Midi Olympique

Épate par étape

- Par Yanis GUILLOU*

NICOLAS DEPOORTERE - CENTRE DE BORDEAUX-BÈGLES APPELÉ AVEC LE XV DE FRANCE UN AN SEULEMENT APRÈS SES DÉBUTS EN TOP 14, LE JEUNE NICOLAS DEPOORTERE N’EN FINIT PLUS D’IMPRESSION­NER. LE CENTRE DE L’UBB A ENCORE ÉTÉ TONITRUANT, CE SAMEDI FACE AU RACING 92. PORTRAIT D’UN PHÉNOMÈNE AVEC LA TÊTE SUR LES ÉPAULES.

Imaginer un gamin de 21 ans déloger de leur place de titulaire en sélection des joueurs comme Gaël Fickou ou Jonathan Danty n’est pas anodin. C’est pourtant ce qui est attendu concernant Nicolas Depoortere. Si jeune mais si talentueux, le Girondin connaît ses premières apparition­s dans le groupe des Bleus à Marcoussis, lors de ce Tournoi des 6 Nations 2024. Une réalité folle, lorsqu’on sait qu’il y a seulement un an, le centre de l’UBB était totalement inconnu du grand public et découvrait le Top 14 avec un succès arraché sur la pelouse de La Rochelle.

Un « Ovni » à la Galthié ? Pas vraiment. Difficile, même, de faire plus scolaire que le parcours de l’ancien capitaine des moins de 20 ans, champion du monde l’été dernier. Aussi précoce soit-il, Nicolas Depoortere n’a jamais brûlé les étapes. « Nico a pris le temps de se former. Il a joué le Tournoi des 6 Nations moins de 20 ans et plusieurs matchs avec Bordeaux-Bègles avant de devenir un des leaders charismati­ques de notre équipe championne du monde, puis de faire un gros début de saison avec son club… » retrace Benoît Baby, qui a été son entraîneur chez les Bleuets. « C’est une constructi­on normale d’un joueur de 20 ans et il ne faut pas pousser des joueurs comme cela à griller les étapes ». La constructi­on du bonhomme est en fait à l’image de ce qu’il est : « un mec cool », comme le décrit son frère. Troisième ligne et capitaine de Lormont (Fédérale 2), Jules Depoortere est l’aîné de la fratrie. Très proche de son cadet, qu’il voit souvent, il est peut-être celui qui le connaît le mieux. Il poursuit : « Comme on peut le voir sur ses avant-matchs, c’est un mec qui ne se prend pas la tête et qui la garde bien sur les épaules. Il a beaucoup travaillé pour être là et il sait qu’il doit encore beaucoup travailler pour atteindre ses objectifs. Il vient me voir le dimanche quand je joue et quand nous n’avons tous les deux pas de match, nous partons voir jouer le club d’Izon, là où nous sommes formés. » Proche de ses racines girondines, Depoortere rend régulièrem­ent visite à son club formateur, qui se situe dans la commune voisine de la maison familiale. Il a d’ailleurs offert un de ses premiers maillots de l’UBB et de l’équipe de France moins de 20 ans au club izonnais. Quant à son tout premier maillot bleu, il est, lui, destiné à son premier éducateur, Jean-Luc Deloche. « Je l’ai entraîné à partir de la deuxième année des moins de 9 ans et jusqu’à la deuxième année moins de 14 ans, où Nicolas et mon fils Pierre-Antoine, qui est un de ses meilleurs amis, sont partis à Bègles », présente ce dernier.

UN PHÉNOMÈNE DEPUIS L’ENFANCE

La volonté du CABBG de le recruter n’était d’ailleurs pas une surprise. « Depuis petit, mon frère a toujours été plus rapide, plus grand et plus fort que les autres, se souvient Jules. Tu voyais qu’il faisait une tête de plus que les autres à chaque fois. D’ailleurs, papa et maman ont fait un choix entre nous deux sur ce plan-là puisqu’il fait 1, 94 m et moi, seulement 1, 80 m ! (rires) » Jean-Luc Deloche se remémore aussi ces années où il fut chaque entraîneme­nt impression­né par les qualités d’un diamant brut, qui ne demandait qu’à être poli. « Cette équipe-là était vraiment très forte donc je me suis régalé pendant 7 ans, se marre l’éducateur. Je ne sais pas si c’est moi qui apprenais aux enfants ou si ce sont eux qui m’ont tout appris ! Ils ne faisaient que gagner et Nicolas était évidemment le meilleur joueur. Tous les parents s’inquiétaie­nt dès qu’ils le voyaient. Il était déjà connu ! L’essai qu’il marque contre Toulon, récemment, il fait ça depuis tout petit ».

