Modele Magazine

CINÉMA « DUNKERQUE » J’y étais !

Tout commence par un coup de téléphone en avril 2016: « Salut Yann, c’est Michel. Je suis en contact avec un ami qui cherche des pilotes modélistes pour un tournage de film américain à Dunkerque. Il y aura des Stuka, des Spitfire et des Me-109 à piloter s

- Texte :Yann Moindrot Photos :Yann Moindrot, D.R

Le film Dunkerque, qui s’annonce comme un des best-sellers de l’été, a été réalisé par Christophe­r Nolan. Cet Anglais a signé plusieurs grands films à succès comme Inception (avec Leonardo Di Caprio), Interstell­ar (avec Matthew Mc Conaughey) et plusieurs Batman… « Dunkerque » est notamment produit par la société hollywoodi­enne Warner Bros. Vous l’aurez compris, c’est une très grosse production, et le budget du film est de 150 millions d’euros ! Le casting est principale­ment anglais :Tom Hardy, Mark Rylance, Cillian Murphy, Kenneth Branagh et Harry Styles.

Ce film parle de l’opération Dynamo, lorsque, en 1940, Anglais et Français ont embarqué pour rejoindre l’Angleterre après l a débâcle de l’armée française. Les principale­s scènes de tournage se sont faites à Dunkerque, dans la ville et sur la plage, mais également en Hollande, en Angleterre et dans les studios d’Hollywood (du moins ce sont les infos dont je disposais au moment du tournage…).

Les décors ont principale­ment été réalisés par des Français, dans un bâtiment de 5 000 m². L’office de tourisme, énorme édifice moderne situé en bord de plage, a par exemple été transformé pour l’occasion en usine de ciment. De nombreuses rues ont été modifiées pour les faire ressembler à ce qu’elles étaient en 1940. Un ponton/embarcadèr­e a été reconstrui­t en bois et explosé pour le film. Un destroyer/musée a été ramené de Nantes par remorquage (4 jours de voyage) car il n’a plus de moteur. Un bateau civil hollandais a été maquillé en navire-hôpital et il sera (faussement) coulé. Il y avait également deux bateaux hollandais maquillés avec des faux canons. Côté plage, il y a eu jusqu’à 1 200 figurants présents en même temps…

« Dunkerque » a été tourné avec des caméras Imax qui permettent de filmer des images plus larges et de meilleure qualité. J’ai entendu parler de 800€, chaque bobine permettant de filmer 3 minutes… En sachant que chaque scène est filmée trois fois, afin d’être sûr d’en avoir une de bonne, je vous laisse imaginer le budget !

Ce type de format coûte très cher à retoucher pour des effets spéciaux. C’est a priori pour cette raison qu’il a été décidé d’utiliser des modèles réduits plutôt que des images de synthèse. Évidemment, quelques avions réels ont été requis pour le film : Spitfire, Me 109, etc. Mais pour les avions n’existant plus en état de vol, notamment les Stuka, des modèles RC ont été utilisés. Autre cas où le modèle réduit s’est imposé : lorsqu’il était nécessaire de voler à basse altitude, près des acteurs ou des figurants.

Nous étions cinq pilotes français à postuler, sachant que la production en aurait besoin de quatre à cinq. Un des Français s’étant désisté, nous n’étions donc plus que quatre candidats. Puis on nous a appris qu’il y aurait deux pilotes américains, sans que l’info soit confirmée. On verrait bien…

On nous annonce qu’une quarantain­e d’avions ont été prévus, rien que pour le tournage en France. Ils ont été montés aux USA. Il y a des Stuka de 2,8 m, des Me-109 de 2,2 m et des Spitfire de 2,8 m. Ils sont nombreux car il y a du « rechange » (pas question de faire attendre l’équipe de tournage, un avion RC ne coûte pas bien cher à côté du coût horaire d’une équipe complète…) et il faudra en crasher plusieurs pour les besoins du film. Finalement, seuls quelques-uns de ces avions sont là (une vingtaine tout de même !), les autres étant bloqués en douane dans leur conteneur au moment où j’étais présent…

ESSAIS MOUVEMENTÉ­S

À mon arrivée sur le casting, qui a lieu sur une piste d’aéromodéli­sme (car il faut bien sûr montrer ses compétence­s en vol), c’est la douche froide : deux pilotes américains se présentent à nous et nous expliquent qu’ils n’ont besoin que d’un pilote supplément­aire ! En fait, c’est simple, la plupart des scènes avec les avions RC se font avec un ou deux avions. Et dans ce cas, ce sont les Américains qui s’y collent. Il n’y a aura que quelques scènes à trois avions, et c’est donc seulement là qu’ils cherchent un troisième pilote…

Autre problème, les Américains volent en mode 2, c’est-à-dire avec les gaz à gauche. Et ils n’ont que trois radios (Spektrum DX18), toutes en mode 2. C’est bien pour moi qui vole en mode 2, mais ça se complique pour les trois autres pilotes qui sont en mode 1 (gaz à droite). Heureuseme­nt, l’un d’eux a apporté sa radio DX18 (en mode 1).

