LES CALAGES, DES MYTHES À LA RÉALITÉ
Le mois dernier, nous avons vu les calages des ailes et du stabilisateur et leurs effets. Je vous invite donc à revoir la première partie de ce dossier dans le numéro 870 de Modèle Magazine… et à poursuivre cette étude avec cette deuxième et dernière partie.
Introduisons cette dernière partie par un rappel élémentaire : à chaque réglage sa fonction. Le centrage pour la stabilité, et rien que la stabilité, le calages des ailes pour l’allure visuelle du fuselage et le calage de stab pour équilibrer les moments en tangage et donc voler droit. Nous avons vu précédemment les principes qui régissent l es calages, maintenant nous allons essayer de les calculer.
QUELQUES CALCULS DE BASE
Par rapport à l’exemple simplifié illustrant le premier volet de cet article, les choses sont en réalité un peu plus complexes :
- Le stab travaille dans une couche d’air défléchie par la portance des ailes ( traits en pointillé rouge sur (illustration 1) : c’est la déflexion de sillage. Contrairement à l’intuition commune, cette déflexion s’étend largement autour des ailes et concerne aussi un stab en Té. Mettons que, dans une phase de vol donnée, elle soit de 1° vers le bas et qu’il faille que le stab fonctionne à +1° d’incidence pour assurer l’équilibre longitudinal. Concrètement, il faudra donc caler le stab à +2°. Nous sommes loin du calage à zéro revendiqué par défaut comme valeur universelle. - Le Cm0 du profil d’aile, qui représente son moment propre et n’est pas forcément nul (typiquement, plus un profil est creux et plus il a une tendance marquée à piquer, et inversement pour un profil dit « auto-stable »).
- Les voilures peuvent être d’une forme plus complexe qu’un simple rectangle. Dans ce cas, on travaille sur la corde moyenne, avec toujours le foyer de l’aile à 25 % de cette dernière.
Nous obtenons le schéma suivant (illustration 1), qui va nous permettre de calculer de manière simplifiée (mais représentative, ce n’est pas du bricolage…) les calages à utiliser.
Pour distinguer les ailes du stab, nous noterons « a » ce qui est relatif aux premières et « s » pour le second.
Avant tout calcul, il faut d’abord sélectionner le Cz des ailes, aussi appelé Cz de réglage, pour lequel la machine sera équilibrée. Par défaut, 0.3 est une valeur passepartout qui convient bien à la majorité des usages.
Commençons par le calage des ailes, en trouvant l’incidence correspond au Cz de réglage. Incidence que l’on utilisera pour caler les ailes par rapport au fuselage de manière à aligner parfaitement ce dernier à la trajectoire au Cz de réglage. C’est pour cette raison que le fuselage (son axe moyen) est utilisé comme référence de calages (des ailes, ainsi que du stab).
Nous avons la relation suivante entre le Cz et l’incidence des ailes:
L’efficacité de portance A est calculée suivant la formule simplifiée déjà abordée pour le centrage, qui fait intervenir l’allongement (noté λ) :
Pour les ailes : et pour le stab :
Le calcul du calage de stab est sensiblement plus complexe car il fait intervenir la portance de stab à fournir pour équilibrer les moments des ailes (moment de portance + moment de profil) autour du centre de gravité. On en déduit l’incidence aérodynamique correspondante ( αs), que l’on corrige avec l’incidence de portance nulle du profil de stab ( α0s) et l’angle de déflexion de sillage imposé par l’aile ( αdlf) pour enfin obtenir le calage géométrique à utiliser (illustration 2) :
Calage géométrique de stab (par rapport à l’axe moyen du fuselage) :
Soit, en développant la formule :
Avec :
Angle de déflexion de sillage local :
Incidence du stab dans le flux d’air local :
Cz de stab (formule simplifiée) :
Coefficient de déflexion (simplifié) :
À noter que les angles d’incidence et de calage sont positifs quand le bord d’attaque est plus haut que le bord de fuite (portance +), et négatif dans le sens inverse (portance –).