Conditionn­é, Depoortere l’a surtout été par son frère, avec lequel il a passé des après-midi entières à jouer au rugby pour apprendre les rudiments d’un sport si exigeant. « Il a commencé le rugby parce que j’ai fait du rugby, raconte l’aîné. Il venait à mes premiers entraîneme­nts avant de s’inscrire. Quand nous étions petits, nous allions toujours au stade de Vayres, là où nous habitions, pour s’entraîner à faire des passes et à plaquer pendant des heures. Tout ce que j’ai fait, il le faisait avec moi pour progresser. Nous allions aussi faire des touchers avec un ami qui s’appelle Allan et son petit frère. À Vayres, il n’y avait que ça à faire de toute façon ! » Ledit Allan ne manque d’ailleurs pas de se marrer en évoquant ces souvenirs : « Je me rappelle encore lui mettre des cadrages débordemen­ts le mercredi après-midi. Le voir à la télé aujourd’hui, ça fait toujours quelque chose ». Blague à part, ces après-midi de travail ont énormément apporté au jeune Nicolas. « Il revenait à l’entraîneme­nt le mercredi en disant : « Jules m’a appris ça en plaquage », et il me démontait tout le monde ! témoigne Jean-Luc Deloche. Je voulais même qu’il joue troisième ligne mais nous avions dit, avec son père, que nous allions le laisser au centre pour qu’il continue à galoper et à améliorer son bagage technique. Je ne supporte pas ces centres monstrueux physiqueme­nt mais qui ne savent pas faire une passe. »

C’est sur ce rythme effréné que Nicolas a donc traversé tous les terrains de France avant d’aller à Bègles. Rive gauche de la Garonne, il a connu le seul coup de mou de sa carrière, en cadets, lorsqu’il évoluait avec Hugo Reus (surclassé d’une année) et Charles Laloi. Comme ce dernier jouait au centre, Depoortere a glissé à l’aile. Cela fut assez dur pour lui. Prenant son mal en patience, il a finalement surmonté cette épreuve pour mieux exploser l’année d’après, en Crabos.

UN LEADER EN DEVENIR

Le garçon a du mental. « Il a beaucoup de chance parce qu’il est super bien entouré. Ses parents lui ont donné les vraies valeurs de travail et de sérieux », reconnaît Deloche. Ses valeurs, elles sont saluées dans toutes les équipes qu’il a connues, en particulie­r au sein d’une sélection équipe moins de 20 ans dans laquelle il a été capitaine. « C’est un gros bosseur qui est capable de répéter les efforts avec beaucoup d’intensité, souligne Benoît Baby. Avec nous, c’était un monstre en puissance. Nico, c’est un mec simple, très humain et rigolo. Il s’est construit dans le travail et dans la volonté de prendre du plaisir. » Un état d’esprit là aussi lié à l’éducation : « On nous a appris à aborder les matchs sans se mettre la pression, confirme son frère Jules. Il sait se concentrer en étant détendu ». Son travail amène ainsi une progressio­n et la progressio­n entraîne l’ambition.

Avide de feuilles de match dès qu’il débarque chez les pros de l’UBB, il n’hésite pas à montrer sa volonté auprès de ses entraîneur­s de l’époque. Mais ici aussi, la patience fut la meilleure des choses. Frédéric Charrier, ancien coach des trois-quarts de l’UBB, a pris de son temps pour le rassurer : « On l’avait pris pour un stage de début de saison préparatoi­re à un match amical, pour lequel il n’était pas dans le groupe. J’avais senti une grosse déception et il était venu me voir pour me demander des explicatio­ns. Je lui ai dit : « Écoute, Nico, tu viens juste d’intégrer le groupe ; sois patient ». J’avais pris l’exemple de Louis Bielle-Biarrey, qui avait intégré le groupe en 2021. J’ai senti qu’il avait vraiment envie de jouer rapidement. Il a eu une opportunit­é et il l’a saisie pour ensuite décoller. Nicolas est formaté pour le très haut niveau, il ne se contente pas de faire les entraîneme­nts ».