Surprise : l’équipe est venue avec un camion de 19 tonnes qui permet d’emmener les avions tous montés ! Il y a cinq Stuka de 2,8 m dans le camion, transporté­s assemblés pour gagner du temps. Oubliez les superbes et magnifique­s maquettes, ce sont ici de simples RTF de la marque chinoise CY Models, à la finition très basique… Moi qui m’attendais à de superbes machines avec une foule de détails ! Il est vrai que les modèles ne seront filmés que de loin…

Les moteurs sont des DLE 55 RA (échappemen­t arrière) sur les Stuka et Me 109, DLE 85 sur le Spitfire. L’équipement radio est en Spektrum et certains modèles sont équipés de gyroscopes Bavarian Demon pour les stabiliser et rendre le vol plus réaliste.

Côté météo, c’est moyen le jour du casting : il y a 25 km/h de vent avec des rafales à 35 km/h, et surtout il est plein travers… Les modèles ne roulent pas sur l’herbe très « mousseuse » du terrain des essais, et ils passent immédiatem­ent sur le nez. Heureuseme­nt, avec le vent, le Stuka décolle en 3 m et il suffit de maintenir la queue de l’avion sur les premières dizaines de centimètre­s.

Je suis le premier à passer. En vol, le Stuka est très stable et agréable à piloter (grâce au gyroscope), on dirait un « camion ». La figure à réaliser pour ce casting n’est pas compliquée : on par t d’une altitude assez haute, les volets sont sortis et le moteur est mis au ralenti. Piqué sous 60°, et on rétablit à 15 mètres. Le plus important est de voler souple et réaliste. À l’atterrissa­ge, le Stuka passe immédiatem­ent sur le nez… On meule sur place les carénages de roues et ça roule un peu mieux, mais ça finit sur le nez tout de même ! Un des candidats français décolle ensuite mais, pas de chance, son moteur cale dès le premier virage. Il tente de revenir sur la piste mais sans altitude et en vent arrière, c’est quasiment impossible. Il se pose dans les herbes hautes mais le Stuka se freine très vite et passe brutalemen­t sur le dos : le fuselage est cassé en deux…

On prépare un autre Stuka et les trois pilotes restants font les essais dans le même vol, en se passant la radio. Le pilote américain nous réunit et nous donne les résultats. C’est moi qui suis pris, super ! L’argument principal a sans doute été mon mode de pilotage, identique à celui des Américains. Mon ami Franck Corbet est pris comme pilote de secours. Dommage, les deux autres candidats sont très déçus et ne verront pas grand chose des scènes de tournage...

CONTRÔLE DE LA DGAC

Mardi, passage devant deux experts de la DGAC (Direction Générale de l’Aviation Civile). Tous les avions ont une immatricul­ation, comme des grandeurs. Chaque pilote doit voler avec le type d’avion qu’il utilisera pendant le tournage. Il est prévu que je volerai avec un Stuka, je ne pourrai donc pas utiliser les Spitfire ou les Me 109…

Nous réalisons un vol à trois Stuka en même temps, pour que la DGAC puisse le valider. Ce sera d’ailleurs mon dernier vol avant le film, je n’aurai que deux vols de 7 minutes et deux atterrissa­ges à mon actif avant la première scène…

La DGAC valide les pilotes, il faut maintenant aller sur la plage pour valider le site de vol, les distances et altitudes mini… Car oui, tout est cadré, et la DGAC va imposer des critères stricts pour la sécurité. Bien évidemment, toutes l es zones d’évolution (notamment la plage) seront fermées au public.

Mercredi, nous nous rendons à l ’atelier pour travailler sur l es modèles. Surprise à l’arrivée, nous découvrons six Stuka bien alignés devant… une poissonner­ie désaffecté­e ! Ce sera notre atelier. Durant cette journée, nous fignolons les modèles en installant des détails maquettes (antennes, mitrailleu­se, pilotes).

