Midi Olympique

Pour le rugby. »

- Propos recueillis par Jean-Luc GONZALEZ

décalé dans l’image donnée par le club. Dans la rue, à Paris ou en province je croise des gens qui me disent toujours la même chose : « Merci pour ce que vous avez fait

J’en suis heureux.

À titre personnel, vous êtes longtemps passé pas un ovni dans le monde rugby ?

J’ai pris la présidence du Stade français sans jamais avoir fait partie du sérail. Durant tout ce temps, mon club a été cinq fois champion de France. J’ai été parfois plus to- léré qu’accepté, comme Mourad Boudjellal qui avec Toulon gagna trois titres euro- péens et un Brennus. Lui et moi avons toujours été différents des autres dirigeants.

C’est vous qui le dites. Les gens estiment que j’ai été un moteur important du profession­nalisme. Pourtant, j’ai gardé la nostalgie de l’époque ou le Stade français était en Fédérale 2. On partait en train jouer en Auvergne. En général on gagnait et puis on faisait les cons dans le wagon bar. Il y a eu tant de bons moments. Il y a eu des passages difficiles, surtout à la fin.

Justement, comment viviez-vous les évènements moins joyeux ?

La chose qui m’énervait le plus, c’était de perdre à domicile. Je rabâchais aux joueurs : « C’est comme rentrer à la maison et trouver votre femme dans le lit avec un autre homme. » JeanBouin, le Stade de France, c’était notre territoire. Il est très rarement arrivé de perdre à la maison. Le cas échéant, tellement je me sentais honteux, je restais enfermé chez moi pendant deux jours. Le Stade français n’a perdu qu’une fois, face à Toulouse, sur les vingt matchs organisés au Stade de France. Il ne fallait pas être dans le vestiaire à la fin du match, de rage je donnais des coups de pied dans la malle des maillots. On entendait les mouches voler. Les joueurs en parlent encore.

Quand et comment l’idée de jouer au Stade de France s’est-elle imposée ?

En 2005, j’ai proposé à l’équipe de disputer notre match de Coupe d’Europe contre Newcastle au Parc des Princes. Il y a eu un vote et nous avons joué trois matchs au Parc, trois fois à guichets fermés. Puis le PSG a refusé que nous revenions au Parc.

Alors ?

« Pourquoi pas le Stade de France ? », ai-je lâché. C’est sorti comme ça. Il fallait être fou, mais dans la vie, si tu n’oses pas tu fais du surplace. Sincèremen­t, où était le ris- que ? On y est allé une fois, on y est allé vingt fois. 1,5 million de personnes se sont rendues à Saint-Denis de 2005 et 2011. Je me souvenais avec émotion (des larmes cou- lent sur ses joues) des premiers matchs à Jean-Bouin, les tribunes étaient vides : pour moi, un habitué des grands concerts, c’était horrible. Lors du premier match à Saint- Denis, je me suis posté sur le parvis, là j’ai vu tous ces gens arriver par vagues énor- mes. Un moment très fort. C’était le 15 octobre 2005, contre Toulouse, Christophe Dominici était sur l’affiche. Le Stade toulousain avait mal réagi à cette délocalisa­tion. Guy Novès, au départ, voulait envoyer les juniors. J’ai pensé que Toulouse ne voulait pas participer à cet événement parce qu’il ne l’avait pas organisé. Ça s’est arrangé. Ensemble, ce jour-là, le Stade français, le Stade toulousain et le Stade de France ont créé un truc unique, énorme, le fameux Clasico.

Vous parlez d’une bagarre ! Heureuseme­nt que la Ville de Paris et surtout son maire de l’époque, Bertrand Delanoë, ne nous ont jamais lâchés. J’ai lutté pendant dix ans avec tous les leaders politiques de la capitale. C’était une obsession. J’ai été plus d’une fois traîné dans la boue. Ce stade, je n’ai pas pu en jouir car j’ai quitté le club avant la fin des travaux. C’est mon héritage, et j’en suis fier. Sans moi ce nouveau Jean-Bouin n’aurait jamais existé. Peut-être un jour y aura-t-il ma photo dans un couloir ? Pour l’instant, je suis en bas, côté vestiaire, sur des photos d’équipes.

On vous sent touché par cet oubli.

