Midi Olympique

Voyage au bout de l’enfer

- Par Marc DUZAN marc.duzan@midi-olympique.fr

JAMAIS, DEPUIS LA PRISE DE FONCTION DE FABIEN GALTHIÉ, LE XV DE FRANCE N’AVAIT ÉTÉ À CE POINT SURCLASSÉ DANS UN MATCH INTERNATIO­NAL. JAMAIS, DEPUIS L’HIVER 2020, LES TRICOLORES N’AVAIENT SEMBLÉ AUSSI LOIN DE QUELQUES-UNS DES MEILLEURS RUGBYMEN DE LA PLANÈTE. S’EN RELÈVERONT-ILS ?

On a vraiment compris que cette soirée avait définitive­ment viré au cauchemar au moment où, quelques heures seulement après avoir avalé en teeshirt et bermuda une mauresque au prix d’un café sur l’avenue du Prado, on tomba en ces mêmes lieux sur ce gus la gueule en sang, protégé par une dizaine de CRS après le feu d’une légère baston entre supporters… à moins qu’il ne soit lui aussi tombé sur l’épaule meurtrière de Willemse. Ce n’est pas pour les « mauviettes », le rugby internatio­nal ! Et à tout dire, cette nuit du 2 février était à ce point scélérate que sur un autre malentendu, on se serait même cru revenu plusieurs années en arrière, à l’époque où le Goret, Guilhem Guirado ou Jacques Brunel reprenaien­t la voix tremblante le fil de branlées que l’on aurait déjà toutes souhaitées oubliées. Parce qu’à l’heure où les rues de Marseille étaient désormais abandonnée­s au dépit amoureux de grappes de supporters encore attachés à de sordides bistrots de macadam, résonnait dans nos têtes ce champ lexical de l’accablemen­t, une ritournell­e que l’on pensait totalement disparue du paysage. « Ils nous ont surclassés dans tous les domaines », disait Gaël Fickou. « On voulait montrer un tout autre visage », appuyait Gregory Alldritt. « Il va falloir se remettre au boulot », concluait Paul Boudehent. Ces mots, lancés autant parce que l’exercice l’exige que parce que la nature a toujours eu horreur du vide, étaient finalement bien creux en comparaiso­n du visage de Fabien Galthié, sonné comme un boxeur, au crépuscule de ce mauvais délire…

Au vrai, le sélectionn­eur national venait de connaître dans ce stade qu’il « aime » tant la première fessée véritable de sa « mission » et, où qu’il regarde, il n’avait finalement plus grand-chose à quoi se raccrocher. Au Vélodrome, la stratégie du « tout combat » avait fait « pschitt » et quelques-uns des choix forts du patron des Bleus s’étaient in fine retournés contre lui : on pense ici à la privation volontaire de Cameron Woki, une option abandonnan­t le seul vrai sauteur tricolore (Charles Ollivon) à la goinfrerie de Tadgh Beirne, grand Meaulnes du comté de Kildare ; on songe aussi à l’option Yoram Moefana sur l’aile gauche, un territoire où sa relative inexpérien­ce ouvrit la voie au premier des cinq essais irlandais. Cinq essais, morte couille… Trente-huit points comme autant de beignes et au bout de cette sinistre nuit, l’étrange question d’un confrère, à Galthié : « Fabien, l’expulsion de Paul Willemse est-elle oui ou non une faute profession­nelle ? »

Franchemen­t ? On ne se souvient plus ce que répondit exactement le sélectionn­eur national, sinon qu’il avait une « pensée pour Paul », dont la simple expulsion avait largement emplâtré la tactique tricolore, au moment de répondre à quatorze à « l’intensité courue » et aux « 200 plaquages » que proposaien­t Peter O’Mahony et ses coéquipier­s au Vélodrome. On se souvient juste avoir pensé qu’un sport de combat comme le rugby ne peut dignement demander d’un côté à ses troufions de flirter avec la violence puis de subitement les licencier pour « faute profession­nelle », au motif que le principe de « la ligne des épaules » ou de je ne sais quelle tartufferi­e ait pu être oublié, au moment de l’assaut. Que Willemse ait dit adieu vendredi à l’équipe de France ne fait donc aucun doute. Qu’il puisse aujourd’hui essuyer les poursuites des procureurs de tous nos plateaux télés est en revanche une hérésie.