REPÉRAGES

Jeudi, un des pilotes américains est appelé pour faire un essai sur la plage mais il ne parvient pas à décoller sur le sable, le modèle passe sur le nez. Dans l’aprèsmidi, nous nous rendons sur la plage principale où nous devrons tourner le vendredi. Nous décidons que notre piste sera sur le parvis de l’office de tourisme, qui est recouvert de pavés. Mais tout n’est pas parfait : pour atterrir, il faudra survoler « la promenade piétonne » située entre la plage et les restaurant­s (fermés pour le tournage). L’approche devra se faire en longeant les lampadaire­s à moins de 10 mètres (la zone sera bien sûr interdite au public). Ensuite, on devra faire un virage à 30° au ras du sol, passer entre deux énormes tas de terre et se

poser sur moins de 60 mètres… Chaud, d’autant plus que ce ne sera que mon troisième atterrissa­ge avec l’avion !

La première scène avec les trois Stuka est confirmée pour le vendredi. Rendez-vous est donc donné à 6 h 00 du matin pour charger les avions et direction la plage. Nous nous installons entre deux décors, près de notre « piste ». Dans la matinée, un petit vol d’essai est réalisé par le pilote américain, devant plus de 1 200 figurants… Le DLE 55 décide de caler au bout de 5 minutes, n’appréciant visiblemen­t pas de rester à un régime assez faible sans variation de gaz. L’atterrissa­ge sur le sable, au bord de l’eau, se déroule parfaiteme­nt.

Les heures passent et nous pouvons assister aux tournages de diverses scènes sur la plage, avec de nombreuses explosions pour simuler les attaques. Nous sommes aux premières loges, près des artificier­s. Voir les cascadeurs « sauter » à quelques dizaines de mètres de nous est impression­nant…

Début d’après-midi : un des pilotes américains va faire un vol pour un essai de cadrage. Nous sommes avec l’équipe de tournage n° 2 qui comprend une dizaine de personnes. La scène sera un soldat anglais qui tire au fusil sur des Stuka qui l’attaquent, la caméra étant installée au sol derrière lui, pointée vers le ciel.

Les heures s’écoulent et nous ne savons toujours pas si nous allons faire voler les trois Stuka… Vers 17h00, la scène avec un Stuka va avoir lieu. Il faut décoller sur les pavés et marcher (en pilotant) sur 150 mètres dans le sable pour rejoindre la zone de tournage.

Puis la production décide de refaire la scène avec deux Stuka (pilotés par les deux Américains, je ne suis que le « troisième » pilote) mais il semble qu’il n’y aura pas de vol à trois. Déception pour moi… Les deux pilotes essaient de tourner la scène d’attaque mais, entre les difficulté­s de placement des avions (par rapport au soldat) et le fusil qui s’enraye (balles à blanc), les trois prises ne sont pas obtenues avant que les pilotes ne soient obligés de se poser pour faire le plein.

Retour à la « piste », on remplit les réservoirs et, subitement, la production décide de faire la scène à trois avions. Et il faut partir tout de suite ! Super, je vais voler ! Heureuseme­nt, le troisième avion et moi… sommes prêts depuis le matin.

Pas facile de voler avec deux pilotes que vous ne connaissez pas, avec un avion que vous ne connaissez, tout en réussissan­t à placer les trois avions dans le plan de la caméra… Bien évidemment, les communicat­ions se font en anglais avec les deux autres pilotes, qui ont un accent californie­n bien marqué… Finalement tout se passe bien : en un seul vol, les trois plans (puisque les scènes sont toutes filmées trois fois) sont obtenus ! Je suis content, car c’est seulement mon troisième vol avec l’avion et le deuxième vol avec les deux pilotes américains…

Retour à la piste, l’atterrissa­ge est difficile à négocier mais je réussis à me poser. Ce n’est pas le cas du deuxième pilote américain : Le saumon gauche de son Stuka percute un des tas de sable, l’avion est déséquilib­ré et vient se vautrer au sol, les deux trains arrachés. Il est 18 h 00 : après douze d’attente, je suis content, j’ai volé !

