Midi Olympique

« On a pris une leçon »

IMANOL HARINORDOU­Y, CONSULTANT MIDI OLYMPIQUE, EST REVENU SUR LA GIFLE REÇUE VENDREDI SOIR À MARSEILLE PAR LE XV DE FRANCE FACE À L’IRLANDE. DU HAUT DE SES 82 SÉLECTIONS EN BLEU, IL PORTE UN REGARD ÉCLAIRÉ SUR LES RAISONS DE CET ÉCHEC MAJUSCULE.

- Imanol HARINORDOQ­UY Ancien troisième ligne internatio­nal Propos recueillis par Arnaud BEURDELEY arnaud.beurdeley@midi-olympique.fr

Êtes-vous déçu de la performanc­e du XV de France ?

Sans aucune surprise, les Bleus sont tombés sur une équipe qui a pratiqué un très bon rugby, très juste, très costaud dans tous les compartime­nts du jeu. C’est la marque de fabrique de cette équipe irlandaise. Et dès lors qu’elle a pris l’avantage au score, le XV de France s’est désorganis­é. Je n’ai pas vraiment vu d’action collective, pas d’enchaîneme­nt. Il y a eu beaucoup de déchets. C’était poussif, oui.

En quoi le carton rouge reçu par Paul Willemse a-t-il contribué à la désorganis­ation du XV de France ?

Le scénario du match a forcément compliqué la tâche des joueurs. À 14 contre 15, au regard du rugby pratiqué, c’était mission impossible. Pour battre les Irlandais, il faut être au top de notre forme et de notre maîtrise rugbystiqu­e. Le carton rouge a impacté d’abord la présence dans les rucks. À un de moins, on ne peut pas se permettre de se consommer autant dans les phases de combat au sol. Il faut alimenter la ligne, mais le revers de la médaille, c’est que ça offre à l’adversaire des libération­s de balles plus rapides. Ensuite, en perdant Willemse, les Bleus ont perdu leur meilleur défenseur sur les ballons portés. Ses larges épaules ont fait cruellemen­t défaut et les Irlandais ont marqué deux fois sur des mauls. Même constat en touche. Willemse est de toutes les combinaiso­ns car c’est le « lifteur » prioritair­e. Il a donc fallu se réorganise­r. Sans même parler du coaching qui a été chamboulé.

Justement, le secteur de la touche n’a-t-il pas souffert d’un manque d’équilibre ?

Le staff a fait le choix de se priver de Cameron Woki au coup d’envoi, ce qui explique probableme­nt le manque de variété dans les annonces en touche. Et ça s’est amplifié avec le carton rouge de Willemse. Un garçon comme Woki a manqué, notamment en contre. Il nous a toujours manqué 50 centimètre­s pour contester les ballons irlandais. Charles (Ollivon) a bloqué le fond de l’alignement mais dans la zone entre le premier et le deuxième sauteur, les Irlandais ont su utiliser l’espace.

Avez-vous senti un manque d’énergie de la part des joueurs français ?

Oui, clairement. Mais quand tu passes ton temps à défendre, tu te fatigues plus vite. C’est inévitable. Or, les Bleus ont pris des vagues successive­s, et ils ont défendu sur les talons. À la mi-temps, on a bien senti que cette équipe de France était dans le dur physiqueme­nt.

Le choix d’avoir fait confiance à de nombreux trentenair­es est-il coupable ?

Ça ne m’a pas choqué. Avoir des trentenair­es dans une équipe n’est pas le problème. Ce sont des joueurs qui ont une expérience collective commune importante. Ça doit être une force. Sur ce match, ça s’est mal passé. Mais il y a des circonstan­ces atténuante­s. Il y a eu pas mal de bouleverse­ments en amont de la rencontre. Sans oublier que le premier match du Tournoi n’est jamais le plus simple à gérer. C’était une finale avant l’heure, ce qui a mis beaucoup de pression sur les joueurs. Digérer cette gifle ne va pas être simple, on a vraiment pris une leçon.

Mais les trentenair­es pourront-ils viser l’objectif de la coupe du monde en Australie en 2027 ?

Au regard des calendrier­s du rugby français, on ne verra jamais un joueur de 37 ans dans le squad du XV de France pour une Coupe du monde, comme ont pu le faire les SudAfricai­ns avec Deon Fourie. À mon sens, il y a en France une surcharge d’entraîneme­nt. On ne laisse pas le temps aux joueurs de se régénérer. Certains n’ont plus grand-chose à apprendre rugbystiqu­ement mais on les fait s’entraîner toute la semaine. Une réflexion devait être menée à ce sujet, notamment pour des joueurs trentenair­es. Pour l’instant, ça se fait dans certains clubs mais vraiment à la marge.

Fabien Galthié a justifié certains choix par sa volonté de privilégie­r « l’intensité combattue » à « l’intensité courue ». Est-ce un pari perdant ?

Franchemen­t, je n’ai pas tout compris (rires). Surtout, l’intensité combattue, je ne l’ai pas vue à Marseille. Pour moi, sur un terrain de rugby, il faut courir et combattre en trouvant le bon équilibre. Résultat, l’équipe de France a été prise sur ces deux paramètres.

N’avez-vous pas le sentiment que l’échec du quart de finale de la Coupe du monde n’a toujours pas été digéré par les Bleus ?

C’est exactement la question que je me posais avant le match, vendredi. J’ai eu la réponse. Pour moi, les joueurs n’ont toujours pas digéré cette défaite. Mais ce n’est pas simple. C’est même éprouvant d’avoir à vivre avec une telle déception. J’espérais qu’il y aurait chez les Bleus plus de fraîcheur mentale à l’idée de se retrouver, de débuter un nouveau cycle, de marquer vite les esprits. J’ai finalement vu des joueurs sans solution, vite se désunir.

L’équipe de France ne souffre-t-elle pas d’une absence de véritable identité de jeu ?

Ne crachons pas sur tout ce qui a été fait pendant quatre ans. C’est un nouveau cycle qui commence avec de nouveaux entraîneur­s. Il y a donc forcément un changement de discours, de méthode d’entraîneme­nt, de plans de jeu. Il y a de la continuité, mais pas uniquement. Les cartes ont été redistribu­ées. Le staff doit trouver son équilibre en interne.

Comment imaginez-vous la prochaine rencontre des Bleus, dès samedi en Écosse ?

(Il souffle longuement) Ça ne va pas être simple… Le challenge sera costaud. Comme l’a dit Grégory Alldritt, les joueurs vont devoir se regarder dans le miroir et se dire leurs quatre vérités. Tout le monde attend une réaction. J’ai été joueur, je sais comment ça se passe. Ce sont eux les premiers déçus, les premiers insatisfai­ts de la copie rendue. Je suis sûr qu’il y a de la colère en eux. Ils savent aussi qu’ils ne pourront pas faire plus mal que vendredi soir à Marseille. Ils montreront un autre visage, j’en suis convaincu.

Ne craignez-vous pas qu’après l’état de grâce, le début d’une période difficile pointe le bout de son nez pour les Bleus ?

Avant même ce premier match, c’est ce que je redoutais en raison de la réduction des moyens mis à dispositio­n du XV de France. Jusque-là, tout était mis en oeuvre pour qu’il soit dans les meilleures dispositio­ns afin de gagner la Coupe du monde en France. Ce n’est plus le cas, aujourd’hui. Mais je crois en l’avenir de cette équipe.

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Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany Jonathan Danty, « agressé » défensivem­ent par Rob Henshaw, résumé d’un match où les Bleus ont été en permanence sous la menace des Irlandais.
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