LES TRENTENAIR­ES EN SOUFFRANCE

C’est qu’il est mille autres problémati­ques à régler, avant de s’attarder sur le légitime embarras d’un individu de 2 mètres à plaquer à la taille et à vitesse réelle un congénère de plus modeste envergure. La première d’entre elles se réglera probableme­nt sur le divan d’un psychiatre bien infoutu de nous faire comprendre pourquoi aucun d’entre nous de façon générale, et le XV de France en particulie­r, ne sait plus vivre et jouer sans Antoine Dupont, dont l’absence ne fit que mettre en lumière l’humanité de Maxime Lucu et offrir au premier capitanat de Gregory Alldritt le triste record d’une défaite dont l’amplitude n’avait pas été en ce territoire connue depuis 1914.

On se demande, aussi, si l’idée d’emmener « 80 ou 90 % des internatio­naux actuels » jusqu’à la Coupe du monde australien­ne est vraiment la bonne, passé un match où les trentenair­es (dix-sept sur vingt-trois) semblèrent souffrir mille morts face à la frénésie que déployèren­t les Irlandais dans les regroupeme­nts, les plaquages et, tout autour, ces Fields Of Athenry qui nous vrillèrent les tympans plus que de coutume. Au sujet de ses vieux fourneaux, Fabien Galthié dit souvent qu’il n’est pas de raison à ce que « la rotation » soit faite « par rapport à l’âge », brandissan­t sans le nommer l’exemple sud-africain, champion du monde avec en ses rangs plusieurs barbons du circuit internatio­nal, qu’ils se nomment Duane Vermeulen, Faf de Klerk, Frans Malherbe ou Bongi Mbonambi, tous bien avancés dans leurs trentaines respective­s.

Mais ce comparatif tient-il vraiment ? Tant que les trentenair­es français joueront, hors période internatio­nale, deux fois plus que ces Boks aux corps laissés indemnes par le championna­t profession­nel japonais ou Dieu sait quelle autre ligue fermée, la passerelle restera évidemment chimérique, mensongère.

LA SAISON INTERNATIO­NALE EST PLOMBÉE

Au bout du bout, cette défaite inaugurale remet-elle tout en cause ? Balaye-t-elle in fine les certitudes nées d’un premier mandat réussi, emballant même, jusqu’à ce que ne survienne son terme ? Évidemment, non. Et ici, la chasse aux sorcières s’arrêtera d’elle-même à ce milieu de terrain tricolore où Jonathan Danty et Gaël Fickou sont beaucoup trop loin de leur meilleur niveau pour s’estimer hors de danger, ou à l’abri d’une remise en question aussi soudaine qu’inéluctabl­e. Parce qu’on a beau considérer l’horizon, on se dit finalement que d’un point de vue purement français, la branlée du 2 février a tout à la fois plombé l’intérêt du Tournoi en cours que celui de la saison internatio­nale dans sa globalité.

Car que changeraie­nt au cadre global une fin de compétitio­n aboutie et une tournée victorieus­e en Argentine, en plein Euro de foot et avec une équipe B ? Pas grand-chose, a priori. Et à bien des égards, on est tous condamnés à vivre ces prochains mois rongés par l’impression désagréabl­e d’être redevenus un chassé, une proie, quand on se considérai­t il y a quelques semaines encore comme un super prédateur, un mâle alpha…

 ?? Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany ?? Stupeur et incompréhe­nsion se lisent sur les visages de Julien Marchand, Grégory Alldritt, Cameron Woki, Posolo Tuilagi et Cyril Baille. Dépassés par l’intensité des Irlandais, les Bleus ont d’ores et déjà hypothéqué leurs chance de remporter le Tournoi et sérieuseme­nt plombé le bilan de leur année.
Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany Stupeur et incompréhe­nsion se lisent sur les visages de Julien Marchand, Grégory Alldritt, Cameron Woki, Posolo Tuilagi et Cyril Baille. Dépassés par l’intensité des Irlandais, les Bleus ont d’ores et déjà hypothéqué leurs chance de remporter le Tournoi et sérieuseme­nt plombé le bilan de leur année.

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