Ce début d’expérience bordelo-béglaise était entrecoupé par la belle aventure avec l’équipe de France des moins de 20 ans. Chez les Bleuets, Depoortere a commencé à se comporter en leader pour agrémenter sa palette. « C’est important d’être un leader avec les moins de 20 ans pour prendre un maximum de confiance et franchir un palier, argumente Charrier. C’est ce qu’il a fait. Il était capitaine pendant le Tournoi et quand il est revenu en club, il avait pris un peu plus d’épaisseur. Il a été capable de se mettre au niveau et de devenir un joueur intéressan­t en passant devant tout le monde ! Sur la fin de saison, il faisait partie des titulaires du club ».

Être un guide de vie et de vestiaire a tout de même pris du temps à celui qui n’était encore qu’en constructi­on. La responsabi­lité qui lui incombait amenait une certaine pression, difficile à assumer pour un joueur peu expressif à la base. « Nous avons mis Nico capitaine très rapidement mais il s’est un peu perdu dans son rôle, assure

Benoît Baby. À réfléchir à ce qu’on va dire à l’équipe, on en oublie parfois de penser à soi. Il y a des joueurs qui sont leaders de jeu par le charisme mais qui ne sont pas les meilleurs communican­ts. L’avoir sorti de cette responsabi­lité, tout en le laissant dans un rôle de vice-capitaine lui a permis de comprendre l’importance de se concentrer sur soi-même tout en ayant la capacité de communique­r. Plus tard, Nico sera un grand capitaine parce qu’il a appris à se construire. Il a cette capacité de transcende­r les autres par ce qu’il fait, pas forcément par ce qu’il dit. » Désormais, il n’est plus rare de le voir haranguer ses coéquipier­s à l’échauffeme­nt ou dans le vestiaire, sous le maillot de l’UBB. Un aspect qui surprend encore son entourage.

BIENTÔT EN BLEU ?

Désormais, c’est du côté de Marcoussis qu’il poursuit ses classes. Là, aux côtés des meilleurs joueurs de l’Hexagone, il parfait son rugby et continue sa formation, dans le meilleur des cadres, avec l’espoir de vite porter le maillot frappé du coq chez les grands. « Je ne voudrais pas que ça aille trop vite non plus, tempère Jean-Luc Deloche. Je savais que c’était un diamant, mais tout va si vite… Vous savez, je le considère comme mon fils et mes enfants me le reprochent. J’ai pleuré quand il était en moins de 20 ans, quand il était champion du monde… Je pleure tout le temps avec lui. » Son grand frère Jules a, lui, du mal à cacher sa fierté : « Il nous surprend encore… Il est mon petit frère, donc c’est toujours bizarre de le voir jouer presque tous les week-ends et même être appelé en équipe de France. Il faut qu’il travaille pour avoir cette fameuse sélection en bleu. Mais, j’en suis sûr, ça va payer. »

D’un côté technique puis philosophi­que, Benoît Baby confie pour sa part voir en Depoortere un symbole du rugby tricolore et surtout de la compétence de la filière de formation française : « Le jeu que l’on imprime en moins de 20 ans et celui que produit l’UBB lui correspond­ent bien. Il s’épanouit et c’est la récompense de tous les efforts qu’il a fournis. Nicolas est une des belles récompense­s que le rugby français peut avoir : un mec qui était inconnu en moins de 17 ans, qui s’est construit avec son club et l’équipe de France ».

« Depuis petit, mon frère a toujours été plus rapide, plus grand et plus fort que les autres » Jules DEPOORTERE Le frère de Nicolas

« Il est une des plus belles récompense­s que le rugby français peut avoir » Benoît BABY Entraîneur des trois quarts de l’équipe de France des moins de 20 ans.

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