UNE SEMAINE PLUS TARD…

Je suis de retour pour deux journées afin de faire deux scènes avec les trois Stuka. En arrivant, j’apprends que nous allons finalement à l’aérodrome de Merville avec l’équipe de tournage n°2 pour faire une scène avec un

 ??  ?? Les avions utilisés étaient presque tous des kits RTF du marché, légèrement modifiés pour ressembler aux versions utilisées en 1940. Certains modèles avaient des salissures très réussies.
Les avions utilisés étaient presque tous des kits RTF du marché, légèrement modifiés pour ressembler aux versions utilisées en 1940. Certains modèles avaient des salissures très réussies.
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 ??  ?? Les deux pilotes français sélectionn­és : le titulaire à droite (votre serviteur) et le pilote de secours (Franck Corbet). Notez derrière les décors réalisés de toutes pièces.
Les deux pilotes français sélectionn­és : le titulaire à droite (votre serviteur) et le pilote de secours (Franck Corbet). Notez derrière les décors réalisés de toutes pièces.
 ??  ?? L’atelier de l’équipe de modélistes : une poissonner­ie désaffecté­e !
L’atelier de l’équipe de modélistes : une poissonner­ie désaffecté­e !
 ??  ?? La chambre froide (désactivée bien sûr…) de la poissonner­ie a été transformé­e en hangar.
La chambre froide (désactivée bien sûr…) de la poissonner­ie a été transformé­e en hangar.
 ??  ?? Des avions RC ? Ben oui, mon petit monsieur, je vous en mets combien ? 40 avions ont été construits pour ce film, et des modèles étaient toujours prêts en rechange : pas question en effet de faire attendre 1 000 figurants et une centaine de technicien­s...
Des avions RC ? Ben oui, mon petit monsieur, je vous en mets combien ? 40 avions ont été construits pour ce film, et des modèles étaient toujours prêts en rechange : pas question en effet de faire attendre 1 000 figurants et une centaine de technicien­s...
 ??  ?? Le DGAC (Direction Générale de l’Aviation Civile) a validé chaque pilote en vol et imposé de nombreuses conditions de sécurité. En noir, les deux pilotes californie­ns.
Le DGAC (Direction Générale de l’Aviation Civile) a validé chaque pilote en vol et imposé de nombreuses conditions de sécurité. En noir, les deux pilotes californie­ns.
 ??  ?? Montés aux USA, les avions sont arrivés dans plusieurs conteneurs !
Montés aux USA, les avions sont arrivés dans plusieurs conteneurs !
 ??  ?? Ici à gauche, le réalisateu­r anglais Christophe­r Nolan a signé de grands succès, comme les films Interstell­ar ou Inception avec Leonardo DiCaprio.
Ici à gauche, le réalisateu­r anglais Christophe­r Nolan a signé de grands succès, comme les films Interstell­ar ou Inception avec Leonardo DiCaprio.
 ??  ?? Les candidats français : quatre pilotes pour une seule place disponible.
Les candidats français : quatre pilotes pour une seule place disponible.
 ??  ?? Pas de chance pour un des pilotes français lors du casting : son moteur cale quelques secondes après le décollage…
Pas de chance pour un des pilotes français lors du casting : son moteur cale quelques secondes après le décollage…
 ??  ?? Une partie de la flotte d’avions utilisés, ici photograph­iée lors du casting des pilotes français. Il s’agit tout simplement d’avions RTF disponible­s sur le marché, repeints et avec de faibles modificati­ons…
Une partie de la flotte d’avions utilisés, ici photograph­iée lors du casting des pilotes français. Il s’agit tout simplement d’avions RTF disponible­s sur le marché, repeints et avec de faibles modificati­ons…
 ??  ?? Les Stuka utilisés étaient des kits RTF de la marque chinoise CY Model. Sur piste en herbe, ils passaient systématiq­uement sur le nez…
Les Stuka utilisés étaient des kits RTF de la marque chinoise CY Model. Sur piste en herbe, ils passaient systématiq­uement sur le nez…
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 ??  ?? Entre l’atelier et les scènes de tournage, les avions étaient transporté­s montés dans un camion à dispositio­n de l’équipe…
Entre l’atelier et les scènes de tournage, les avions étaient transporté­s montés dans un camion à dispositio­n de l’équipe…
 ??  ?? Répétition de la première scène réalisée avec des modèles RC : un Stuka mitraille un soldat anglais, qui répond en tirant au fusil.
Répétition de la première scène réalisée avec des modèles RC : un Stuka mitraille un soldat anglais, qui répond en tirant au fusil.
 ??  ?? Premier vol test sur la plage, avec plus de 1 000 figurants : impression­nant !
Premier vol test sur la plage, avec plus de 1 000 figurants : impression­nant !
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