Midi Olympique

Vers la quête d’un rugby plus riche

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Dans le rugby de haut niveau actuel, on tend à expliquer les résultats (bons ou mauvais) par la capacité d’un collectif à imposer le combat corporel dans toutes les « situations de collision » que propose le jeu. Cette facette traduite par « gagner les impacts » reste l’explicatio­n première de la performanc­e globale. Mieux, cela s’avère être une option mentale motivante pour créer un ciment permettant le dépassemen­t individuel et collectif. On est loin de l’affronteme­nt « pacifique », même si viril, que les règles fondatrice­s du rugby doivent générer. En plus, quand la victoire est au rendez-vous, avec les émotions procurées, s’appuyer sur ce levier peut contribuer à déclasser les composante­s tactiques et techniques qui réclament d’autres exigences et ressources : celles où il convient de décider d’agir, et au bon moment. Et elles doivent rester les priorités d’enseigneme­nt du jeu des plus jeunes, comme du perfection­nement au plus haut niveau. À ce jour, le développem­ent de la force et de la vitesse chez tous les acteurs du jeu est incontourn­able. Mais ce travail se doit d’être à la dispositio­n du jeu, de son intelligen­ce et de l’esprit qu’est censé générer les règles. Gagner, oui. Mais le comment est savoureux quand il s’exprime dans le jeu et par le jeu. Il faut également savoir sortir de ce qui est raisonnabl­e en jeu, et donc d’accepter les risques. La liberté d’initiative se doit d’être maximale, si on accepte que la performanc­e humaine s’affirme beaucoup mieux dans des domaines sortant des objectifs imposés par une stratégie contraigna­nte.

Le match France - Irlande était attendu pour toutes les raisons qui n’ont pas manqué d’être évoquées. La stratégie de choisir, selon la formulatio­n nouvelle, « l’intensité combattue » (donc un défi particulie­r), a pu rendre les joueurs des exécutants et forcément moins des créateurs. Le rugby pour gagner, quels que soient les styles, réclame un engagement maximal. Or, les Bleus ont été dominés dans tous les compartime­nts, et d’abord dans le volume du jeu de mouvement, ce que les Anglo-Saxons appellent depuis des décennies le

« ball in play ». Les statistiqu­es montrent que les séquences de jeu collectif avec des alternance­s de formes et le nombre de passes des Verts ont été très largement à leur avantage.

Les Irlandais ont été fidèles à leur rugby. Ce n’est pas un jeu abusivemen­t structuré, mais un bon compromis entre jeu programmé et jeu adaptatif qui les amène à affronter avec efficacité mais aussi à jouer avec justesse dans les intervalle­s ; ce qui n’a pas manqué de brouiller les cerveaux tricolores, aggravant au fil du match les incertitud­es sur le comment les réduire. Ainsi, la France n’a pas eu de solutions à proposer sauf en de rares occasions réactives. Je n’entrerai pas dans le ciblage des carences constatées dans des secteurs précis du jeu qui ne sont que des épiphénomè­nes facilement améliorabl­es. Cette défaite et ce Tournoi doivent servir à aller dans la quête d’un rugby plus riche, plus entreprena­nt, à même d’exploiter d’autres ressources, et ainsi contribuer à une améliorati­on de la cohérence de notre jeu collectif. L’opportune contributi­on de toutes les lignes à un jeu plus volumineux, plus coordonné entre les jeux du porteur de balle et des soutiens -proches ou lointains- reste d’actualité. Ce qui ne peut se faire que si l’on conçoit la constructi­on du jeu mouvement comme une priorité dans la constructi­on du joueur, individuel­lement et collective­ment.

Ceci permettra de concilier la cohérence de l’organisati­on collective -qui ne doit pas être trop prégnante- et la non moins nécessaire liberté d’action des joueurs. Il s’agit donc bien d’un compromis entre intentions tactiques communes, comprises comme des effets à produire collective­ment sur la défense qui se déploiera sur le jeu décisionne­l de chacun. Bref, c’est toute une communauté d’appartenan­ce à un jeu et à son esprit qui doit se développer grâce à une toujours meilleure lecture du jeu collectif permettant d’articuler les dimensions tactiques et techniques. Une ambition que le potentiel des joueurs français autorise à mes yeux.

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