Reste à connaître l’incidence et le moment à portance nulle (Alpha0 et Cm0) du profil des ailes, ainsi que le Alpha0 du profil de stab (on néglige son Cm0), que l’on peut facilement trouver sur internet pour une majorité des profils, calculé suivant la recette de cuisine proposée dans « RC Aero Design » ( voir l’espace « boutique » sur le site FFAM), ou bien avec une soufflerie numérique comme xFoil. Pour aller plus loin, je vous invite à utiliser les logiciels PredimRC et Gemini, qui assurent sans efforts tous ces calculs avec des formulations bien plus complètes, en prenant en compte par exemple l’effet du fuselage, et en intégrant xFoil.
QUELQUES APPLICATIONS NUMÉRIQUES
Prenons tout d’abord un petit avion « trainer » tout ce qu’il y a de classique :
- des ailes de surface 12 dm², allongement 6, corde moyenne 200 mm, profil ClarkY avec Alpha0 -3.6° et Cm0 -0.085
- un stab de 5 dm², allongement 4, Vstab 0.5, profil planche avec Alpha0 nul
- un centrage à 35 % de la corde moyenne des ailes
Nous trouvons les résultats intermédiaires :
Efficacité de portance ailes : Aa = 6 / (6 + 2) = 0.75
Efficacité de portance stab : As = 4 / (4 + 2) = 0.67
Coefficient de déflexion : e’ = 4 / (2 + 6) = 0.5
Angle de déflexion : adfl = 9.1 * 0.5 * 0.3 / 0.75 = +1.8°
Cz stab : Czs = (0.3 * (0.35-0.25) – 0.085) / 0.5 = -0.11
Incidence de stab : as = 9.1 * (-0.11) / 0.6 = -1.5°
Soit les résultats finaux :
Calage d’ailes = 9.1 * 0.3 / 0.75 - 3.6 = 0°
Calage de stab = 1.8 – 1.5 = +0.3 °
Maintenant, un planeur type F3B :
- ailes de surface 49 dm², allongement 18, corde moyenne 175 mm, profil avec Alpha0 -1.7° et Cm0 -0.04
- stab de 6,5 dm², allongement 7, Vstab 0.4, profil symétrique avec Alpha0 nul
- centrage à 40 % de la corde moyenne des ailes
Nous trouvons les résultats intermédiaires :
Efficacité de portance ailes : Aa = 18 / (18 + 2) = 0.9
Efficacité de portance stab : As = 7 / (7 + 2) = 0.78
Coefficient de déflexion : e’ = 4 / (2 + 18) = 0.2
Angle de déflexion : adfl = 9.1 * 0.2 * 0.3 / 0.9 = +0.6°
Cz stab : Czs = (0.3 * (0.4-0.25) – 0.04) / 0.4 = +0.013
Incidence de stab : as = 9.1 * 0.013 / 0.78 = +0.15°
Soit les résultats finaux :
Calage d’ailes = 9.1 * 0.3 / 0.9 – 1.7 = +1.3°
Calage de stab = 0.6 + 0.15 = +0.75°
L’exercice peut être conduit de la
même manière avec un canard (attention, le volume de stab est négatif), mais en prenant un coefficient de déflexion nul puisque le stab travaille devant les ailes et ne subit donc pas le sillage de cette dernière. Idéalement, il faudrait appliquer une correction de l’incidence des ailes qui travaillent derrière le stab, mais on peut la négliger au premier ordre car le stab est généralement d’une envergure sensiblement plus petite que celle des ailes.
