est un geste télégénique qui fait plaisir aux spectateurs. » Certes, ces dames savaient plaquer et l’on pouvait le vérifier au hasard des matchs télévisés sans cesser de céder à une douce pensée sur leurs capacités à donner de l’air au jeu, à réduire les affrontements. Or le spectacle, à ce point frontal, offert par Françaises et Néo-Zélandaises en fusion fut tout autre. Dans les dix dernières minutes, puissance en avant, épaules en batterie, elles vécurent l’exclusion en jaune pour avoir mis trop de plomb dans les têtes. C’était à se demander si l’expression « match d’hommes » employée à satiété voulait encore dire quelque chose par comparaison. Si, chez les mâles de toujours, le trivial « on n’est pas des gonzesses » n’avait pas vécu et, avec lui, le dérisoire « en avoir ou pas ». Le jour même, au Stade de France, Français et Australiens s’en donnèrent à corps joie, mais le meilleur du nouveau genre attendrait une semaine. Entre Français et SudAfricains,
ceux-ci fatalement présentés comme les plus féroces (c’est toujours l’autre, l’opposant, qui en fait plus), l’hommage à la grosse verve de Michel Audiard atteint des sommets et renvoya le France-Nouvelle Zélande fourroussien de 1986 à Nantes au rang des matchs de charité. Tournée générale d’une boisson « bizarre ». Devant le breuvage servi, on pouvait se prendre pour Tonton Bernard (Blier) qui, hébété, livrait son expertise : « Faut reconnaître, c’est du brutal ! » Avant que de savoir s’il avait un goût de pommes, on ne comptait plus les hommes qui se bousculaient devant la porte de l’infirmerie. Un hôpital de campagne venait d’être dressé sur l’herbe de Saint-Denis. À l’aune des gueules cassées, ces dames d’Auckland étaient dépassées. Par bonheur, les Français étaient invités à partager la dernière de la Tournée contre les frelons Japonais. Allait-elle laisser un « goût de betteraves » ? Cette fois, c’est du vital qui nous fut servi. Grâce à ces Japonais toujours en jambes et à leur ivresse de rapides éjections, de transmissions. Grâce à ces épatants Français, ceux du capitaine Olivon après le commandant Dupont. Car cette équipe vit sa nouvelle condition de favorite sans baisser le ton. Il y a souvent un talent pour pousser l’autre, ce bon Jalibert donne de l’air et ce Penaud fait honneur au père. Maintenant, il s’agit de souhaiter que la prochaine pandémie de rugby prenne source chez les Japonais. Avec eux, c’est du saké sans brutalité, du vif argent content.