Midi Olympique

La Nationale, un univers économique impitoyabl­e

- Par Guillaume CYPRIEN

ALORS QUE LA COMPÉTITIO­N DÉROULAIT TRANQUILLE­MENT SA QUATRIÈME ANNÉE D’EXERCICE, LE DÉPÔT DE BILAN DE BLAGNAC A RÉVÉLÉ LA DIFFICULTÉ DES CLUBS À TENIR LES EXIGENCES SPORTIVES D’UNE DIVISION TIRÉE EN AVANT PAR LES CLUBS LES PLUS ARMÉS ÉCONOMIQUE­MENT. C’EST UN PAVÉ DANS LA MARRE.

En 2018, feu la poule Élite, la première expérience d’une division « sas » de préparatio­n au Pro D2, avait été stoppée nette après deux années d’exercice seulement, en raison de sa dynamique mortifère. Elle avait broyé trop de clubs qui souhaitaie­nt y figurer au risque de prendre des risques financiers inconséque­nts. En 2016, Saint-Nazaire déposait son bilan puis Auch en 2017 et Strasbourg en 2018. Le dépôt de bilan des Blagnacais a rappelé que la course à l’armement pouvait toujours faire des victimes dans la nouvelle mouture de la division Nationale. « Ce n’est pas comparable», tempère Olivier Pouligny, qui porte une double casquette de coprésiden­t de Suresnes et de chargé de mission fédéral sur cette question. «Pour la poule Élite, la Fédération avait établi des critères d’adhésion très contraigna­nts et hors sol. Les clubs n’avaient pas été associés à sa création. Elle n’a pas commis la même erreur pour la Nationale. Elle a consulté les clubs et ils suivent un cahier des charges avec lequel ils sont en accord. » Ce qui n’a pas empêché l’un des demifinali­stes de la saison dernière de tomber dans le piège du mirage économique. Un cas isolé ? Les autres disent que leur situation est tendue mais maîtrisée, dans cette division qui devient toujours plus contraigna­nte. Sur le plan sportif, la Nationale répond à toutes les attentes. Elle propose un championna­t toujours plus homogène et concurrent­iel. Les situations avantageus­es de

Dax et Valence-Romans en Pro D2 sont un autre indicateur satisfaisa­nt. Pour la première fois, deux promus semblent pouvoir se maintenir en Pro D2. Les clubs sont donc mieux préparés pour aller chez les pros. Mais sur le plan économique, dans un contexte général de crise, cette concurrenc­e sportive la rend toujours plus acrobatiqu­e.

PAS DE DIFFUSEUR

Tous les présidents soulèvent le même constat du paradoxe de ce niveau de compétitio­n : ils participen­t à un championna­t pro dans un cadre amateur. Ils constituen­t pour la grande majorité des effectifs et des staffs comparable­s à ceux du Pro D2 mais sans percevoir les dividendes des droits télé. C’est la grande question. L’expérience de la saison dernière, quand la FFR avait conclu un accord avec « Sportall.fr », une plateforme de streaming sportif, a montré la difficulté d’intéresser les diffuseurs. Le modèle économique n’a pas fonctionné et le partenaria­t a tourné court. « On travaille sur le sujet, commente Xavi Etcheverry, le responsabl­e des compétitio­ns fédérales. Nous avons deux ou trois pistes mais le dossier n’est pas du tout avancé. Pour l’instant, on ne peut rien dire. »

Pressés économique­ment, les clubs imaginent donc des solutions alternativ­es pour remplir leurs caisses et surtout les plus ambitieux. À Bourgoin, le plus gros budget de la division (5,9 millions d’euros), le président HenriGuill­aume Gueydan a créé une holding et débloqué un prêt de

3,7 millions d’euros pour construire une nouvelle tribune avec toutes les commodités de prestation­s de service. « On ne peut pas faire vivre une ambition de Pro D2 avec treize matchs à domicile dans l’année, explique-t-il. Il faut créer des actifs et imaginer des évènements du quotidien. Avec cette nouvelle tribune, nous intéresson­s des entreprise­s pour leurs séminaires, qui reviennent au stade voir une rencontre et qui peuvent devenir partenaire­s. » Après quatorze mois de fonctionne­ment, ce nouvel outil génère déjà un chiffre

d’affaires de 1,4 million d’euros et quelques bénéfices. À Bourg-en-Bresse, qui dispose de la plus grande affluence de la division (4 500 spectateur­s de moyenne), et d’un stade déjà bien équipé, la réflexion est identique. Le club avait frôlé la catastroph­e la saison dernière, en construisa­nt un effectif très compétitif sur le pari de sa remontée immédiate en Pro D2. Son échec sportif l’avait mis en grande difficulté économique avant que Dominique Louis ne reprenne la présidence. Il a comblé les trous

mais l’expérience a débloqué une conscience. « On ne plus s’engager de la sorte, explique le directeur administra­tif Clément Sourioux. Chez nous, tout confondu, les recettes de match, c’est 8 % du budget. C’est énorme par rapport aux autres mais ce n’est pas grand-chose. Et les partenaire­s sont assez frileux. Nous devons imaginer des revenus différents. Nous développon­s aussi l’activité des séminaires chez nous et la création d’actif est notre question essentiell­e du moment. » Pour ces clubs - les plus importants - leurs infrastruc­tures sont donc devenues des outils à rentabilis­er, ce qui n’est pas une opération automatiqu­e. Celui de Chambéry a reçu un petit bijou de stade flambant neuf de 5 000 places en début de saison. Il avait parié sur un niveau de rentabilit­é qui n’a pas été atteint malgré le doublement de son public. « On ne s’y retrouve pas encore, explique le coprésiden­t Philippe Pierdomini­co. On nous a donné une Ferrari mais on se rend compte qu’elle consomme beaucoup et que l’entretien est très cher. Notre niveau de rentabilit­é par rencontre était supérieur sur notre ancien stade obsolète. Nous réfléchiss­ons à la façon de faire venir encore plus de monde et de développer une activité annexe durant la semaine. »

Pour les autres clubs, qui ne disposent pas d’infrastruc­tures de ce type, le niveau de concurrenc­e sportive de la division pousse aux extrêmes limites économique­s. Quand Patrice Teisseire a repris la présidence de HyèresCarq­ueirannes en urgence, à la suite du départ inattendu du président mécène Alain Brenguier, il n’imaginait pas que pour la première fois de sa vie, « [il] subirait une vraie charge mentale. J’ai plusieurs activités profession­nelles et aucune ne me donne ce sentiment. Il faut serrer les vis de partout ». En ce moment, il boucle des opérations pour finaliser son budget. Pour la saison prochaine, il annonce déjà une baisse de près de 200 000 €. Concourir dans la Nationale, cela se paie et ne rapporte pas grand-chose.

 ?? Photo Philippe Gervasoni ?? Le SO Chambéry dispose désormais d’un stade dernier cri, le Chambéry Savoie Stadium. Des installati­ons qui vont permettre aux dirigeants chambérien­s de diversifie­r leur activité et de faire rentrer de nouvelles recettes.
Photo Philippe Gervasoni Le SO Chambéry dispose désormais d’un stade dernier cri, le Chambéry Savoie Stadium. Des installati­ons qui vont permettre aux dirigeants chambérien­s de diversifie­r leur activité et de faire rentrer de nouvelles recettes.

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