Nous avons, pour l’exemple :
- des ailes de surface 12 dm², allongement 6, corde moyenne 200 mm, profil NACA 2408 avec Alpha0 -2.1° et Cm0 -0.05
- un stab de 4 dm², allongement 4, Vstab -0.25, profil ClarkY avec Alpha0 -3.6°
- un centrage à -5 % de la corde moyenne des ailes
Nous trouvons l es résultats intermédiaires :
Efficacité de portance ailes : Aa = 6 / (6 + 2) = 0.75
Efficacité de portance stab : As = 4 / (4 + 2) = 0.67
Coefficient de déflexion : e’ = 0 Angle de déflexion : adfl = 0 Cz stab : Czs = (0.3 * (-0.05 - 0.25) -0.05) / (-0.25) = +0.56
Incidence de stab : as = 9.1 * 0.56 / 0.67 - 3.6 = +4.0°
Soit les résultats finaux :
Calage d’ailes = 9.1 * 0.3 / 0.75 – 2.1= +1.5°
Calage de stab = 4.0 + 0 = +4.0°
Finalement, rien de bien compliqué, il suffit d’une calculatrice basique pour réaliser tous ces calculs plutôt élémentaires. Toutefois, comme nous venons de le voir, il n’y a pas de résultat générique et universel. Beaucoup de facteurs interviennent dans la détermination des calages, tous pouvant être très différents d’un appareil à l’autre (les allongements, le volume de stab ainsi que les Alpha0 et Cm0 profil). Exactement comme pour le centrage, la méthode et les calculs associés ont bien plus d’importance que le résultat final, qui n’est pas forcément transposable d’un appareil à l’autre.
À noter que, dans le cas d’ailes mal calées par rapport au fuselage, ou volontairement décalées pour obtenir par exemple une allure de vol « queue haute » pour l’esthétique, il faudra corriger le calage du stab du même écart que celui des ailes.
DÉPENDANCE DU TRIM DE PROFONDEUR
À LA VITESSE
Pour achever ce tour d’horizon, nous allons aborder un dernier point que connaissent bien les compétiteurs planeurs : ils règlent généralement leurs machines avec des trims de phases, qui consistent à un recalage du trim de profondeur en fonction de la vitesse de vol à laquelle le planeur doit évoluer, par exemple pour une phase vitesse et une phase gratte.
Ce recalage est d’autant plus marqué que le centrage est avant.
L’explication tient à l’effet principal du centrage, qui est la modification de la stabilité, c’est-à-dire la tendance, d’autant plus marquée que le centrage est avant, à revenir à l’incidence d’équilibre, et donc à la vitesse associée en planer, réglée par le trim de profondeur. En conséquence, plus la machine vole à une incidence différente de celle d’équilibre, et plus elle tendra à en sortir pour revenir à cette dernière.
Typiquement, une machine centrée très avant nécessite de pousser en permanence pour voler vite, soutenir sensiblement à cabrer pour voler lentement ou pousser fortement pour tenir le vol dos. A contrario, une machine réglée parfaitement neutre ne nécessite une action à la profondeur que pour inscrire une nouvelle trajectoire, et reste ensuite sur cette dernière une fois le manche lâché. Dans ce cas de figure, le trim de profondeur est réglé une fois pour toutes et convient à toutes les phases de vol, vol dos y compris.
Cette dépendance du trim de profondeur, ou du calage de profondeur (c’est idem) au centrage et à la vitesse de vol est universelle, et vaut pour toutes les configurations : avions et planeurs classiques, mais aussi ailes volantes (via le recalage des élevons), canards et tandems. Avec deux limites :
- Dans le sens du recul du centrage : le trim est bien recalé à piquer jusqu’à atteindre le centrage neutre. À ce point précis, il n’y a plus qu’un seul réglage de trim, et derrière ce point il n’y a aucun réglage qui convienne, le moindre trim à piquer ou cabrer se traduit par une divergence de trajectoire.
- Dans le sens de l’avancée : plus on avance le centrage et plus le chargement du stab risque d’augmenter, que ce soit à porter ou à déporter suivant la configuration, jusqu’à atteindre, en particulier à basse vitesse, sa limite décrochage. C’est un problème bien connu des canards, où le stab (de par la position du CG) est généralement plus chargé que les ailes et décroche toujours en premier. Avec ce type d’appareil, la plage de centrage utilisable est fortement réduite par cette contrainte.