Écoutez, je suis vivant. Jean-Bouin a été inauguré sous la présidence de Thomas Savare dont on m’a dit qu’il avait demandé à Canal + de ne pas faire de plan sur moi quand j’allais au match. Lorsque je vais à Jean-Bouin, j’imagine l’ancien stade où nous avons été tellement heureux.

Pendant tout ce temps, qu’avez-vous appris des hommes ?

L’humain a toujours primé sur tout le reste. Ce fut mon mode de management à NRJ comme au Stade français. Quand je voulais recruter un joueur, je le recevais longuement afin de découvrir sa personnali­té, ses centres d’intérêt, quelles que soient ses qualités sportives. Ce club, je le voyais comme une famille.

Y avait-il des questions récurrente­s durant ce premier contact ?

Une était essentiell­e. « Est-ce que tu es né pour être champion ? Si ce n’est pas le cas, tu n’as rien à faire chez nous. » En répondant positiveme­nt, je savais que le joueur allait se défoncer pour gagner des titres. C’était ma façon de motiver les nouveaux. Je disais qu’on partait sur bateau à la recherche du Graal, et sur ce bateau il fallait être bien ensemble. Sans ça, on n’y serait jamais arrivé. C’était ma vision, elle peut sembler surréalist­e, mais les hommes ont besoin de ce type de challenge. Je n’ai jamais traité les joueurs en salariés. Je n’étais pas un chef d’entreprise mais un président. Ce positionne­ment avait beaucoup de valeur pour moi. Ça ne m’empêchait pas d’être très sévère, et aussi d’être juste. Je me suis toujours occupé du recrutemen­t. Parfois, je laissais faire les entraîneur­s, mais souvent ils se plantaient. Je voulais des hommes de caractère, de fortes personnali­tés. Ce n’est pas par hasard si treize anciens joueurs ont écrit des autobiogra­phies. Tous ont été marqués par ce club, ça me rend fier. Je ne trichais pas avec eux. Au bout de tout, le plus important, c’est l’aventure humaine.

Un de vos anciens demis de mêlée, une forte personnali­té, est aujourd’hui sélectionn­eur des Bleus.

Fabien Galthié, c’est mon ami. Je suis tellement heureux pour lui. « Un jour, tu seras entraîneur de l’équipe de France, c’est ton destin », lui ai-je toujours prédit.

Oui. Il est de la race des seigneurs. Je l’aime mais je déteste ses lunettes.

Oui, je l’ai lu. Son commentair­e est normal. La fête fait partie du rugby, c’est ainsi que l’on célébrait nos titres de champions et nos nombreuses victoires. Décrocher un bou- clier de Brennus, c’est l’aboutissem­ent d’une histoire pleine de stress, d’émotion. Quand on le tient entre les mains, c’est le paroxysme de la joie. Quand j’organisais de simples matchs de championna­t devant 80 000 personnes au Stade de France avec de nombreuses animations, le public appelait ça « la fête du rugby » et j’en ai été très heureux.

Mais un club peut-il réussir sans un président pour l’incarner au jour le jour ?

Le rugby a changé, beaucoup de présidents sont aujourd’hui milliardai­res. Je n’étais pas milliardai­re. Je sais ce que ça m’a coûté.

C’est beaucoup ? Quel regard portez-vous sur le Stade français version 2022 et son président ?

Si je n’avais pas créé l’entité profession­nelle du Stade fran- çais, je me demande si l’aventure aurait duré. En tout cas, Jean- Bouin serait dans l’état où je l’ai trouvé il y a trente ans. Ce club, c’est mon enfant. Il me tient toujours à coeur. Je suis tel- lement heureux quand il va bien. Aujourd’hui, il est dans les mieux classés du Top 14, ce n’est pas arrivé depuis longtemps, alors j’exulte. Avant d’y parvenir, beaucoup d’erreurs de recru- tement ont été commises après mon départ. Quand j’ai su que Hans-Peter Wild voulait reprendre le club, j’ai organisé un dî- ner avec Antoine Burban, Pascal Papé, Alexandre Flanquart et son contact, Robert Mohr, afin que ce dernier motive le préten- dant au rachat. Je souhaite que ce nouveau président réus- sisse. Mais à chacun ses méthodes. La mienne, s’inspirait du penseur allemand Friedrich Nietzsche, découvert pendant mes études de philosophi­e. « Féconder le passé et enfanter l’avenir, que tel soit mon présent », voilà le précepte qui m’a toujours gui- dé à la tête du Stade français. Je suis satisfait de l’action de Thomas Lombard, le directeur général, dont je suis affectivem­ent très proche.

