Sans conquête ni défense, la dépossession en échec
SI LE CARTON ROUGE REÇU PAR WILLEMSE EST POUR BEAUCOUP DANS LES PROPORTIONS DE LA DÉBÂCLE SUBIE FACE À L’IRLANDE, SUR LA PELOUSE DU VÉLODROME DE MARSEILLE, IL N’EN EST CLAIREMENT PAS LE RESPONSABLE. CAR LE XV DE FRANCE A SURTOUT COMMIS L’ERREUR DE PLACER SON CURSEUR SUR « L’INTENSITÉ COMBATTUE » SANS EN MAÎTRISER LES INDISPENSABLES FONDAMENTAUX...
Calmons d’emblée les raisonneurs à court terme, tant on a lu ces derniers jours de bêtises écrites sous le coup de l’émotion après la correction reçue par les Bleus. Non, les règles du jeu n’ont pas changé depuis la Coupe du monde et non, le jeu de dépossession n’est pas (encore) dépassé. D’ailleurs, jusqu’à preuve du contraire, le Stade français est leader du Top 14, Toulouse demeure l’équipe qui tape le plus dans le ballon en Champions Cup, et ce sont surtout bel et bien les Springboks qui ont décroché le trophée Webb-Ellis voilà un peu plus de trois mois, face à des équipes qui ont toujours eu plus de possessions qu’eux, dont la France… Le truc ? Il est qu’à chaque rencontre, Rassie Erasmus et son staff avaient su ajuster leur stratégie à la grâce de « coups tactiques » adaptés au profil de l’adversaire. Précisément ce que les Bleus ne sont pas parvenus à réaliser contre l’Irlande, pour une double raison : d’abord ils ont été dévorés par les coéquipiers de McCarthy sur tous les points de rencontre ; ensuite et surtout les hommes d’Andy Farrell avaient très bien préparé leur coup, aidés qui plus est par l’exclusion de Paul Willemse…
LA TOUCHE, SECTEUR SYMBOLIQUE
Le symbole de cet échec ? Il réside bien évidemment dans la touche, où Laurent Sempéré a connu un drôle de bizutage au niveau international de la part de celui qui fut pendant un an… son entraîneur au Stade français, Paul O’Connell. Pour répondre aux Irlandais dans le combat, les Bleus avaient en effet choisi de se priver de Cameron Woki en deuxième ligne, persuadés que les Verts n’allaient monter au contre qu’épisodiquement, comme ils le font depuis trois ans. Cruelle erreur…
Marquant à la culotte Charles Ollivon (promu capitaine d’alignement alors qu’il n’occupe pas toujours cette fonction en club), les Irlandais ont fait vivre un calvaire à la touche bleue (78 % de réussite, pire total de l’ère Galthié). Résultat ? Les Bleus ont égaré pas moins de quatre ballons, et n’ont surtout jamais réussi à fournir de munitions propres à leurs trois-quarts.
Ce fut le jour et la nuit avec des Irlandais qui ont non seulement gagné tous leurs ballons sans opposition (alors qu’ils en perdaient 3 par match en moyenne depuis un an), mais en ont surtout fait ce qu’ils voulaient, multipliant les « mauls furtifs » pour faire courir les avants français jusqu’à l’épuisement. L’action la plus symbolique résidant probablement à cette touche en fin de première période où Sheehan avait déjà lancé (à 17 mètres, directement pour Aki) alors que les Bleus sur les rotules n’avaient pas encore eu le temps de se placer…
LE MUR D’EDWARDS S’EST LÉZARDÉ
Pris de vitesse en permanence, les Bleus n’ont ainsi jamais pu imposer leur « intensité combattue » dans les regroupements. Ou alors à mauvais escient, le carton rouge de Willemse ressemblant in fine à tout sauf un hasard par ce qu’il implique de manque de maîtrise et de précision. La conséquence inévitable s’est répercutée sur la défense, sans laquelle la « dépossession » relève du suicide : incapables de ralentir les rucks, les Tricolores ont ainsi accumulé les retards, décrochages et mauvais cadrages, le symbole demeurant le temps de jeu précédant la prise d’intervalle de Beirne face à Danty, sur lequel trois plaqueurs français (Gabrillagues, Atonio et Cros) se consommèrent sur le seul Furlong, laissant un intervalle de 10 mètres entre Mauvaka et son centre.
À ce titre, il convient de se poser la question : au vu des difficultés rencontrées dans leur circulation par les avants du XV de France, le système de « rush » de Shaun Edwards est-il encore la meilleure solution ? On commence à en douter, et les chiffres en attestent : depuis un an, les Bleus ont encaissé à six reprises plus de trois essais, alors que cela ne leur était jamais arrivé durant les trois premières années du mandat Galthié. Jusqu’à ce « record » de cinq essais concédés contre l’Irlande, qui doit au moins permettre de se poser les bonnes questions. Car si, après l’arbitrage de Ben O’Keeffe, le carton rouge de Willemse constitue la nouvelle circonstance atténuante derrière laquelle se réfugier, il arrivera bien un jour où nos Bleus n’en auront plus…