Au passage, nous venons de finir de démontrer que, quels que soient la conception et le réglage d’un modèle, la recherche de neutralité de son stab pendant tout le vol est une utopie. Cette neutralité n’existe tout simplement pas pour beaucoup de machines, et pour d’autres cela ne concerne qu’une seule incidence parmi toutes celles balayées dans le domaine de vol. Dans tous les cas, la portance d’un stab évolue en permanence tout au long du vol, en positif comme en négatif.
De plus, la neutralité du stab n’est absolument pas un levier d’amélioration des performances (je vous invite à lire cette étude : http://rcaerolab.eklablog.com/ centrage-perfos-et-ressentip1674598). Là aussi, c’est un mythe, malheureusement largement entretenu. En réalité, un stab porteur aux faibles régimes de vol est plutôt bénéfique pour les performances, car la portance apportée par le stab dans cette phase de vol se fait avec une moindre traînée additionnelle que si ce sont
les ailes qui devaient la fournir (à cause de la traînée induite des ailes, au carré de la portance). C’est d’ailleurs ainsi que sont conçus tous les planeurs de performance, du F3K au F3Q, mais aussi les racers F5D, etc.
Voici un exemple typique de courbe de portance de stab et d’ailes en plané (illustration 4).
Cela semble contre-intuitif de prime abord, mais on peut y remarquer que l a portance des ailes en plané équilibré est l a même quelle que soit sa courbure. En fait, c’est tout ce qu’il y a de plus logique : en plané en ligne droite, la portance est strictement égale au poids quelle que soit la vitesse de vol. Le Cz des ailes ne dépend donc que de la vitesse, précisément de l’inverse de sa racine carré ( voir l’équation de la portance ci-avant). Par contre, comme l a cambrure des ailes modifie le Cm0 des ailes, le chargement du stab varie en suivant celui des ailes modulant le réglage de la courbure, c’est que nous voyons sur ces trois différentes courbes.
Vous l’aurez certainement noté au passage : comme la cambrure des ailes modifie aussi sensiblement leur calage (via le déplacement du bord de fuite), l’allure visuelle du fuselage est sensiblement modifiée aussi, ainsi que sa traînée. Il en est de même pour les appareils à i ncidence i ntégrale, pour lesquels l’incidence de fuselage suit beaucoup mieux l a trajectoire.
Nous en parlerons plus en détail dans un prochain article, et pour l’instant il suffit de retenir que la courbure est une commande de traînée (en plus ou en moins suivant la phase de vol et la courbure utilisée) et absolument pas de portance.
Pour finir, je vous propose un abaque bien pratique, élaboré en collaboration avec Jean-Luc Bolteau d’après le Hoener Lift&Drag, qui donne une relation d’équivalence entre le calage d’un stabilisateur et celui de sa gouverne (illustration 5).
Le coefficient c/C est le ratio entre la corde de la gouverne et celle du stab.
Par ailleurs, on a aussi la relation de trigonométrie suivante (valable uniquement pour l es petits angles) : angle gouverne en degrés = 57.3 * décalage gouverne / corde gouverne.
Application pratique : mettons un appareil dont le stab a été mal calé et nécessite (pour voler droit) 3 mm de trim à cabrer de la gouverne de profondeur. La corde de la gouverne fait 50 mm, pour une corde de stab de 180 mm, soit c/C = 0.28. Sur l’abaque, ou en utilisant l’équation, on lit k = 0.58. On a donc :
- décalage gouverne = 57.3 * 3 / 50 = 3.4 °
- correction calage de stab = 0.58 * 3.4 = 2° (à cabrer)
CONCLUSION
À l’heure d’internet, qui offre un accès gratuit à de nombreuses publications, ouvrages et logiciels qui permettent de se faire une idée sérieuse des choses, il est toujours surprenant que nombre de croyances et autres fake news aient toujours bonne presse.
J’espère que ce papier vous aura permis de revisiter avec un nouvel éclairage cet aspect essentiel du vol de nos avions et planeurs, et qu’il vous aidera à mieux concevoir et régler vos appareils. ■