Beaucoup trop. Avec nos matchs au Stade de France, nos comptes étaient plus qu’équi- librés, je ne mettais plus rien dans le club. Le Stade français était devenu un bon élève de la DNACG. Quand on a été victime d’un abus de confiance doublé d’une escroqueri­e, personne ne nous a fait de cadeau. J’avais l’impression que le Stade français avait tellement dérangé qu’il avait droit à un retour de bâton. Par fierté, je ne voulais pas qu’il soit rétrogradé.

Comment viviez-vous ces rencontres au Stade de France ?

Ces matchs étaient préparés dans les moindres détails quatre mois à l’avance. Je contrôlais tout. Le public arrivait une heure avant pour assister à des tournois de chevalerie, des combats de catch, des démonstrat­ions de moto-cross… Nous avons été les premiers à scénariser l’arrivée du ballon, c’était une surprise à chaque fois.

Qu’avez-vous fait depuis 2011, année de votre départ du Stade français ?

J’ai produit de la musique. Je viens de sortir un très bel album sur les chants de Jésus chez Universal avec cinquante-deux chanteurs profession­nels, c’est mon meilleur disque. On n’est pas obligé d’être croyant pour aimer ça. Je le dis, je suis catho, et je ne suis pas un saint, c’est d’ailleurs le titre de mon autobiogra­phie. Je vais à la messe tous les dimanches. Sans m’expliquer pourquoi, j’y suis retourné en 2006.

« J’ai gardé la nostalgie de l’époque ou le Stade français était en Fédérale 2. On partait en train jouer en Auvergne. En général on gagnait et puis on faisait les cons dans le wagon bar. »

Que pensez-vous du mariage pour tous ?

Je réponds par une question : quelle est la genèse du mariage pour tous ? Ce sont les années sida qui n’épargnèren­t pas le showbiz. J’ai vu tellement de personnes se retrouver à la rue, car virées par la famille du défunt. Certains couples avaient vécu plus de dix ans ensemble et il n’en restait plus rien du jour au lendemain. Il y eut tout à coup comme un besoin urgent de sécurité juridique, qu’elle s’appelle union civile ou mariage gay. L’orientatio­n sexuelle n’est pas un choix. De fait, je ne vois pas pourquoi tous et toutes n’auraient pas les mêmes droits. Si Nicolas Sarkozy avait tenu sa promesse de campagne de réaliser cette union civile pendant sa présidence, le mariage gay n’aurait pas posé autant de problèmes.

C’est l’histoire d’une promesse. Une de mes chiennes, Mirka, avait un bouton dans le cou. Il est analysé, c’est cancéreux. Elle passe un scanner qui ne décèle pas de métastase mais lui trouve quelque chose à l’estomac. C’est tout noir. Ce serait un cancer à la fois intraitabl­e et inopérable. Le véto lui donne trois mois à vivre. Je suis anéanti, Mirka c’est comme mon enfant. Elle passe une fibroscopi­e, dix biopsies sont réalisées en suivant. Si Mirka s’en sort, je fais le voeu d’aller à Lisieux sur le tombeau de Sainte-Thérèse et à Assises, sur celui de Saint-François. Un voeu est un voeu, il faut le respecter.

Votre passion pour les chiens et les animaux se matérialis­e aussi au sein de la fondation Brigitte-Bardot.

Brigitte Bardot a voulu que je devienne secrétaire général dans sa fondation dont la mission est de veiller au bien-être animal et de défendre la cause animale. Cent soixante-dix salariés et six cents bénévoles mènent des actions dans soixante-dix pays. J’ai quatre chiens, ça étonne certains de mes amis. Il faut avoir des animaux sous son toit pour comprendre ça. Je n’ai pas d’enfant, alors ces chiens prennent plus d’importance. À la fondation, je vois tellement d’atrocités… Il m’arrive de ne pas comprendre l’âme humaine. Tous ceux qui font souffrir les animaux devraient subir le même châtiment.

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