Midi Olympique

Barry John, l’homme qui n’aimait pas la gloire

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

BARRY JOHN NOUS A QUITTÉS À 79 ANS. EN SIX ANS DE CARRIÈRE INTERNATIO­NALE, IL A LAISSÉ UNE EMPREINTE INDÉLÉBILE PAR SON SENS DU JEU ET SA FLUIDITÉ. MAIS SA PROPRE CÉLÉBRITÉ LE RENDAIT TRISTE. IL PRÉFÉRA TIRER SA RÉVÉRENCE À 27 ANS, FAISANT FI DE TOUS LES EXPLOITS QU’IL AURAIT PU OFFRIR AU PAYS DE GALLES ET AU RESTE DU MONDE.

I «l jouait comme dans de l’huile. » Un confrère plus âgé, Denis Lalanne, nous avait offert cette métaphore alors qu’on l’interrogea­it sur ce nom qui hantait les récits de notre enfance. Barry John (et non John Barry, premier mari de Jane Birkin), ce nom claquait à nos oreilles avec un petit avantage personnel, un prof d’anglais de notre connaissan­ce échangeait durant l’été sa maison avec son beau-frère. Enfant, le vertige de se sentir, trente ans avant Facebook, à trois « amis de distance » de Barry John, nous étreignait.

Il faut comprendre qu’on disposait de peu d’images, à l’époque, et que le mythique ouvreur gallois était peu adepte de l’exercice médiatique : il avait arrêté sa carrière en 1972 à 27 ans, après seulement six saisons internatio­nales et 25 capes.

Il ne supportait plus la servitude de sa célébrité, les compliment­s dont on l’abreuvait. Un jour, alors qu’il était en plein travail dans une banque, un de ses clients lui avait fait une révérence. Il avait trouvé ça démesuré et presque effrayant : l’ouvreur n’avait pas la même personnali­té que son éternel complice à la mêlée, Gareth Edwards.

Alors, il avait tiré le rideau, visiblemen­t sans regret. Le pire, c’est qu’il avait joué à une époque où la télé restait encore un peu discrète, les images ne se diffusaien­t pas d’une façon virale. Depuis la

France en tout cas, on ne captait que des scènes furtives d’un joueur fluet qui jouait en levant la tête. Notre collègue vétéran avait ajouté : « il incarnait la justesse. » Barry John avait touché le Graal à l’été 1971, quand il était revenu de la tournée victorieus­e des Lions en Nouvelle-Zélande, la Coupe du monde de l’époque. Elle suivait le premier grand chelem gallois depuis 19 ans. Sa popularité était telle qu’elle lui inspira cette sentence : « J’ai connu trois vies : celle de père de famille, celle d’employé de banque et enfin, celle de pop star. »

IL CAUSAIT DES EMBOUTEILL­AGES

Il disait ça sans forfanteri­e, par honnêteté pure, soulignant les inconvénie­nts d’être une célébrité dans un sport amateur. Il recevait des sacs entiers de courriers, il ne réservait pas de tables au restaurant sous son vrai nom. Dans un pub, il se voyait immédiatem­ent entouré de six clients qui le bombardaie­nt de questions.

« Un jour, j’ai causé un énorme embouteill­age sur Queen Street à Cardiff. J’attendais au feu pour traverser. Un mec est sorti de sa voiture sans couper le moteur pour me serrer la main, puis un autre, et un autre. » Après l’affaire de la révérence, il parla du monstre de la célébrité. L’annonce de son retrait lui avait été payée 7 000 livres par le Sunday Mirror, mais le chef du service des sports lui avait demandé à titre personnel de renoncer à se retirer des terrains…

Le journalist­e aurait alors perdu le plus beau scoop de sa carrière. Une fois l’article sorti, une dame âgée, dont le balcon donnait sur l’Arms Park, proclama qu’elle donnerait les jours qui lui restaient à vivre pour le faire revenir sur les pelouses.

Barry John n’a peut-être pas créé le mythe de l’ouvreur gallois, Cliff Morgan l’avait sûrement précédé. Mais ce dernier, devenu commentate­ur réputé, aimait jurer par modestie qu’il avait de ses yeux vus un écriteau qui stipulait : « Entrée : deux livres ; si Barry John joue, dix livres ».

« PERSONNE AU MONDE N’A VU LE MEILLEUR DE BARRY JOHN »

L’histoire de Barry John est d’abord celle d’un talent un peu trop grand pour lui. « J’aurais aimé jouer trois ou quatre ans de plus mais je n’aimais pas les sollicitat­ions, j’avais aussi un boulot à assumer. et même au bureau, c’était le chaos. » Il fut la première super star du rugby, un peu à l’égal du footballeu­r George Best, son contempora­in, mais il n’avait pas sa mégalomani­e et son sens de la jouissance. Même au faîte de sa carrière, ceux qui le fréquentai­ent le disaient malheureux. Il n’était qu’un gars venu d’un village de l’ouest du pays, Cefneithin, même pas sélectionn­é au niveau scolaire pour le pays de Galles. Un ancien internatio­nal devenu son prof de collège, Ray Williams, le dirigea vers Llanelli et lui fit prendre conscience de ses possibilit­és. C’était en janvier 1964.

En 1966, il fit ses grands débuts sous le maillot national, pour six ans seulement et son dernier match contre la France, à Cardiff, pour une ultime victoire (20-6) avec quatre pénalités de sa part, ce qui lui permit de battre le record de points que détenait Jack Bancroft depuis 60 ans.

La fin brutale de son parcours personnel épousa un autre « coitus interruptu­s », le refus par la fédération d’envoyer la sélection jouer le dernier match du Tournoi à Dublin à cause des événements politiques. Barry John fut donc privé d’un second grand chelem consécutif possible.

Les premiers hommages rappellent ses drop-goals impeccable­s, ses statistiqu­es de buteur, mais les chiffres ne disent rien de ce que ressentaie­nt les spectateur­s et ses adversaire­s comme Pierre Villepreux : « C’était un créateur pour lui-même et pour les autres. Son temps d’anticipati­on était extraordin­aire, il évoluait dans un mode prédictif. Il comprenait le jeu, comme tous ceux qui méritent d’être appelés « grands joueurs ». Il savait lancer des attaques, s’échapper comme contre nous à Colombes en 1969 pour filer entre les poteaux. Mais il n’avait pas les crochets fulgurants de son successeur Phil Bennett. » Villepreux poursuit encore : « Je me souviens d’une anecdote : à Cardiff, il y a eu une énorme bagarre après une faute française. Tout le monde se battait sauf Barry et moi. On s’est mis à discuter. Il m’a demandé, comment je faisais pour taper comme un footballeu­r, je lui ai dit deux ou trois trucs. Quand la bagarre s’est terminée, il a tenté le coup de pied, à ma manière et il l’a mis. »

Le plus bel hommage fut peutêtre celui de son ancien coéquipier Mervyn Davies : « Il approchait son zénith et il a tout arrêté. Personne au monde n’a vu le meilleur Barry John. »

 ?? Photo Icon Sport ?? Barry John durant la tournée des Lions en 1971 en Nouvelle-Zélande. Le moment le plus glorieux de sa carrière. Le demi d’ouverture gallois menait une vie d’employé de banque et se sentit dépassé par son incroyable popularité. Il rangea ses crampons à 27 ans. .
Photo Icon Sport Barry John durant la tournée des Lions en 1971 en Nouvelle-Zélande. Le moment le plus glorieux de sa carrière. Le demi d’ouverture gallois menait une vie d’employé de banque et se sentit dépassé par son incroyable popularité. Il rangea ses crampons à 27 ans. .

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