Midi Olympique

Canal historique

- Léo FAURE leo.faure@midi-olympique.fr

On comprend bien cette envie, d’attirer au rugby de nouveaux diffuseurs et, si possible, un nouveau public dans son sillage. Un filon où les logiques du marché et de la concurrenc­e tireraient tous les chiffres vers le haut, faisant ruisseler l’or dans les trésorerie­s de nos clubs. À ce sujet, tous les voyants – ou presque - sont au vert et c’est sûrement le bon moment pour renégocier les droits. Mais, pour ce qu’on en perçoit, la quête recèle aussi un risque assez sérieux. C’est ce que nous dit l’Histoire dont on devrait toujours apprendre, en rugby comme ailleurs.

Sur son chemin de folies et de grandeurs, le football français s’était nettement perdu et même sabordé, au jour de 2018 où il pensait pourtant avoir décroché la timbale du milliard. Des droits de diffusion à 10 chiffres, certes, mais confiés à une entreprise Mediapro inconnue, hors sol, pour une chaîne télé encore à créer et des abonnés alors au nombre de 0. Tout était à construire, tout s’est effondré. Et le football français perdait alors très gros, d’autant que la rupture de confiance avec ses diffuseurs historique­s (Canal et BeInSports) était consommée, pour faits de haute trahison. Il en paye toujours encore le prix fort, que ce soit dans la conduite de ses négociatio­ns ou sa visibilité en berne.

En d’autres temps, le basket français s’était aussi essayé à pareille chose. Un nouveau diffuseur (TPS), la promesse du jackpot et des rêves américains. Raté. Le choix osé de l’aventure nouvelle conditionn­erait dès lors son développem­ent à long terme, en France.

C’est ici que l’on en vient au rugby, et à la séquence d’appel d’offres que la LNR a décidé de lancer sans attendre, concernant la période 2027-2031. Où l’on a bien vite entendu parler de licornes et de contes de fées, de nouveaux acteurs (DAZN, Amazon, Meta…). Soit des poules aux oeufs d’or qui pourraient hypothétiq­uement venir asseoir notre rugby sur un trésor.

La question n’est même pas de savoir s’il y a un fond de concret derrière ces bruits de couloir : elle est de savoir si le rugby en sortirait vraiment grandi ou si, aveuglé par les dollars, il ne serait pas en train de se mettre en péril.

Ici, on penche clairement pour le deuxième scénario. Le risque, c’est l’appât d’un gain immédiat au détriment de la notoriété, de la visibilité, de la popularité. Celles qui attirent les partenaire­s, le public et qui, in fine, constitue notre butin. Celles qui durent, qui pérennisen­t et sur lesquelles on peut construire.

Le risque, ce serait aussi de faire exploser le fragile équilibre d’un rugby mondial aux finances souvent exsangues, et pour le moins disparates. Déjà dominant, presque hégémoniqu­e, le Top 14 veut encore faire grossir son gâteau. Dans quel but ? Sécuriser son modèle ambitieux, c’est une évidence et il a raison. S’ouvrir de nouvelles perspectiv­es de développem­ent, aussi. Une aubaine, à condition de bien en maîtriser les impacts : derrière des droits TV à la hausse, il ne faudrait pas que se cachent des salaires à nouveau inflationn­istes et, bientôt, un salary cap à étendre pour contenter les appétits de tous. En bref, une franche dérégulati­on à l’échelle planétaire que redoutent toutes les autres nations et contre laquelle la FFR s’était engagée à lutter, en octobre dernier.

À vouloir manger tout le gâteau, le rugby français se retrouvera­it un jour seul, sur sa planète dorée, sans concurrenc­e à la hauteur de ses finances. Ce qui ne serait bien ni pour lui-même, ni pour son sport en général. Parce que tout n’est pas qu’une question de profits immédiats, on peut aussi penser que le rugby français gagnerait à choyer son lien affectif avec Canal +, son diffuseur historique. Celui qui lui a tant donné, depuis tant d’années, et qui a fait de lui une super puissance. Pourvu que ça dure. Des rapports de confiance pour un développem­ent contrôlé, ça vaut aussi tout l’or du monde.

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